Unbreakable Kimmy Schmidt, Tina Fey et Robert Carlock (Netflix)

Des épisodes courts — moins de trente minutes —, un rythme soutenu et un humour permanent : Unbreakable Kimmy Schmidt a tous les attributs d’une sitcom. Mais la série créée par Tina Fey et Robert Carlock ne repose pas sur des schémas vus et revus et innove au contraire par son idée de départ très original. En imaginant quatre femmes enfermées dans un bunker par un fou furieux pendant quinze ans, le scénario propose une relecture très moderne de L’Ingénu. Cette fille qui essaie de s’en sortir à New York est l’excuse toute trouvée pour remettre en cause ce que l’on considère comme acquis et à l’arrivée, la série de Netflix offre un regard souvent très critique sur notre société, tout en composant une comédie hilarante. Une vraie réussite !

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Pendant quinze ans, Kimmy Schmidt a été enfermé dans un bunker avec quatre autres femmes par le révérend Richard Wayne Gary Wayne qui leur a fait croire que l’Apocalypse était finalement arrivée et qu’ils étaient les seuls survivants. Quand elles sortent enfin, elles découvrent la supercherie et un monde qu’elles ne connaissent pas : après avoir passé autant de temps sous terre, elles ont raté tous les développements des années 2000. À partir de ce point de départ, Unbreakable Kimmy Schmidt suit le parcours de l’une d’entre elles, Kimmy, qui décide de partir à New York pour y vivre normalement et non pas comme une victime. Sauf qu’évidemment, elle est restée une enfant et elle ne connaît rien aux aléas du quotidien et à la méchanceté des hommes. Les premiers épisodes sont ainsi plein de ses erreurs : elle se fait avoir pour le logement et accepte de vivre dans le placard d’un sous-sol miteux pour une fortune, elle se fait avoir en se faisant voler tout son argent, elle trouve un travail horrible dans une famille bourgeoise qui la traite comme une moins que rien… Tina Fey et Robert Carlock s’en donnent à cœur joie en faisant vivre à leur personnage les pires atrocités. Le rôle de Kimmy a été écrit pour Ellie Kemper et on sent que l’actrice a pris du plaisir à l’incarner : elle est parfaite dans ce rôle de jeune fille innocente, toujours beaucoup trop optimiste et enthousiaste et en même temps déterminée à s’en sortir. C’est un personnage très amusant, mais pas tant parce que l’on se moque de lui, même si cela peut arriver de temps à autre. L’un des principaux moteurs de l’humour tient plutôt dans la vision innocente du personnage et du caractère ridicule de notre société.

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Comme chez Voltaire, Unbreakable Kimmy Schmidt exploite constamment les interrogations et les surprises de son personnage innocent pour mieux pointer du doigt les choses étranges dans notre société. Les deux créateurs n’hésitent pas à tirer sur la caricature pour faire rire, mais ce n’est pas seulement un artifice de la comédie. Alors certes, le colocataire de Kimmy, Titus Andromedon, est la caricature du gay qui rêve de faire carrière à Broadway et son interprète, bizarrement nommé Tituss Birgess, se lâche souvent avec une interprétation régulièrement outrancière. Mais au fond, il représente bien les difficultés des acteurs, la férocité de notre société dédiée toute entière à l’image. Et là encore, Tina Fey et Robert Carlock nous font rire avec ce personnage, jamais contre lui, ce qui est assez rafraichissant. Même quand il tourne un clip pour « Peeno Noir », une chanson qui est censée lancer sa carrière et qui est surtout kitschissime, on ne tombe jamais dans la méchanceté. La série est à l’image de son personnage principal, pas méchante, mais mordante. Le personnage de Jacqueline Vorhees est un bon exemple de cet esprit : cette amérindienne a tout fait pour faire oublier ses origines quitte, comme Michael Jackson, à blanchir sa peau et ses cheveux. Elle a changé de nom, épousé le premier riche venu et elle a réussi… sauf que sa vie est vide et triste. C’est un personnage paumé, très drôle aussi, parfaitement interprété par Jane Krakowski, mais c’est aussi un personnage qui en dit beaucoup sur notre idéal de réussite social. Et que dire des épisodes consacrés au procès contre le révérend ? Le jury, comme les avocats d’ailleurs, sont tous séduits par cet homme beau-parleur — Jon Hamm, exceptionnel — et alors même qu’il est évidemment coupable, le système judiciaire américain devrait le laisser partir sans encombre. Sous ses airs de comédie amusante, Unbreakable Kimmy Schmidt en dit plus qu’il n’y paraît…

