WALL•E, Andrew Stanton

L’idée qui a abouti à WALL•E a émergé au sein du studio Pixar dès les années 1990. C’est juste après Toy Story, au cours d’une séance de réflexion pour trouver de nouvelles idées, que l’idée d’un robot abandonné sur Terre par les humains prend forme. Mais à l’époque, l’idée était trop audacieuse et il manquait surtout un élément clé, qui allait conduire au long-métrage tel qu’on le connait aujourd’hui : l’amour. Reste que l’idée originale n’a pas changé et sa radicalité surprend encore, huit ans après la sortie du long-métrage. Le personnage principal d’Andrew Stanton est un robot qui n’a pas de traits humains et qui ne parlent pas. Et pendant un bon tiers du film, c’est tout ce que l’on voit : deux robots qui ne parlent pas, sur une planète déserte, sans aucun humain à l’écran. Malgré cela, WALL•E est une histoire d’amour profondément humaine, en même temps qu’un plaidoyer vibrant pour l’écologie et contre notre société de consommation. C’était un pari fou, sans doute considéré comme impossible pendant le développement, mais le résultat est un grand film, un des meilleurs Pixar. Un chef-d’œuvre qui ne prend pas une ride !

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Entre les mains d’une autre équipe, le projet aurait pris une toute autre tournure. Le bon sens aurait dicté un point de départ radicalement différent, mais certainement pas cette première partie, où l’on n’a à l’écran que des robots qui ne parlent pas. WALL•E tient son nom d’un robot de nettoyage laissé il y a 700 ans de cela par les humains, alors qu’ils abandonnaient leur planète devenue invivable. L’idée était de partir quelques années dans l’espace, le temps que des robots fassent le ménage et de revenir ensuite sur une planète à nouveau belle et verte. Cela devait durer 5 ans, sept siècles plus tard, seul un petit robot poursuit inlassablement son travail, sans savoir pourquoi il a été programmé, sans même savoir qu’il y a des humains, quelque part dans l’espace. Et le spectateur n’en sait pas plus, c’est ça l’idée la plus forte d’Andrew Stanton, et c’est ça qui fait de WALL•E une œuvre résolument à part. Quand le film commence, on découvre la Terre polluée depuis l’espace, la caméra plonge sur les États-Unis et on comprend instinctivement que l’on est dans un futur où tout s’est mal passé. Ce n’est pas une apocalypse nucléaire, ni une attaque de zombies, c’est bien pire que cela : la pollution est devenue telle, les déchets ont tant envahi les rues de nos villes, que l’humanité s’est condamnée à l’exil. Les dessinateurs de Pixar n’ont pas fait les choses à moitié et la représentation de ce monde déserté est glaçante, à la fois parce qu’elle est complètement crédible, et parce que le désespoir est total. Il n’y a plus aucune trace de vie et les gratte-ciels sont désormais concurrencés par des tours de déchets compacité inlassablement par ce petit robot. Il travaille toujours les jours sans se fatiguer, mais sans raison aussi. Qui voudrait habiter cet endroit désolé ? Qui le pourrait, même ?

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On ne s’attendait pas à un tel point de départ dans un film d’animation familial, et pourtant c’est bien celui d’Andrew Stanton et de son équipe. Ils n’ont fait aucun compromis, c’est une histoire radicale racontée sans prendre de pincettes et c’est un récit qui prend les spectateurs par les tripes. Même si WALL•E n’est pas explicitement motivé par son message politique, c’est une œuvre totalement politique et qui est d’autant plus forte qu’elle provient d’Américains et qu’elle dénonce essentiellement ce modèle où le capitalisme à outrance peut conduire à la fin de l’humanité telle qu’on la connait. Ce n’est pas le sujet le plus original qui soit, certes, mais on aurait tort de sous-estimer son impact dans un long-métrage aussi grand public. Montrer la planète dans un tel état juste après le générique Disney, c’est une expérience incroyable et qui reste toujours aussi puissante. L’histoire ne reste pas sur Terre toutefois et l’intrigue nous emmène finalement dans l’espace, à bord du vaisseau spatial Axiom, l’un des vaisseaux de croisière où les humains devaient rester cinq ans seulement. Environ 700 ans après, l’image n’est pas belle à voir : à force de ne rien faire, les humains ont muté, leurs os ont fondu, ils ont grossi et ils ont appris à ne plus rien faire. Ils passent leur journée sur des tapis qui flottent et avancent sans effort, devant des écrans qu’ils ne quittent jamais des yeux et ils se contentent de voir des programmes débiles, d’échanger par l’intermédiaire de leur écran et de manger de la nourriture servir liquide et consommée à la paille. Là encore, il faut saluer le courage de WALL•E, qui présente une société terrifiante – qui voudrait ressembler à ces patates qui ont tout oublié, y compris à marcher ? –, mais au fond extrêmement proche de la nôtre, aujourd’hui. On n’en est pas encore à ce stade, mais on fixe constamment nos écrans plutôt que de regarder autour et on essaie souvent de limiter les efforts physiques au strict nécessaire. C’était vrai à la sortie du film en 2008, ça l’est encore plus aujourd’hui : par certains aspects, Pixar a prédit le futur et c’est assez terrifiant. Mais c’est aussi une critique de notre société extrêmement convaincante et qui contribue à ancrer la réalisation dans nos mémoires.

