Un Prophète, le dernier film de Jacques Audiard, a reçu le Grand Prix du Jury à Cannes. Il se murmure dans les milieux informés que le film aurait dû recevoir la palme, si ce n’est que la présidente du jury voulait beaucoup plaire à Haneke. Sans préjuger de ce que vaut Le ruban blanc (même si j’ai mon idée là-dessus), je dois dire que le film d’Audiard n’aurait pas fait honte à la palme…
Un Prophète est quasiment un huit clos, puisque la majeure partie du film se déroule en prison. En cela, c’est clairement un film carcéral, mais c’est aussi plus que cela. On y suit le quotidien de Malik, jeune illettré de 19 ans qui débarque en Centrale pour purger sa peine de 6 ans. On ne saura jamais ce qui l’a amené en prison, et on saura d’ailleurs très peu de chose de lui, si ce n’est qu’il n’a pas connu ses parents, qu’il a grandi en foyer et arrêté ses études à 11 ans. Ce qui compte, c’est qu’il arrive en prison totalement démuni, sans rien ni personne à l’extérieur ou à l’intérieur pour l’aider. On le voit d’emblée, c’est une victime idéale.
D’ailleurs, le film commence par une scène de chantage qui se conclut par la perte de ses deux chaussures et une première humiliation publique. À l’époque où commence le film — les francs sont encore présents —, la prison est envahie des nationalistes corses emprisonnés aussi loin que possible de leur île. Malik tombe très vite sous leur protection, moyennant quelques menues opérations pour leur compte, à commencer par l’assassinat d’un autre corse, mais un traitre qui a parlé. Il tombe plus particulièrement sous la protection du leader, ou plutôt du parrain, César Lucciani.
Le film gravite autour de ces deux personnages. On suit Malik de bout en bout, et César tient une place centrale à partir du moment où il est quasiment abandonné dans cette prison loin de chez lui, alors que tous ses collègues nationalistes, profitant d’une décision du Nicolas Sarkosy ministre de l’Intérieur, ont le droit d’aller en prison en Corse. Les deux hommes vont alors plus ou moins se lier d’amitié, même si elle est contre-nature (les Corses vs les « barbus », c’est-à-dire les Arabes) et un peu contrainte pour Malik. Sans dévoiler la fin, on peut dire que le film se transforme peu à peu en duel, ce qui est somme toute assez classique dans les rapports maître/élève, ou plutôt père et fils comme souvent chez Jacques Audiard1. Malik est d’ailleurs élève puisqu’il apprend à lire et écrire, mais aussi le Corse. Surtout, il apprend à survivre et pour cela, il est manifestement excellent.
Si le film est une réussite, c’est d’abord grâce à ses acteurs. Tahar Rahim, que l’on découvre pour l’occasion, est formidable pour interpréter ce jeune silencieux, un peu apeuré au début, mais qui apprend vite. Et Niels Arestrup n’a jamais été aussi bon qu’en parrain corse un peu bougon et qui voit lentement son univers et son pouvoir se déliter. Télérama évoque Balzac, ce qui est sans doute osé, mais pas totalement faux. Le film montre en fait l’ascension d’un jeune homme venu de nulle part, et qui a su prendre les bonnes décisions pour survivre et gravir les échelons. Certes, il s’agit d’échelons à l’intérieur de la prison, mais mine de rien son pouvoir s’étend aussi à l’extérieur. Les luttes de pouvoir internes, voilà un des sujets du film.
Un prophète est aussi, forcément, un film sur la prison aujourd’hui en France. Mais son grand mérite est de ne jamais faire un discours explicite et moralisateur sur la prison. Le film est glaçant de réalisme, on y voit donc nécessairement les conditions de vie difficiles (même si les héros sont plutôt bien logés, pour le coup), mais le réalisateur n’en profite jamais pour glisser un message. Certes, on peut lire sa prison comme une autopsie de la société française, mais ça n’est pas que ça, si tant est que ça le soit tout court. Ainsi, il n’y a pas vraiment de rivalités entre Corses et Arabes, les uns se servent des autres en fonction des intérêts. En prison, tout s’efface devant les seuls intérêts et l’instinct de survie.
Au-delà des acteurs et du message du film, ce qui frappe dans Un Prophète, c’est sans doute sa réalisation. La maîtrise de Jacques Audiard est parfaite, notamment dans le rythme : c’est bien simple, on ne voit pas les 2 h 30 passer. Au contraire, le film est prenant et très intense. Certaines scènes, comme celle du premier meurtre, sont presque pénibles à regarder, preuve ultime de leur réussite. Dire que l’univers carcéral est étouffant est d’une banalité sans limites, mais le film le fait bien ressentir, derrière l’apparente liberté des personnages. À cet égard, les voitures des dernières images du film apparaissent comme l’ombre de la prison qui suit le personnage y compris à l’extérieur.
On pourrait encore parler longuement d’Un Prophète, évoquer les scènes fantastiques, ou le rapport aux corps et notamment aux corps masculins, ou encore évoquer les liens avec le cinéma américain… Je préfère m’arrêter là, en vous conseillant encore une fois d’aller voir ce film aussi brillant que glaçant.
Comme toujours, la critique de Critikat est longue et détaillée et vaut le détour. Chez les Inrockuptibles, on peut lire une interview du réalisateur.
Vous voulez m’aider ?
- Dans De battre mon cœur s’est arrêté, le précédent, d’ailleurs, le père était déjà Niels Arestrup… ↩