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Non content d’être une comédie très drôle, avec quelques moments d’anthologie dans la première saison, Unbreakable Kimmy Schmidt est aussi une critique plus profonde qu’il n’y paraît de notre société. Tina Fey et Robert Carlock ont signé avant tout une sitcom humoristique très drôle, mais ils en font un petit peu plus et la série est très prometteuse. Netflix a d’ores et déjà prévu deux saisons supplémentaires que l’on a hâte de découvrir, en espérant que Kimmy conserve toute son innocence et reste un personnage ingénu ! D’ici là, les treize premiers épisodes d’Unbreakable Kimmy Schmidt méritent amplement d’être vus.


Unbreakable Kimmy Schmidt, saison 2

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(21 avril 2016)

Pensait-on vraiment que les scénaristes pourraient aller encore plus loin ? La première saison d’Unbreakable Kimmy Schmidt était très drôle et à un niveau de délire rare, mais ce n’est rien en comparaison de la suite, qui pousse le bouchon vraiment très loin. Certains épisodes sont à mourir de rire et justifient à eux seuls de voir la série, tandis que les personnages sont mieux définis, tout en restant sur la même ligne. L’héroïne reste ainsi l’ingénue naïve que l’on aime, mais on apprend aussi à mieux la connaitre et elle gagne en profondeur. Même chose pour les personnages secondaires, les anciens et les nouveaux : à cet égard, mention spéciale pour le docteur Andrea, une psy qui est censée aider Kimmy, mais qui est surtout alcoolique et qui souffre d’un dédoublement de la personnalité aggravé. Du côté des anciens, on retiendra surtout le personnage de Jackie qui explose littéralement dans cette saison : c’est rare qu’elle ne soit pas là dans les moments les plus drôles, et Jane Krakowski s’en donne à cœur joie pour l’interpréter.

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Au total, on s’amuse encore énormément dans cette deuxième saison et on n’a qu’une envie quand elle se termine, c’est d’en voir plus. Netflix est resté sur le même format court et les treize épisodes de trente minutes passent très vite. La seule interrogation serait sur la fin, où Kimmy rencontre enfin sa mère et où le ton change, avec un humour réduit au profit d’une certaine émotion… et d’une baisse de rythme qui n’est pas toujours très bien maîtrisée. C’est inattendu et on ne sait pas si Unbreakable Kimmy Schmidt va rester sur ce ton, mais la perspective de la sortie de prison du révérend promet quelques scènes exceptionnelles à nouveau. Vivement la saison 3 !


Unbreakable Kimmy Schmidt, saison 3

(25 mai 2017)

Toujours plus loin, toujours plus fort. On n’arrête plus les scénaristes d’Unbreakable Kimmy Schmidt et cette troisième saison pousse encore un petit peu plus le délire et la caricature. Quelques moments d’anthologie à relever, surtout quand le personnage de Titus apparaît à l’écran, en particulier quand il se lance dans une parodie hilarante de Beyoncé. Rien que pour cette scène, la saison mérite d’être vue, mais Tina Fey et Robert Carlock ont d’autres arguments à faire valoir. On avait du mal à imaginer après les premiers épisodes que l’histoire pourrait tenir sur la durée, mais c’est bien le cas, et sans forcer. Les scénaristes ont encore plein d’idées pour maintenir l’intérêt et occuper leurs personnages. Kimmy commence des études à l’université, Lillian se lance en politique… de quoi renouveler les personnages, creuser les personnalités et multiplier les opportunités de rire.