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Critique d’une efficacité redoutable, WALL•E est aussi une histoire d’amour improbable entre deux robots. Improbable, parce que WALL•E et EVE ne pourraient pas être plus différents : le premier est un vieux robot rouillé et cabossé chargé de collecter des déchets pour les compacter et les rassembler ; elle est un robot flambant neuf investi d’une mission bien plus noble, qui est de trouver la preuve que la vie est à nouveau possible sur Terre. Pixar joue des oppositions pour former un couple, ce qui est assez attendu, mais si leur amour est improbable, c’est d’abord parce que ces deux robots utilitaires ne sont pas censés pouvoir en éprouver. Ils ont tous deux une mission à remplir et ils ne doivent pas s’en dévier. D’ailleurs, quand EVE finit par trouver la plante, elle entre dans un mode éteint, une forme de coma programmé qui l’empêche d’agir. Ce sont deux robots, Andrew Stanton prend grand soin de ne pas l’oublier et il n’en fait jamais des humains déguisés, une solution de facilité bien décevante. À la place, il suit une piste beaucoup plus complexe et aussi infiniment plus intéressante : sans jamais perdre de vue leur nature de robots, il écrit une histoire d’amour qui est à la fois crédible et touchante, pour ne pas dire déchirante. Depuis Toy Story, c’est incontestablement le point fort de Pixar, mais WALL•E pousse ce principe de rendre humain ce qui ne l’est pas à son paroxysme. Avec deux ou trois accessoires, le héros de cette histoire devient infiniment humain et ce n’est pas parce qu’il est muet qu’on ne le comprend pas. Bien au contraire, en le privant de sa voix, les scénaristes en ont fait un être capable de toucher universellement, petits et grands, de toutes les origines géographiques ou sociales. Ce robot poussiéreux et dépassé technologiquement est le vrai moteur de l’histoire et même si EVE est aussi réussie dans un style très propre inspiré directement par celui d’Apple1, son personnage est loin d’être aussi passionnant2. Mais il est essentiel, puisqu’il fallait une romance qui puisse convaincre, et c’est absolument le cas. Comment ne pas fondre quand ces deux robots apprennent à se tenir à la main, ou bien quand ils dansent ? Aussi absurde que cela puisse paraître, le neuvième long-métrage Pixar est une grande histoire d’amour, et pas seulement pour un film d’animation.

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WALL•E fut un projet de longue haleine pour Pixar, lancé très rapidement, abandonné souvent, retravaillé constamment jusqu’à la forme que l’on connait aujourd’hui. Un travail difficile, mais la récompense est telle que tous ces efforts en valaient assurément la peine. Plus que dans toutes ses autres réalisations, le studio a réussi à imposer cette idée d’humaniser un objet et la réussite est totale. La technologie a évolué en huit ans, mais le travail d’Andrew Stanton et des animateurs reste bluffant. Et puis le film brille par le soin apporté aux détails, les clins d’œil à l’histoire de l’humanité ou à d’autres œuvres et en particulier à 2001, Odyssée de l’espace qui flotte au-dessus du long-métrage. Quel que soit l’angle, WALL•E est toujours une réussite totale et il restera sans conteste comme l’un des plus grands films sortis des cerveaux de Pixar. C’est déjà un classique, à voir et à revoir…


  1. Steve Jobs n’avait pas seulement remis Apple sur la voix du succès à l’époque, il a aussi propulsé Pixar. Et c’est avec WALL•E que les deux univers se sont le plus entrecroisés : son de démarrage des Mac pour le héros, design consulté avec l’aide de Jonathan Ive, le designer d’Apple, pour l’autre robot. 
  2. On peut en revanche saluer l’effort des scénaristes pour sortir des lieux communs. C’est le robot féminin qui est agressif et qui tire sur tout ce qui bouge, c’est le masculin qui est apeuré et frêle.