Les Visiteurs, Jean-Marie Poiré

En 1993, quand Les Visiteurs sort dans les salles françaises, Jean-Marie Poiré est déjà bien connu pour Le Père Noël est une Ordure ou Papy fait de la Résistance. Avec quelques autres, et tout particulièrement la troupe du Splendid, il proposait une comédie renouvelée après la domination de la comédie à la De Funès. Les Visiteurs propose une comédie qui fera date, à base essentiellement de farce gesticulante et bruyante. Une comédie efficace, qui supporte la revoyure, bien des années après.

les-visiteurs.jpg

Le film ouvre en l’an de grâce 1123, quelque part en France. Le comte Godefroy de Montmirail, aka « Le Hardi » sauve le roi de France des griffes des Anglais et pour sa bravoure, il obtient du roi la main de Frénégonde. Chemin faisant vers le château de sa belle, il rencontre une horrible sorcière qui réussit à lui faire avaler une drogue qui, par un malheureux concours de circonstances, amène le preux chevalier à trucider son futur beau-père. Cela ne se faisant pas, même pas au Moyen-Âge, il doit renoncer à la belle qui se retire au couvent. Pour réparer cette grossière erreur de dernière minute, il fait appel à Eusæbius (sic), un sage un peu sorcier qui lui fait boire une potion qui, manque de chance, manquait d’œufs de caille. Erreur fatale qui entraîne Godefroy et Jacquouille la fripouille dans le futur au lieu de les emmener dans le passé proche. Les deux hommes atterrissent au beau milieu du XXe siècle et le choc avec le futur est plutôt rude. Heureusement, ils finissent par tomber sur leurs descendants respectifs qui vont, bon gré mal gré, les aider à retourner à leur époque.

Le voyage dans le temps est un fantasme sans doute aussi vieux que le monde. En général, la science-fiction le fait conscient, voulu par le voyageur dans le temps. Ce n’est pas le cas pour Les Visiteurs puisque le voyage se déroule par un malheureux concours de circonstances. Le plus intéressant dans ce cas de figure est évidemment le fait que les deux voyageurs ignorent tout de leur voyage dans le temps : s’il se doute bien qu’il y a quelque chose qui cloche, ce n’est qu’en voyant le calendrier que Godefroy réalise vraiment ce qui lui arrive. Toutes les nouveautés inventées en un millénaire sont donc nouvelles, des autoroutes aux avions, en passant par les lignes électriques, l’eau courante ou même les Droits de l’Homme. Quand ils apprennent qu’un « gueux » possède désormais le château de Montmirail, les deux sont scandalisés, horrifiés même tant cela dépasse l’entendement pour eux. Ce principe du regard étranger sur notre société est également ancien et a prouvé à de multiples reprises son efficacité (le Candide de Voltaire étant sans doute l’exemple le plus connu) et cela fonctionne aussi très bien dans Les Visiteurs. Outre un indéniable ressort comique (quand ils s’attaquent à la voiture du facteur ou font leurs ablutions dans les toilettes), cet aspect ouvre aussi une discrète critique de notre société actuelle. Les Visiteurs est loin d’être un film politique ou même social, mais le sujet de l’égalité entre les hommes revient trop souvent pour ne pas y prêter attention. Jean-Marie Poiré réussit plutôt bien à montrer les nouvelles féodalités, basées non plus sur le sang et la naissance, mais sur l’argent. Tout en proposant au passage quelques clichés sur la noblesse opposée aux nouveaux riches, d’ailleurs.

