Créée notamment par David Simon à qui l’on devait déjà la mythique série Sur Écoute, Treme n’a jamais connu le succès mérité, ce qui ne l’empêche pas de faire partie des meilleures productions HBO, rien de moins. Il faut dire que le scénario n’est pas forcément très attirant sur le papier : la série pose ses caméras à la Nouvelle-Orléans quelques mois après l’ouragan Katrina pour suivre la vie de quelques habitants. C’est tout, et c’est pourtant génial. Treme plonge ses spectateurs dans l’univers et la culture d’une ville qui fait beaucoup fantasmer, mais que l’on connaît souvent mal. De la gastronomie à la musique, en passant par l’incontournable Mardi Gras, on découvre en profondeur cette région presque totalement détruite par l’ouragan. Personnages attachants, réalisation très soignée : David Simon et Eric Overmyer ont réussi à construire une grande série, qu’il faut à tout prix (re)découvrir !
Même si Treme n’évoque pas directement Katrina, la tempête est évidemment centrale dès la première saison. La série a été diffusée à partir de 2010, cinq ans seulement après les évènements, mais avec déjà un sens de l’histoire assez impressionnant. Le pilote déjà montre très bien la ville dévastée par l’inondation qui a tout emporté sur son passage et largement détruit les habitations souvent fragiles qui bordent les rues de la Nouvelle-Orléans. Ce sont surtout les quartiers Noirs et pauvres qui ont été touchés et c’est précisément ce qui intéresse les deux créateurs de la série. Après tout, son nom même vient de Tremé, le quartier à l’origine où habitaient les esclaves noirs affranchis. D’emblée, le ton très politisé de la série surprend. Dans l’une des premières scènes, un professeur de littérature interrogé peu après Katrina s’en prend aux politiques qui ont abandonné la ville et laissé les digues s’abimer jusqu’à la catastrophe. Cette idée que Katrina n’est pas qu’une catastrophe naturelle, mais d’abord un abandon des dirigeants traverse toute la série qui reste ainsi extrêmement politique, souvent sans en avoir l’air. Quand les reconstructions commencent, d’autres enjeux sont soulevés : le choix des quartiers à sauver et ceux à détruire n’a rien d’innocent et Treme met parfaitement en avant les choix des dirigeants en faveur des populations blanches et riches, au détriment des pauvres souvent noirs. David Simon et Eric Overmyer multiplient les personnages et piochent dans toutes les classes sociales et toutes les ethnies pour offrir un panel aussi représentatif que possible. Cette approche très large est sans conteste l’un des points forts de la série : on découvre ainsi non pas une Nouvelle-Orléans, mais plusieurs versions de la ville, loin des clichés touristiques. Et ce n’est pas toujours un univers paradisiaque, car les quatre saisons n’éludent pas les nombreux problèmes qui se posent. Après Katrina, la ville est presque totalement détruite et il faut tout reconstruire. Pour beaucoup, c’est l’espoir de mieux construire, mais là encore, la diversité des points de vue est parfaitement présentée. Pour les uns, cela veut dire éradiquer le crime et la corruption qui régnaient en maître, pour les autres, cela veut dire s’enrichir en construisant une ville sans pauvreté. Tous ces débats sont omniprésents et passionnants, avec un regard très dur porté sur la police et l’administration en général.
Treme est une série foncièrement politique, c’est vrai, mais c’est aussi bien plus que cela. La Nouvelle-Orléans est une ville de culture, où la musique en particulier joue un rôle central, et à son image, la série est baignée d’un bout à l’autre de musique. Ce n’est certainement pas pour rien que le pilote ouvre sur une séquence musicale, en l’occurrence une « second line », c’est-à-dire la parade qui suit une parade officielle et autorisée, une spécialiste de la ville. On découvre quelques personnages clé dans cette séquence, mais l’objectif est surtout de plonger les spectateurs dans cette musique portée par les cuivres, omniprésents. Et pendant quelques minutes, David Simon et Eric Overmyer ne racontent rien de spécial, préférant repousser l’introduction de l’intrigue au profit de l’écoute simple et gratuite. C’est un trait caractéristique de cette série : Treme n’hésite pas à faire la part belle à la musique et chaque épisode a droit au minimum à trois ou quatre séquences musicales. Qu’il s’agisse de concerts, d’enregistrements en studio, de musique de rue ou bien même de musique enregistrée, on entend en permanence quelque chose et on a même souvent de longues séquences avec la musique filmée et rien d’autre. Ces scènes sont toujours très bien cadrées et rendues intéressantes par le jeu des points de vue, ce qui est d’autant plus impressionnant qu’il s’agit le plus souvent de vrais concerts et non pas de reconstitutions. En effet, même s’il y a des acteurs professionnels, la série fait appel à un grand nombre de locaux et en particulier à beaucoup de musiciens de la Nouvelle-Orléans. Cela se sent pour le réalisme et Treme est ainsi pleine de musiques, avec là encore beaucoup de variété. Comme en tout, la série veut montrer la diversité et on autant du jazz très traditionnel que du métal ou du rap. Tous les genres sont représentés, mais avec cette constante : la musique est au cœur de la série, à tel point qu’elle peut être considérée comme l’un des personnages1. Et ce n’est pas le seul aspect de la culture locale qui est montrée : la cuisine a aussi une belle place avec une chef parmi les personnages principaux, et les Indiens et leurs étonnants défilé sont aussi au rendez-vous. L’ensemble est fascinant, on en apprend énormément sur la Nouvelle-Orléans et on n’a plus qu’une seule envie en terminant Treme : arrêter ce que l’on fait et prendre le premier vol vers la Louisiane. Une belle réussite, d’autant que le portrait de la ville n’est absolument pas enjolivé et que certains aspects sont même vraiment révoltants.
C’est à la qualité de ses personnages que l’on reconnaît une grande série, et Treme rejoint sur ce point les meilleures du genre. Tous les personnages sont extrêmement bien écrits, leur personnalité fouillée est toujours très réaliste et on suit avec beaucoup de plaisir leur quotidien. Certes, David Simon et Eric Overmyer ne racontent rien d’extraordinaire, mais quel besoin d’en faire plus ? Le quotidien souvent difficile de ces hommes et femmes qui luttent pour retrouver une ville qu’ils aiment tant est largement suffisant pour occuper une série et même plus. Pour tout dire, on aurait aimé ne pas quitter Treme aussi abruptement, après trois saisons complètes et une quatrième interrompue beaucoup trop tôt. On aurait voulu en savoir plus sur ces personnages attachants, les suivre encore et connaître encore mieux la Nouvelle-Orléans. Les scénaristes ont trouvé une très belle manière de couper la série, c’est vrai, mais on ne peut s’empêcher de regretter l’absence de reconnaissance du public. Pourquoi une aussi grande série est-elle passée autant inaperçue ? C’est inexplicable, mais il n’est pas trop tard : si vous aimez les séries, ne passez pas à côté de Treme, vous le regretteriez !
- Si vous aimez la musique qui vient de la Nouvelle-Orléans, la bande originale de la série en donnera un bon aperçu. ↩