Welcome, Philippe Lioret

Plus d’une semaine après la sortie, j’ai enfin pu réussir à voir Welcome, le dernier film de Philippe Lioret qui avait fait l’actualité avant même sa sortie à cause de la « polémique Besson ». Cette polémique ne doit pas occulter un très beau film, certes engagé, certes dénonciateur, mais d’abord un film humain et plein d’émotions. Un film imparfait, certes, mais le meilleur de la trilogie engagée que j’ai apparemment suivi inconsciemment : après le décevant Harvey Milk et l’intéressant Boy A, Welcome est un film avec des défauts qui ne nuisent pas à son intérêt global.

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La première partie du film est sans doute la meilleure. On suit alors Bilal, jeune Kurde de 17 ans qui a traversé l’Europe à pied et veut maintenant atteindre coûte que coûte l’Angleterre où l’attend l’amour de sa vie. Le rythme est intense, la caméra suit les acteurs au plus près, on est au cœur de l’action, le suspense est même là pendant une première tentative de passage. On est en présence d’un cinéma de très haut niveau, comme rarement le cinéma français en produit, et je dois dire que j’ai été plutôt étonné.

Le souci est que cela ne pouvait pas durer sur la longueur d’un film, et que pour vendre, on sort les vedettes (Vincent Lindon ou Audrez Dana) et la bonne vieille histoire censée émouvoir le spectateur (un divorce). Après le premier échec de passage, l’image suivante est Simon/Vincent Lindon, professeur de natation dans une piscine de Calais, et là, j’ai craint le pire (même si je savais que ça allait arriver, mais la première partie avait réussi à me le faire oublier). Et pourtant, Welcome fonctionne plutôt très bien et se révèle moins caricatural que prévu.

Ce succès revient d’abord aux trois acteurs principaux, tous épatants avec une mention spéciale pour Vincent Lindon qui, eh bien, fait du Vincent Lindon, mais ici c’est idéal. Le jeune acteur qui joue le rôle de Bilal est également très bien, même si le film l’éclipse quelque peu sur la fin. Comme souvent dans le cinéma français, les seconds rôles sont moins satisfaisants, à l’image de ce voisin forcément raciste délateur, ou des policiers tous pointés du doigt comme les méchants. Néanmoins, je suis injuste : les policiers ne font que leur travail et sont fatigués par ce dernier, on sent de la lassitude, de l’impuissance aussi face à ce qui semble constituer un flot que rien ne pourrait arrêter. En définitive, comme je le disais, le film n’est pas aussi caricatural qu’il aurait pu l’être, et on ne peut que féliciter Philippe Lioret d’avoir su, ainsi, éviter les pièges traditionnels. Il ne se fait avoir qu’à une reprise ou deux, notamment sur les scènes de couples. D’ailleurs, toute cette histoire de divorce me paraît en trop : le récit aurait gagné à se concentrer sur le couple émigré/sauveur.

Le film se veut dénonciation très claire et parfois brutale de la situation actuelle à Calais. Ça n’est pas anodin, d’ailleurs, que Besson ait répondu comme il l’a fait à ce film, car c’est évidemment la faillite d’un système qui est mis en valeur. Les migrants sont comme des hordes nuisibles qui se déplacent dans les zones portuaires et importunent les bonnes gens. Quiconque aurait l’idée saugrenue d’aider l’un des candidats à la traversée serait lourdement sanctionné, jusqu’à 5 ans de prison, simplement pour aider un homme en difficulté. Manifestement, les Droits de l’Homme annoncés comme étant universels n’ont pas leur place à Calais, où l’on peut prendre un auto-stoppeur à la condition qu’il ne soit pas clandestin et où donner à manger à un clandestin vous vaut multiples ennuis avec la police. Le film se veut réaliste sur ces éléments, et c’est assez affligeant : les policiers vont quand même jusqu’à inscrire au marqueur le numéro de matricule des clandestins sur leur main. Évidemment, on pense alors aux camps de concentration… autant dire qu’il y a plus fin

Le film est à son meilleur niveau quand il montre cette situation presque kafkaïenne qu’est le Calais d’aujourd’hui, mais aussi quand il développe la relation filiale un peu troublante qui s’instaure entre Simon et Bilal. D’un côté, la reconnaissance, de l’autre un mélange d’émotions diverses. Sans nul doute, la volonté se briller auprès de son ancienne femme, bénévole qui lui reproche de ne rien faire pour aider les clandestins. Mais pas seulement, il y a aussi comme la pensée qu’il fait la bonne chose : sa réaction est comme viscérale, il ne la remet jamais vraiment en cause, même pas quand on lui vole ce qu’il a de plus précieux. Il agit parce qu’il le doit, point. On entrevoit aussi un sentiment d’amour émerger pour l’adolescent, amour filial sans doute, mais le film semble esquisser autre chose ((Malheureusement, sitôt l’homosexualité évoquée, le film la détruit totalement sur le mode de la dérision. Mais pourquoi le cinéma français se croit obligé de tout expliciter ? Le doute vaut dix fois mieux que la certitude…)), peut-être simplement une admiration pour le courage, souvent absurde, du jeune homme. Peut-être également qu’il se revoit, plus jeune, quand il était encore un champion dans une piscine. Toujours est-il que le film parvient à faire passer de belles émotions ici qui font oublier, au moins partiellement, le côté parfois lourdaud du film.

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Welcome conserve quelques une de ce que je considère être des tares du cinéma français : le film aurait gagné à éviter soigneusement l’histoire du divorce qui n’apporte rien et alourdit l’intrigue. Il aurait aussi gagné à conserver la place initialement laissée au jeune kurde, plutôt que de la céder à Vincent Lindon, pour des raisons purement commerciales.

Ceci étant dit, il ne faudrait pas s’arrêter à ces défauts et bouder ce très beau film, à la fois révoltant et très humain. Et je rejoins Critikat : s’il faut passer par un réalisateur à succès et une vedette pour obtenir un bon film français engagé, alors soit ! Télérama a carrément adoré, alors que les Inrockuptibles ont détesté. Je suis d’ailleurs d’accord avec ces derniers, sauf que du coup, ils jugent très sévèrement un film qui n’en méritait pas tant. Je me demande s’il ne faut pas y voir un certain snobisme de la part de ce journal, snobisme que l’on retrouverait alors pour les Cahiers du cinéma (mais je ne connais pas leur avis). Autant je trouve l’unaninisme des critiques un peu exagéré et autant je soupçonne chez certains journaux beaucoup de politiquement correct, autant le refus pur et simple des deux journaux précédemment cités me paraît suspect.

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