Unbreakable Kimmy Schmidt ressemblait à une blague, mais au fil des saisons, elle s’impose comme une excellente série. Les personnages gagnent à chaque fois en épaisseur et sortent petit à petit de la simple caricature, ce qui n’empêche pas les blagues un peu lourdes, mais toujours drôles et les parodies à mourir de rire. C’est un sans faute jusque-là pour Tina Fey et Robert Carlock et on espère qu’ils continueront sur leur lancée, car on en veut encore plus !


Unbreakable Kimmy Schmidt, saison 4

(2 mars 2019)

La quatrième saison d’Unbreakable Kimmy Schmidt est aussi la dernière. Qui aurait pu parier, en découvrant son pilote que cette hilarante sitcom aurait tenu aussi longtemps et surtout à un tel niveau ? En un sens, on peut regretter qu’elle se termine alors qu’elle ne cessait de surprendre par ses saisons toujours plus folles et toujours plus réussies. D’un autre côté, la création de Tina Fey et Robert Carlock a maintenu son excellence jusqu’au bout et elle se termine en beauté, sans faux pas. Ces douze derniers épisodes sont tous excellents, dans la même veine que tous ceux qui ont précédé, mais tout en touchant de nouveaux domaines et en posant toujours plus de questions qui font mal. Une très belle réussite, pour une série décidément excellente !

La quatrième saison reprend sur les chapeaux de roue, alors que Kimmy a trouvé un emploi chez Giztoob, une startup technologique créée par l’un de ses anciens camarades rencontré pendant ses études dans la saison précédente. Elle y est responsable des ressources humaines et elle ne comprend pas bien ce que l’on attend d’elle, et encore moins ce que la firme fait exactement. Entre l’esprit startup informatique et celle qui reste une ingénue toujours bloquée dans l’enfance, les décalages sont nombreux et causes de nombreux quiproquos, on s’en doute. Les scénaristes d’Unbreakable Kimmy Schmidt s’en donne à cœur joie, tout en surfant sur la vague #metoo à base de harcèlement sexuel et aussi de vie privée bafouée. En parallèle, Titus Andromedon essaie toujours de trouver du travail à Broadway, tout en se désespérant d’avoir perdu Mickey, avec un autre homme désormais. Il fait tout pour l’impressionner, n’a jamais peur du ridicule et la série est toujours aussi bonne dans la moquerie bienveillante dont elle fait preuve avec tous ses personnages. L’acteur a toujours loisir de démonter l’étendue de ses talents et il est très souvent hilarant, dans les rôles les plus absurdes ou en tant que metteur en scène d’une pièce réalisée par des gamins. Tout au long de ces douze épisodes, les scénaristes offrent aux personnages une partition assez proche de celle que l’on connaissait, tout en enrichissant leur psychologie. Des caricatures initiales, ils ont créé des personnages riches et crédibles, ce qui n’était pas une mince affaire. Dans cette saison par exemple, Lillian doit s’occuper de la fille de l’homme qu’elle a aimé dans la troisième saison et cela donne l’opportunité au personnage égoïste de sortir de ses schémas habituels.

Unbreakable Kimmy Schmidt pouvait-elle continuer au-delà de cette saison ? Sans doute, mais le risque de tomber dans une forme de routine et de répétitions était réel et ces épisodes offrent à la série une fin très réussie au contraire. Chaque personnage trouve finalement sa voie et c’est une résolution apaisée qui est imaginée par le scénario. Continuer la série sur cette base aurait sans doute perdu en intérêt et en originalité et on comprend dès lors la décision. Il n’empêche que l’on aimait bien ces personnages très originaux et on est forcément tristes de les quitter…