Vol au-dessus d’un nid de coucou, Miloš Forman

Adapté d’un roman de Ken Kesey sorti dans les années 1960, Vol au-dessus d’un nid de coucou a d’abord été adapté au théâtre par Kirk Douglas après n’avoir essuyé que des refus pour une adaptation au cinéma. Le roman était jugé trop subversif pour en faire un film rentable et la pièce fut un four à Broadway, mais le projet n’a pas été abandonné pour autant. Quelques années après, c’est Michael Douglas qui relance l’idée et son père est trop vieux pour jouer le rôle principal. Jack Nicholson le remplace alors, tandis que le réalisateur tchèque Miloš Forman, arrivé aux États-Unis depuis peu, s’occupe de la réalisation. Une bonne dizaine d’années après les premières tentatives, Vol au-dessus d’un nid de coucou est un immense succès, tant critique que public. Aujourd’hui encore, le long-métrage est toujours considéré comme une œuvre culte et pour d’excellentes raisons. Porté par l’extraordinaire prestation de Jack Nicholson, ce film brillant maintient sa tension pendant plus de deux heures et continue d’impressionner.

Sans être un huis-clos à proprement parler, Vol au-dessus d’un nid de coucou plonge ses spectateurs au cœur d’un hôpital psychiatrique américain et ne quitte jamais vraiment cet environnement. On y suit Randall P. McMurphy, transféré de prison dans cette institution parce qu’on le suspecte d’avoir un problème psychiatrique. Comme on le comprend presque immédiatement, c’est surtout un excellent acteur qui simule ses troubles psychologiques pour échapper à la prison, où il avait été envoyé pour un viol sur mineur. Il pense sans doute qu’il sera plus tranquille dans cet hôpital et ce serait le cas s’il n’y avait pas l’infirmière en chef Ratchett, une femme très autoritaire qui semble prendre un malin plaisir à torturer ses patients et les contraindre à faire ce qu’elle veut. L’opposition entre ces deux forts caractères était inévitable et Miloš Forman construit son long-métrage sur cette idée. Le réalisateur peut compter sur un duo d’acteurs au sommet : Jack Nicholson, auréolé de l’Oscar pour sa performance, devient une légende avec ce rôle et c’est tout à fait mérité. Il est impeccable pour incarner cet homme extrêmement malin et habile, qui parvient à se jouer du système et à faire croire qu’il est atteint d’une maladie psychologique, tout en prenant du bon temps par rapport à la prison. Sa malice se combine à une grande générosité et l’acteur apporte tout cela au personnage avec un jeu intense, mais jamais caricatural et au contraire d’une grande subtilité. Face à lui, Louise Fletcher fait froid dans le dos à chaque apparition. Derrière ses sourires, on ne lit aucune gentillesse, mais bien plutôt un narcissisme construit aux dépends des patients. Elle profite de leur faiblesse pour mieux se mettre en valeur, et elle adore diriger ce petit univers clos où elle peut imaginer ses propres règles et où elle n’a de compte à rendre à personne. Très professionnelle en apparence, elle est en fait un personnage malfaisant qui n’aurait jamais dû être à la tête d’un service de psychiatrie.

Au-delà de ces deux personnages, Vol au-dessus d’un nid de coucou est d’ailleurs une attaque en règle contre les institutions psychiatriques telles qu’elles existaient dans ces années-là. Quand il a lu le roman original, Miloš Forman a immédiatement accepté d’en réaliser l’adaptation, car cette histoire lui parlait et le touchait personnellement. Non pas qu’il ait fait un séjour en hôpital psychiatrique, mais il a vu dans cet environnement une métaphore du régime communiste qui la contraint à fuir aux États-Unis en 1968. Il imagine le personnage de Ratchett comme un représentant des gouvernements répressifs communistes de son pays et l’adaptation est ainsi devenue beaucoup plus personnelle. C’est probablement pour cette raison que son film offre une vision si viscérale et intense du milieu psychiatrique et de ses travers. Ces hommes enfermés entre quatre murs froids ne sont pas soignés par les médecins et infirmières qui sont censés le faire. Ils sont maintenus dans un état végétatif, ou alors dans une culpabilité permanente par rapport à ce qu’ils ont fait. On ne leur offre aucun échappatoire, aucune issue et ils se sont résignés à passer leur vie ici, souvent de leur plein gré d’ailleurs, faute de mieux. Quand McMurphy débarque, il leur apporte à tous une énorme bouffée d’oxygène. Le film n’ignore pas que le personnage a violé une fille, mais il montre aussi qu’il a infiniment plus d’empathie que l’infirmière en chef, le médecin à la tête de l’établissement ou tout le personnel. Il comprend la peine des personnages, les considère comme un égal et les fait participer à ses activités. À plusieurs reprises, il entraîne tout le monde dans ses idées toujours plus folles, à base de match de basket dans la cour, de base-ball fictif à l’intérieur et même de virée en mer à l’extérieur, et à chaque fois, il parvient à réellement aider tous ces hommes. Vol au-dessus d’un nid de coucou n’est pas qu’un bon duo d’acteurs, le film profite aussi d’un casting de rôles secondaires tous impeccables. Danny DeVito est très bien dans le rôle de Martini, William Redfield est excellent dans celui de Dale, mais on retiendra surtout Will Sampson dans celui de Chef et Brad Dourif pour Bill. Le premier, un amérindien géant que tout le monde croit sourd et muet, comme le second, un jeune qui souffre d’un bégaiement extrême et qui a du mal à gérer ses relations avec les femmes, sont tout aussi émouvants chacun à leur manière. Et leur rôle prend de l’ampleur tout au long du scénario, jusqu’au final que l’on ne dévoilera pas, mais qui est vraiment plein d’émotions.

Politique ou psychologique, ce nid de coucou a indéniablement inspiré Miloš Forman et tous ses acteurs. Près de quarante-cinq ans après sa sortie, Vol au-dessus d’un nid de coucou reste toujours aussi prenant et convaincant, ce qui prouve bien son excellence. Il le doit en très grande partie à ses acteurs, mais il ne faudrait pas oublier le scénario qui a construit l’opposition entre les deux personnages, ni la réalisation qui s’est effectué dans un véritable hôpital psychiatrique, au milieu de véritables malades. Tous ces choix ont contribué à la réussite du projet, énorme succès en 1975 et qui mérite toujours absolument d’être vu aujourd’hui. Un film culte.