Voyage of Time : Au fil de la vie, Terrence Malick

Depuis The Tree of Life, celui qui était l’un des cinéastes les plus discrets est devenu extrêmement bavard. Avec À la merveille et Knight of Cups, Terrence Malick semble bloqué sur une idée fixe. Le réalisateur essaie de concentrer toute la vie, son mystère et sa beauté dans chacun de ses films, une idée qui l’obsède et qui l’a amené aussi à se répéter, voire à se caricature. Voyage of Time : Au fil de la vie annonce clairement la couleur, mais ce nouveau long-métrage est différent du trio qui le précède. Pour commencer, ce n’est pas une fiction, mais un documentaire, ce qui permet à Terrence Malick de se débarrasser totalement d’un scénario et de dialogues. Ensuite, ce projet est en gestation depuis plus de quarante ans et c’est en quelque sorte l’œuvre d’une vie. Ce qui suggère d’ailleurs que ce sujet, la naissance de l’univers et de la vie, ait pris autant de place dans les fictions du réalisateur. Est-ce que Voyage of Time : Au fil de la vie ferme une parenthèse ouverte avec The Tree of Life ou s’agit-il d’un nouvel élan dans cette direction ? En attendant de le savoir, ce documentaire surprend par son style, mais déçoit quelque peu par son fond assez banal et presque scolaire.

Comment raconter l’histoire de la vie et de l’univers ? C’est un sacré défi, mais qui ne doit pas vraiment effrayer Terrence Malick, un habitué du genre. Après tout, même si c’était enrobé par une histoire assez lâche, mais une histoire quand même, c’était déjà le sujet de The Tree of Life. Le long-métrage intégrait même quelques séquences « historiques » avec des plans dans l’espace et des dinosaures numériques. Voyage of Time : Au fil de la vie se concentre sur cet aspect-là uniquement dans un format dépourvu de toute fiction et plutôt court, une heure trente dans la version prévue pour le cinéma. Il n’y a plus de personnages ni de dialogue, mais tout de même une voix pour accompagner au voyage, celle de Cate Blanchett dans cette même version. On attendait du réalisateur autre chose qu’une narration linéaire toutefois et il ne déçoit pas. Son montage entremêle les époques et les genres, passe d’images souvent sublimes tournées en pleine nature à des reconstitutions en images de synthèse plus ou moins convaincantes. Et ce n’est pas tout, il ponctue aussi son dernier long-métrage d’images carrées tournées avec un petit caméscope numérique et qui ressemblent un petit peu à des images issues d’une VHS. On passe ainsi d’une qualité à l’autre, d’une source à l’autre et petit à petit, un récit se constitue. La voix de l’actrice, posée et légèrement grave, est parfaite pour imposer un rythme et une ambiance. La musique, classique comme toujours, est idéalement choisie et elle laisse souvent la place à la musique de la nature. Terrence Malick a toujours été au sommet de son art quand il filmait et sublimait la nature, c’était déjà le cas pour La Balade sauvage son tout premier film, c’est évidemment encore le cas ici. Les plans sont souvent serrés, au plus proche des volcans, des créatures sous-marines ou d’une bactérie. L’image est toujours sublime, le cinéaste a opté pour une caméra et du film de 65 mm associée à des objectifs grand angle, des choix traditionnels qui ont compliqué le tournage et qui donnent surtout ces plans à couper le souffle1. Techniquement, le réalisateur n’a plus rien à prouver, c’est irréprochable, même si les images numériques ne sont pas toutes à la hauteur des plans tournés dans la nature.

Ça, c’est pour la forme, mais qu’en est-il du fond ? Qu’est-ce que Terrence Malick peut montrer sur la création de l’univers qui n’a pas déjà été répété tant de fois ? Hélas, c’est sur ce point que Voyage of Time : Au fil de la vie déçoit le plus. Derrière les belles images, le discours est au fond assez commun et un petit peu scolaire. On se laisse emporter par la voix de Cate Blanchett et le script essaie de rendre le texte aussi mystérieux que possible, mais derrière les grandes interrogations, on retrouve des idées assez simples. Le fait que la vie provienne d’un seul événement et que tout soit lié dans l’univers n’a rien de radical. L’image de la mère nourricière qui renvoie, tantôt au soleil, tantôt à Gaïa, tantôt encore à une divinité, n’est pas non plus très novatrice. Et même si le documentaire brouille les pistes en entremêlant les images de plusieurs sources, il reste très linéaire dans l’ensemble. La chronologie est appliquée de manière assez stricte, avec d’abord le Big Bang, puis les volcans, l’eau, l’apparition de la vie sous une forme moléculaire, puis la vie aquatique, les premiers êtres qui sortent, les dinosaures, leur extinction et l’arrivée des mammifères, les singes, les premiers hommes et nous. Terrence Malick parvient assez bien à faire sentir les différentes chronologies, la lente progression de la vie et le bref passage de l’homme, mais Voyage of Time : Au fil de la vie n’est pas très précis sur sa vision des premiers hommes — nus, mais imberbes — ou même des dinosaures, qui ressemblent beaucoup à ceux de Jurassic Park. Les allusions quant au réchauffement climatique et au rôle de l’homme manquent aussi de finesse et de subtilités, un comble pour le cinéaste et c’est pourquoi on pense parfois au devoir trop appliqué d’un collégien au lieu d’y voir une œuvre majeure, comme le cinéaste en a signé par le passé. Et puis, que veut-il dire exactement ? Le message est volontairement confus et peut-être que l’idée est simplement de laisser aux spectateurs le soin d’interpréter les images comme ils l’entendent. Les uns y verront de la religion, les autres une ode à l’écologie, ou bien un pamphlet contre la surpopulation ou la bêtise humaine. Terrence Malick évite au moins de répondre trop franchement, ce qui aurait achevé le sentiment de travail scolaire.

Voyage of Time : Au fil de la vie est une œuvre à part dans la filmographie de Terrence Malick et en même temps, elle y trouve naturellement sa place. C’est un premier documentaire, mais il est dans la veine des trois dernières fictions. Il évoque la création de la vie depuis la naissance de l’univers et célèbre en même temps la nature comme dans tous les longs-métrages du réalisateur. Ce film est à la fois très différent et extrêmement proche de ceux qui le précèdent, comme s’il y avait une unité du travail du réalisateur depuis 2011… même s’il y travaille depuis plus de quarante ans. À l’heure des bilans, Voyage of Time : Au fil de la vie ne laisse pas indifférent, encore une fois, c’est la marque de fabrique de Terrence Malick. Les détracteurs du cinéaste détesteront encore plus, les fans apprécieront le travail réalisé, tout en espérant que la prochaine fois, peut-être, on pourrait passer à autre chose. Cela tombe bien, Song to Song, le prochain projet du réalisateur sort dès cet été !


  1. Des images magnifiques que vous ne pourrez, hélas, plus voir en salles. Pour une raison qui reste mystérieuse, le distributeur français de Voyage of Time : Au fil de la vie a choisi de sortir le film lors d’une séquence unique, le jeudi 4 mai 2017. Si vous ne l’avez pas vu à ce moment-là, vous ne pourrez pas le voir sur grand écran… c’est un peu dommage et on ne sait même pas ce qui est prévu pour la suite.