Pour son dernier long-métrage, David Michôd quitte son Australie natale et aussi la noirceur absolue qui caractérisait ses deux premières réalisations. Après le portrait de famille psychologiquement très violent d’Animal Kingdom et après l’enfer post-apocalyptique désespéré de The Rover, il change de registre et de genre avec ce qui est présenté comme une farce contre la guerre menée en Afghanistan par les États-Unis et leurs alliés. Inspiré par un essai de Michael Hastings sur cette guerre, War Machine est une fiction qui ne s’éloigne pas non plus vraiment de réalité. David Michôd ne parvient pas souvent à faire rire et disons-le, il ne signe pas une farce très réussie. Néanmoins, il démonte méthodiquement l’effort de guerre dans la région et à cet égard, le film produit par Netflix est un pamphlet très efficace et convaincant.
Après huit ans de guerre contre l’Afghanistan et toujours aucun résultat, le général américain à la tête de l’opération est remplacé pour trouver enfin une vraie solution. Après avoir dirigé les troupes en Irak, le général Glen McMahon est ainsi envoyé dans le pays et c’est sur ce point de départ que commence War Machine. La présentation du général et surtout de tous ceux qui travaillent avec lui est faite par un narrateur, sur un ton caustique qui met très bien en valeur leur ridicule. Le général lui-même est une caricature du militaire américain, il est né dans une base militaire et il n’a fait que ça toute sa vie. Alors qu’il est à l’apogée de sa carrière, c’est un soldat fier et sûr de lui qui avance d’un pas déterminé, certain de la victoire nécessaire de son pays. Sauf qu’il a été envoyé sur place moins pour gagner une guerre qui semble de toute manière toujours plus virtuelle que pour trouver une solution pour retirer rapidement les troupes alliés du pays. David Michôd montre très bien le décalage entre la nouvelle équipe, pétrie de bonnes intentions et aveugle sur leurs options pour gagner, et les hommes venus de Washington pour essayer d’expliquer que Barack Obama espère une sortie rapide et qu’aucun envoi supplémentaire de troupes est envisageable. Ignorant tout cela, le nouveau-venu élabore une stratégie militaire de reconquête en commençant par un territoire jamais vraiment maîtrisé par l’armée américaine et toujours largement aux mains des Talibans. Pour cela, il a besoin de 40 000 hommes et face au refus de l’administration de remonter sa requête au Président, il diffuse son rapport à la presse et finit par obtenir ses hommes.
Le modèle suivi par David Michôd est le général Stanley McChrystal, resté un an à la tête de la guerre en Afghanistan, envoyé sur place pour trouver une solution de retrait rapide et qui a au contraire cherché à relancer la guerre avant d’être viré par un article publié dans Rolling Stones. Même si War Machine n’est pas une histoire vraie au sens strict, il s’inspire très largement de cette réalité, trop pour ne pas y voir une critique en bonne et due forme de la part du réalisateur. Certes, le projet va régulièrement du côté de la farce et ce n’est pas son point fort. Brad Pitt se perd un petit peu dans les mimiques trop forcées et son personnage ressemble à un bouffon, mais c’est le seul dans ce cas étrangement, tous les autres sont sérieux, à l’exception de Ben Kingsley qui est sur le même ton pour incarner le président afghan, marionnette de l’armée américaine. Il y a quelques moments qui font sourire, mais la comédie n’est manifestement pas le point fort de David Michôd et on est plus dans le sarcasme lourd de sens que dans l’humour pur. Le cinéaste dénonce ici une guerre inutile et même nocive, menée pour de mauvaises raisons et sous couvert de mensonges à base de liberté et de démocratie. Le décalage entre les objectifs affichés du général et la réalité du terrain, où un enfant peut si vite devenir une victime collatérale d’un conflit sans fin, est cruelle à regarder. Ces militaires sont sur un nuage, incapables de comprendre la réalité et de prendre conscience qu’ils sont les envahisseurs qui font du mal au pays et non la solution. Ce n’est pas drôle et ça ne devrait pas l’être, c’est triste comme l’intervention d’une journaliste allemande (Tilda Swinton, très bien) le prouve bien lors d’une séquence poignante.
War Machine filme une guerre sans ennemi, littéralement, puisque l’on ne voit jamais une seule fois un Taliban pendant deux heures. Ce n’est pas un accident ou un hasard : David Michôd montre que ces soldats motivés qui débarquent en Afghanistan s’apprêtent à combattre une guerre qui n’existe plus et qui n’a probablement jamais existé. Dommage d’avoir présenté ce long-métrage comme une farce, c’est bien plus un pamphlet contre la guerre et une belle démonstration de la stupidité humaine. Au fond, War Machine est plus proche des deux précédents films du réalisateur qu’on pourrait le croire, même si le style est très différent. Dans tous les cas, il s’agit bien de montrer les pires penchants de l’homme et c’est toujours aussi glaçant.