Quand Bryan Singer se lance dans la réalisation de X-Men, le cinéaste ne s’est encore jamais frotté aux superhéros. Le réalisateur a d’ailleurs été difficile à convaincre et il s’est donné le temps de la réflexion avant d’accepter ce travail difficile d’adapter, pour la première fois au cinéma, l’histoire des X-Men. Ce groupe de superhéros se distingue d’autres personnages de comics par leur mutation : alors que la plupart des superhéros trouvent leur force dans leur origine différente ou dans leur fortune, ceux de X-Men sont des humains qui ont évolué différemment. Une idée forte autour de laquelle se construit un premier volet très politisé. Bryan Singer n’oublie pas l’action, mais il prend le temps de poser ses personnages et surtout un contexte politique et social. Une ouverture passionnante qui n’a pas pris une ride, même si les effets spéciaux accusent le poids des années.
L’humanité a évolué très rapidement et, dans un futur que l’on imagine très proche, une partie des hommes a muté. Avec la mutation, ils ont acquis des capacités supplémentaires qui varient d’un individu à l’autre : l’un crée des champs magnétiques, quand l’autre crée des boules de feu ; certains accèdent à la pensée d’autres individus, d’autres guérissent immédiatement, d’autres encore peuvent déplacer des objets sans bouger, etc. Ces mutants inquiètent les humains qui se sentent inférieurs, mais X-Men ne filme pas l’opposition entre mutants et humains. C’était le sujet le plus évident, le plus facile à traiter, mais ce n’était sans doute pas le plus intéressant et Bryan Singer ne s’y est pas trompé. Plus complexe, son scénario se base sur l’idée assez logique que les mutants ne sont pas tous égaux. Ils n’ont pas tous les mêmes pouvoirs et ils vivent plus ou moins bien leur mutation. Mais surtout, ils n’ont pas le même avis sur leur place avec les hommes restés normaux. Un camp pense qu’il faut cohabiter en paix et que l’éducation permettra aux hommes d’oublier leurs préjugés et leurs peurs à l’encontre des mutants. En face, d’autres mutants ont un regard plus agressif : puisqu’ils sont au stade supérieur de l’évolution, pourquoi laisser une place aux humains qu’ils jugent inférieurs ? L’opposition entre ces deux groupes de mutants et, à travers eux, deux visions du futur est le vrai sujet de X-Men. C’est un sujet qui est aussi politique et traité comme tel par Bryan Singer qui place d’ailleurs, quasiment au tout début du film, une séance parlementaire où les sénateurs discutent d’une loi visant à répertorier tous les mutants. Ce sera beaucoup plus clair dans X-Men : Le Commencement qui relance la saga en reprenant quelques années auparavant, mais on peut déjà lire des thématiques politiques récentes dans ces luttes politiques. Toute proportion gardée, on peut remplacer la mutation par le communisme ou le judaïsme : l’ouverture dans un camp de concentration ne doit d’ailleurs sans doute rien au hasard…
Outre un univers, X-Men a la lourde tâche d’introduire quelques personnages clés de la saga. Même si on découvre une bonne dizaine de mutants tout au long du film, Bryan Singer s’intéresse plus particulièrement à l’un d’entre eux, Logan, dit Wolverine. Ce mutant guérit très rapidement de n’importe quelle blessure et il est ainsi quasiment impossible à battre. Autre particularité, il peut sortir des griffes en métal de sa main et on découvre pendant le film que tout son corps est plein du même métal. Le cinéaste a vu juste en choisissant ce mutant comme personnage principal de fait de son long-métrage : Wolverine est devenu depuis le cœur de la saga et même à l’origine d’une saga parallèle pas toujours réussie, mais c’est bien le signe de sa popularité. Il faut dire que ce mutant au départ isolé et sauvage, mais qui se laisse séduire par Malicia, jeune mutante aussi fragile que dangereuse, est un excellent personnage et on comprend sans peine le choix de Bryan Singer. Pour l’interpréter, Hugh Jackman, acteur australien encore inconnu du grand public, fait déjà des merveilles dans le genre bourru. Autour de lui, X-Men dévoile plusieurs mutants, tout en gardant quelques surprises pour la suite, parmi lesquels Professeur X et Magneto. Anciens amis, ces deux mutants sont à la tête des deux factions que l’on détaillait précédemment quand le film commence. Avec cette nouvelle saga, Patrick Stewart trouve une porte de sortie alors que celle qui l’a fait connaître, Star Trek, est sur une pente descendante ; il est ici sobre et très bien en Charles Xavier et Professeur X. Face à lui, Ian McKellen n’a pas encore explosé en Gandalf, mais il compose déjà un Magneto réussi. Un bon casting, mais la vraie star de ce premier X-Men reste le scénario mis en œuvre par Bryan Singer. On a fait des films de superhéros plus spectaculaires depuis, mais rarement aussi fins et bien écrits…
Avec X-Men, Bryan Singer lance une saga avec un premier épisode étonnamment politique. S’il n’oublie pas aussi d’être spectaculaire, surtout sur la fin bien sûr, ce n’est pas ce que l’on retiendra en premier lieu aujourd’hui. Les effets spéciaux de la fin des années 1990 ont vieilli, même s’il faut noter que le long-métrage s’en tire plutôt bien sur ce point. En revanche, la vision politique dénuée de manichéisme fonctionne toujours aussi bien. Belle intuition pour ce cinéaste qui n’avait jamais touché aux superhéros auparavant : X-Men est un blockbuster efficace et divertissant, certes, mais pas seulement. À (re)voir avec plaisir…