Ma vie avec John F. Donovan, Xavier Dolan

Le cinéma de Xavier Dolan est toujours personnel, même dans ses projets qui semblent les plus éloignés de sa propre histoire. La carrière du jeune prodige canadien a commencé quasiment dans l’autobiographie et s’il s’ouvre de plus en plus à d’autres horizons, ses réalisations sont toujours aussi proches de ses désirs et de sa vie. En témoigne Ma vie avec John F. Donovan, son premier long-métrage en anglais et un impressionnant défilé de stars pour ce qui pourrait n’être sur le papier qu’un film hollywoodien de plus. Il n’en est rien toutefois, car Xavier Dolan reste toujours aussi fidèle à lui-même et ce septième passage derrière les caméras est encore une fois l’occasion de raconter sa propre histoire. Ma vie avec John F. Donovan est peut-être par certains aspects le projet le plus ambitieux du réalisateur comme le clame l’affiche, mais il est dans la continuité de tous ses films précédents et c’est une excellente chose.

L’ambition est d’abord scénaristique, avec une histoire complexe qui se déroule sur deux époques différentes et avec trois fils narratifs distincts. En 2016, Rupert Turner est un jeune homme qui vient de publier un livre et qui est interviewé de mauvaise grâce par une journaliste qui ne le connaît et qui ne s’intéresse absolument pas à lui. En 2006, ce même Rupert avait une dizaine d’années et cet enfant acteur échangeait à l’insu de tous et en particulier de sa mère avec son idole, un acteur de vingt ans son aîné, John Francis Donovan. En même temps que l’on suit la scolarité difficile de Rupert dans son école anglaise, Xavier Dolan nous emmène à New York où John est la star du moment, l’idole de tous et un homme qui semble comblé, mais qui est comme souvent très malheureux. Ma vie avec John F. Donovan entrecroise ainsi trois fils narratifs, trois cadres différents et deux époques, avec d’ailleurs beaucoup d’aisance. Le cinéaste qui a aussi co-signé le scénario ne se perd jamais entre ces différentes trames et l’histoire est très simple à suivre. Ambition aussi dans le casting, avec à la fois beaucoup d’acteurs, contrairement à la majorité de ses productions antérieures, et de grandes stars que l’on n’attendait pas forcément dans un film indépendant canadien. Pour incarner John F Donovan, Xavier Dolan ne pouvait rêver mieux que d’avoir Kit Harrington devant les caméras. Toutes les scènes où le personnage est adulé pour la série dans laquelle il joue le héros, un magicien, auraient probablement pu être tournées pendant la promotion de Game of Thrones. Mais l’acteur prouve bien ici qu’il n’est pas que le bellâtre de service, son jeu est impeccable et il parvient à faire ressentir toute la complexité psychologique de son personnage. Et c’est essentiel, car l’intrigue repose largement sur ses épaules, même s’il n’est pas forcément présent à l’écran. La vie de star qu’il affiche n’est rien en comparaison avec sa véritable personnalité et son attirance pour les hommes, qu’il a de plus en plus de mal à refouler pour conserver son image et sa réputation.

Comme souvent chez Xavier Dolan, tout le casting est excellent, avec une mention spéciale pour Jacob Tremblay, qui incarne à merveille le jeune Rupert. Ce n’est sans doute pas innocent, tant ici tout est lié au réalisateur, à commencer par ce jeune personnage qui ne peut qu’être ‌une réinterprétation du cinéaste de 10 ans. Les deux ont commencé leur carrière d’acteur très tôt — le Canadien tournait des publicités à quatre ans seulement —, ils sont tous les deux homosexuels et l’incroyable précocité du cinéaste qui a tourné son premier long-métrage à 19 ans, à partir d’une nouvelle qu’il avait écrite trois ans auparavant, se retrouve complètement dans ce jeune personnage, si clairvoyant pour son âge. Si cela ne suffisait pas à vous convaincre, ajoutons sa relation fusionnelle et conflictuelle avec sa mère et cet énorme indice laissé par le créateur de Ma vie avec John F. Donovan pour ceux qui suivent de près sa carrière. Xavier Dolan avait douze ans quand il a commencé à doubler Ron Weasley dans Harry Potter, un personnage incarné par… Rupert Grint ! Ce petit clin d’œil qui retrouve quelques échos dans le film1 est une sorte de confirmation pour les initiés, mais il est assez évident que ce scénario est au cœur des préoccupations du réalisateur. Sa dénonciation de l’homophobie ambiante à Hollywood est excellente, même s’il s’agit surtout de critiquer l’homophobie de toute la société que John a intégré au point d’être effrayé d’accepter sa propre sexualité. Il faut dire que lorsque cela se sait, le rejet est rapide, il est mis à la porte par son agent et sa carrière disparaît tout aussi vite qu’elle est apparue. Mais plus que ces mensonges là, Ma vie avec John F. Donovan dénonce les mensonges que l’acteur entretient lui-même, y compris en privé, ce qui l’empêche d’avoir une relation saine avec un homme qu’il aime pourtant. Cette intériorisation de l’homophobie est un sentiment très fort et parfaitement retranscrit par ce constat que la seule personne à le connaître et le comprendre vraiment est un enfant de dix ans qu’il n’a jamais rencontré. Xavier Dolan ne veut pas résoudre l’énigme de la mort de son personnage et il opte pour une fin ouverte, mais qui n’élude pas cette simple vérité. Si John avait accepté son homosexualité plus tôt, si la société lui avait permis de s’accepter comme il était vraiment, il s’en serait peut-être sorti. La preuve en est, Rupert n’a peut-être pas (encore ?) connu le même niveau de gloire, mais il semble s’en être bien mieux sorti.

Ma vie avec John F. Donovan est peut-être différent par certains aspects de ses productions antérieures, mais il est impossible d’ignorer que ce film a été écrit et réalisé par Xavier Dolan. On retrouve la même esthétique marquée, avec des séquences colorées et un usage de la musique qui peut déplaire, mais qui est sa marque de fabrique depuis le départ et qui est parfaitement maîtrisée. On retrouve surtout les mêmes thématiques, avec une dénonciation trop rare et si précieuse de l’homophobie, notamment dans le milieu du cinéma. Ma vie avec John F. Donovan n’est plus aussi explicitement autobiographique que par le passé, mais c’est un long-métrage tout aussi personnel et touchant, une vraie réussite que vous auriez tort de bouder.


  1. La professeur d’anglais cite Poudlard et il y a une scène entière entre John et un inconnu dans un restaurant, inconnu interprété par… Michael Gambon, le professeur Dumbledore de la majorité de la saga.