visiteurs-clavier-poire.jpg

Les Visiteurs reste d’abord et avant tout un film comique où l’humour emprunte plusieurs voies. Le comique de gestes est central évidemment pour un film qui présente deux hommes en déphasage total avec la société dans laquelle ils évoluent. La découverte d’objets du quotidien, comme le téléphone ou la découverte de l’électricité (jour, nuit, jour…), offre quelques scènes franchement drôles. L’humour nait aussi des rôles féodaux qui détonnent dans un univers supposé égalitaire : quand Godefroy festoie, son écuyer reste au sol et mange ce qu’on daigne lui laisser. On n’est jamais très loin de la farce, ce qui tombe plutôt bien pour des personnages censés débarquer du monde médiéval et ce qui est très efficace, inutile de le nier. La comédie est aussi liée à la caricature, constamment présente, et ce, pour les deux époques. Le Moyen-Âge proposé par Les Visiteurs est bien loin de la réalité et constitue plutôt un concentré de tous les clichés que l’on peut imaginer sur cette époque. Les sorcières, les immenses châteaux forts totalement anachroniques, mais qui font Moyen-Âge, les festins, les habits (que ce soit la coiffe de la belle ou la côte de maille du chevalier) : tout est censé évoquer le monde médiéval, un monde parfaitement médiéval que la triste réalité historique ne saurait perturber. La caricature est aussi celle de cette famille issue de la vieille noblesse, versaillissime famille qui alloooooonge les voyeeeeelles à l’envie, parle toujours d’un air emprunté et en même temps entend aider son prochain et maintenir l’esprit de famille. Caricature aussi très réussie pour Jacquard, le nouveau riche prêt à tout pour satisfaire une clientèle qu’il hait en fait profondément. Le comique du film provient enfin des dialogues. Les scénaristes des Visiteurs s’en sont donné à cœur joie pour inventer une langue qui est aussi un condensé de tous les clichés sur le vieux français qui sonne comme du vieux français. Le résultat est une réussite : les point ou que nenni s’enchaînent prestement, la pitance se hume et se mangeaille tandis que tous les « ait » sont remplacés par des « oit » et des « s » font leur apparition un peu partout (« nostre château » ou « arbalestre » par exemple). Cette langue n’a jamais existé bien entendu, mais elle met immédiatement dans l’ambiance tout en créant des décalages vraiment drôles avec la modernité.

Le succès d’un film comme Les Visiteurs dépend de nombreux facteurs, du scénario et de la réalisation bien sûr, mais aussi beaucoup de ses interprètes. Le couple Jean Réno / Christian Clavier fait ici des merveilles. Les deux acteurs cabotinent, en font des tonnes, mais cela convient tout à fait à leur rôle de toute manière outrancier. Christian Clavier en particulier excelle dans les deux rôles qu’il tient dans le film, sur un registre assez proche, mais différent. Il est regrettable que l’acteur n’ait pas su, dans la suite de sa carrière, s’éloigner de ce rôle dans lequel il a fini, peu à peu, par s’enfoncer au point de ne jamais offrir de prestations vraiment passionnantes depuis. Signalons aussi une excellente Valérie Lemercier qui fait des merveilles en versaillaise coincée. Le film bénéficie aussi de son rythme effréné : il ne s’attarde jamais sur un gag, préférant passer immédiatement au suivant et donnant l’impression plutôt positive d’être un foisonnement d’idées permanent. Cette efficacité le rapproche des comédies du Splendid et empêche le film de tomber dans l’auto-caricature un peu paresseuse de tant de comédies françaises (dont les deux suites justifiées uniquement par l’appât du gain après un large succès en salles1).

visiteurs-reno-clavier.jpg

Les Visiteurs a su trouver le ton juste. Farce basique à base de décalages temporels, c’est aussi une comédie dotée d’un scénario très bien écrit qui fait mouche. On ne compte plus les répliques passées dans le langage courant, à commencer par le fameux « Qu’est-ce que c’est que ce binz ? » répété à de nombreuses reprises par Christian Clavier. C’est bien la preuve que le film est une réussite dans le genre. Et effectivement, le revoir après plusieurs années est envisageable : parfait pour la période estivale, « okaaaaay ? »


  1. Les Visiteurs est encore aujourd’hui le quatrième plus grand succès du cinéma français, après Bienvenue chez les Chtis, La Grande Vadrouille et Asterix et Obelix : Mission Cléopatre. Pas mal, quand même…