Amis d’enfance, Matt Damon et Ben Affleck se sont surtout faits connaître pour leurs rôles devant les caméras, mais ils ont aussi commencé leur carrière en tant que scénaristes. Le premier esquisse un scénario à la fin de ses études à Harvard, le second vient l’aider à le compléter et c’est ainsi que Will Hunting est né. Pour le porter au cinéma, Gus Van Sant est chargé de la réalisation et c’est l’un de ses derniers long-métrages « classiques » avant la trilogie expérimentale des années 2000. De fait, Will Hunting n’est pas une œuvre radicale, ni sur le fond, ni sur la forme, mais cette histoire d’un génie psychologiquement fragile qui trouve sa voie avec l’aide d’un psychologue est très bien menée, portée par d’excellents acteurs et une mise en scène discrète, classique, mais d’une maîtrise totale. Un drame passionnant, que l’on (re)voit avec toujours autant de plaisir.
Le film ouvre avec une séquence de cours, à Harvard : Gerald Lambeau, un brillant professeur de mathématiques, vient de lancer un défi à ses élèves. Celui qui réussira à résoudre un problème affiché dans le couloir recevra toute sa considération et une publication dans la prestigieuse revue du M.I.T. Le soir même, un technicien vient faire le ménage, s’arrête devant le tableau et résout l’équation sans aucune difficulté apparente. C’est le point de départ de Will Hunting : ce jeune homme du sud de Boston, qui a grandi avec un père adoptif violent, n’a jamais eu d’éducation avancée, mais il voit une équation ou n’importe quel autre sujet en mathématiques, physique ou en chimie, et il connaît instinctivement la solution. Un vrai génie en somme, mais totalement inexploité : ayant grandi dans un univers violent, Will est devenu lui aussi violent et il ne veut rien faire d’autres que de trainer avec ses amis, boire des coups et frapper de temps en temps un type qui ne lui plait pas. Le scénario se construit d’ailleurs à partir d’une baston de rue qui envoie son personnage principal en prison. Remarqué par le professeur de mathématiques de Harvard, il est libéré à condition de suivre un traitement psychologique. Les psys défilent et l’intelligence de Will joue contre lui : il ne parvient jamais à répondre normalement aux questions, il lit à travers les professionnels et se moque d’eux, les déstabilise et il est en général rejeté dès la première séance. Will Hunting bascule à partir du moment où le personnage principal rencontre Sean Maguire, un psychologue brisé depuis la mort de sa femme, mais qui ne va pas se laisser démonter par le génie. Loin du thriller que les deux acteurs avaient écrit dans un premier temps, la suite reste ici très classique, mais menée à la perfection par Gus Van Sant. Le jeune homme s’ouvre petit à petit et sa situation s’améliore, mais ce déroulé prévisible n’est pas un défaut.
Bien au contraire, en s’attachant plus longuement à la relation entre Will et Sean, Gus Van Sant trouve le ton juste et déploie un drame touchant et prenant. Le génie du personnage principal n’est jamais tout à fait le sujet de Will Hunting, dans le sens où le scénario l’admet sans chercher à l’expliquer, ou à la remettre en cause. D’ailleurs, on n’a jamais l’explication complète, tout au plus sait-on que Will retient tout ce qu’il voit sans difficulté, et que son esprit suit un raisonnement logique propice aux sciences. Dans l’une des scènes du film, il s’énerve contre le mathématicien qu’il juge stupide, à ne pas comprendre ce qui est évident pour lui : une belle démonstration de sa solitude. C’est ce que comprend immédiatement Sean, le psychologue : ce jeune homme souffre de son génie qui l’isole par rapport au reste de la société, il est seul dans son monde et il compense avec son attitude rentre-dedans, voire violente. Le réalisateur parvient parfaitement à rendre la complicité naissante entre les deux hommes, même si ce n’est pas un processus facile. Au départ, le psychologue prend des coups de son patient, mais il parvient à s’imposer progressivement. L’une des scènes les plus connues de Will Hunting se déroule sur un banc d’un parc de Boston et c’est la première fois que le jeune homme se tait, comme s’il prenait enfin conscience que Sean pourrait l’aider. La bonne idée de Gus Van Sant, c’est de mettre en avant la relation à deux sens : certes, le psy aide son patient, mais le patient aide aussi le médecin à faire son deuil et à aller de l’avant. Le duo fonctionne à la perfection et le cinéaste pouvait compter sur ses deux acteurs : Robin Williams, fort justement récompensé d’un Oscar, est plein de tristesse et il excelle dans son rôle. Mais on retiendra surtout la prestation étonnante de justesse de Matt Damon : le jeune acteur n’a pas encore beaucoup d’expérience, mais il trouve le ton toujours juste et il sait être émouvant, notamment sur la fin.
Loin des expérimentations qui ont suivi, Will Hunting est une œuvre très classique, mais Gus Van Sant a fait un excellent travail sur ce drame. Le cinéaste trouve le ton juste, entre l’émotion à la fin et l’humour provoqué par ce génie qui surpasse tous ceux qui l’entourent. Les acteurs sont tous très justes, Robin Williams est parfait dans le rôle du psychologue et on passe un excellent moment. Classique, peut-être, mais une réussite : Will Hunting mérite bien sa réputation.