Dans le cinéma américain, il y a certes le blockbuster à l’hollywoodienne, mais aussi un cinéma alternatif, bien plus proche de celui que l’on peut connaître de ce côté de l’Atlantique. Meilleur film au festival de Sundance, Winter’s Bone fait sans aucun doute partie de cette deuxième catégorie. Ce film indépendant frappe par sa sécheresse et son ambiance plombée : Winter’s Bone n’est pas un film forcément très agréable, mais c’est un film réussi.
Ree a 17 ans et elle doit déjà s’occuper seule d’un foyer et de ses deux jeunes frère et sœur. Sa mère est bien là aussi, mais elle est trop malade pour ne serait-ce que se soucier de ce qui se passe autour d’elle. Son père a disparu sans laisser de traces et Ree parvient à vivre tant bien que mal et à nourrir la famille, souvent avec l’aide des voisins. Dans le fin fond des États-Unis, au cœur de la forêt d’Ozark dans l’Arkansas, les moyens de subsistance sont rares et difficiles à trouver, surtout pour une jeune fille de 17 ans qui a, on le comprend bien, arrêté tôt ses études. La situation empire encore quand le shérif vient lui apprendre que son père a été arrêté, emprisonné et qu’il a mis la maison familiale en guise de caution pour sortir. Reste qu’il doit se présenter de toute urgence face à la justice américaine, sous peine de faire saisir la maison : or il est introuvable. Pour sauver sa maison et sa famille, Ree va donc partir en quête de son père, ou au moins de ses os.
Cette quête prend des allures de quête initiatique et de passage de l’adolescence à l’âge adulte. Sur son chemin, la jeune Ree va faire une série de rencontres, aller à la rencontre de son père, de son passé. Un apprentissage donc, mais il convient de le relativiser : d’emblée, Winter’s Bone montre une jeune fille extrêmement mature qui a prématurément vieilli avec le poids des tracas. Elle sait se débrouiller seule, faire à manger y compris avec simplement des écureuils chassés dans le bois près de la maison. Il n’empêche que ses rencontres constituent une sorte d’apprentissage, souvent à la dure, à coups de poings ou de rejets. Au passage, le film laisse découvrir un univers stupéfiant que l’on peine à imaginer dans un pays comme les États-Unis. Un univers de misère déjà où tout le monde semble vivre dans des bicoques bricolées à la va-vite avec le strict confort minimal. Un monde où l’on peut ne pas manger à sa faim, être totalement abandonné par la société et laissé à soi-même. Le seul travail provient de la terre ou de la drogue : on la fabrique, on la vend et la contrainte étatique semble bien légère. La loi du plus fort règne en maître, comme dans un Western : chacun dispose évidemment de plusieurs armes tandis que les familles composent des sortes de bandes mafieuses. Il y a un parrain, patriarche bourru, et des hommes de main qui sont ici, souvent, des femmes. L’ensemble fait vraiment froid dans le dos et si Debra Granik a peut-être accentué quelques points, on sent bien que son film est réaliste, ne serait-ce que parce que les personnages ne sont jamais figés, mais évoluent, nuançant au passage leur noirceur.
On l’aura compris, Winter’s Bone n’est pas un film qui respire la joie de vivre. Film d’ambiance plus que d’intrigue, il impose un climat plombé quasiment de bout en bout qui peut s’avérer assez éprouvant. On est plongé dès les premières images dans un monde sans couleur et sans douceur qui ne fait pas du tout envie. Le récit n’épargnera rien à son héroïne qui devra, souvent bien malgré elle, s’enfoncer dans l’horreur au fur et à mesure que sa quête avance. Ici, la famille n’est pas synonyme de fêtes et de réjouissances, mais plus de règlements de comptes, aigreurs et de secrets liés au commerce de la drogue. Autant le dire, Winter’s Bone n’est pas un film très agréable, même s’il n’est pas uniformément noir. Il ménage tout d’abord quelques brefs moments de relatif bonheur, notamment avec le frère et la sœur qui ont encore droit à l’insouciance de leur jeune âge et qui peuvent se permettre de jouer à cache-cache dans des mottes de foin ou de sauter sur un trampoline : bonheur simple et rare, mais bien présent. Si la famille n’est pas toujours très agréable chez Debra Granik, elle est aussi synonyme de groupe soudé et d’entraide, à tel point que la fin de Winter’s Bone n’est pas aussi noire que prévu. Outre ces quelques rayons de soleil, le film est parcouru de notes quasiment fantastiques qui tranchent avec son aspect par ailleurs très réaliste. Certains plans dans la nature morte de l’hiver en Arkansas semblent presque irréalistes, alors que certaines femmes ressemblent fortement aux sorcières d’un conte, avec leur nez crochu, le menton en avant et l’air bourru. Cet aspect de Winter’s Bone est assez inattendu et lui apporte une originalité bienvenue.
Winter’s Bone est un film d’ambiance et cela se voit. La photographie du film est ainsi marquée par une absence de couleurs, une image désaturée qui traduit bien la tristesse de paysages hivernaux sans vie. Debra Granik a apporté un soin tout particulier à ses décors et le résultat est réussi : les maisons délabrées sont vraiment bien construites et transmettent bien un sentiment de fragilité en même temps qu’une certaine oppression. Winter’s Bone est aussi une série de personnages extrêmement réussis, de fortes gueules assez impressionnantes à regarder. Merab, personnage secondaire essentiel dans le récit, est certainement la femme la plus impressionnante du film et elle fait froid dans le dos dès la première scène. Le personnage principal est également très bien interprété par la jeune et prometteuse Jennifer Lawrence, tandis que l’on est heureux de voir le trop rare John Hawkes (croisé dans Deadwood) pour interpréter son oncle.
Sur le papier, Winter’s Bone a un peu des airs de caricature de film indépendant américain. Il est vrai que ce qui fut un cinéma vraiment original est un peu devenu une industrie formatée, comme l’est Hollywood, mais Debra Granik n’est pas tombée dans le piège de la caricature. C’est peut-être la sécheresse du traitement de son sujet qui sauve le film : l’ambiance pesante fait beaucoup dans le succès du film. À découvrir.
Même enthousiasme chez Alexandre qui livre une analyse croisée avec le néoréalisme italien qui est très intéressante. Nicolas en fait même une « pure claque cinéma », mais les avis sont partagés, comme en témoignent ceux, très négatifs, de Rob Gordon ou Critikat qui s’avèrent très sévères contre un film jugé sans intérêt et même trop caricatural dans le côté indépendant façon Sundance.