Le Château dans le ciel est le premier projet du tout nouveau studio Ghibli, le premier long-métrage réalisé par Hayao Miyazaki au sein de l’entreprise fondée quelques années avant sa sortie. Après Nausicaä de la vallée du vent, cette nouvelle réalisation ne connaît pas encore le succès énorme de Mon voisin Totoro, sorti deux ans plus tard, mais c’est pourtant l’un des plus beaux films du réalisateur. Il concentre tous ses thèmes phares, de la relation entre les hommes et la nature à l’aviation, en passant par le parcours d’une héroïne dans un univers hors du temps, mais fortement inspiré par l’Europe que le cinéaste apprécie tant. Plus cohérent techniquement que son prédécesseur, Le Château dans le ciel n’a pas pris une ride et reste, trente ans après sa sortie, un Ghibli incontournable. Un classique, à (re)voir sans hésiter !
Ce château volant évoqué par le titre n’est pas tout à fait au cœur du long-métrage, même s’il est constamment évoqué par les personnages. Néanmoins, Hayao Miyazaki repousse au maximum sa présence à l’écran et sa découverte par les personnages n’intervient qu’assez tard, dans la deuxième moitié du film. Le Château dans le ciel se concentre au départ sur ses deux jeunes héros, un garçon qui travaille dans la mine et qui découvre une fille tombée du ciel un beau jour. Elle est inconsciente, mais porte à son cou une pierre mystérieuse qui la maintient en l’air et donc en vie. Une aura de mystère entoure ainsi d’emblée le projet, d’autant plus que la séquence d’ouverture présentait cette jeune fille prisonnière de mystérieux hommes qui ressemblaient à des agents secrets, et poursuivie par des pirates menés par une femme non moins étonnante. À partir de cette base, le réalisateur construit un récit de fuite pour ses deux protagonistes, puis de quête de château volant, nommé Laputa. Si le nom vous dit quelque chose, c’est peut-être normal : le réalisateur a construit son récit à partir du « Voyage à Laputa », l’un des épisodes imaginé par Jonathan Swift dans Les Voyages de Gulliver. Il ne s’agit pas vraiment d’une adaptation, puisque Hayao Miyazaki retient surtout le concept et le nom de l’île volante, mais invente le reste, les personnages et l’univers, mais aussi le sort de Laputa. En effet, contrairement à Swift, Le Château dans le ciel est ici un lieu désolé et abandonné depuis des années, un lieu plein de mystère qui rappelle un autre mythe européen, celui de l’Atlantide. Dans les deux cas, on retrouve un endroit perdu depuis des années, dont l’existence même est remise en cause par la majorité. Dans les deux cas, on a une civilisation très avancée, mais qui a complètement disparu jusqu’au jour où les personnages la retrouvent. Est-ce que le studio Disney s’est inspiré de ce film quand il a imaginé Atlantide, l’Empire Perdu, une quinzaine d’années plus tard ? Toujours est-il que l’on retrouve ici et là quelques points communs dans le traitement et l’esthétique.
Hayao Miyazaki se distingue, comme toujours, par ses sujets et Le Château dans le ciel condense toutes les thématiques chères au cinéaste. Il oppose constamment deux univers, celui créé par l’homme avec ses mines qui ouvrent la terre en longues galeries sombres et avec ses villes qui recouvrent complètement la nature. Même si le scénario ne le dit jamais directement, on peut aussi comprendre que la fin de Laputa est associée à un retour de la nature, avec cet immense arbre qui place ses racines infinies partout et recouvre ainsi toutes les créations humaines. Celles-ci sont qualifiées à plusieurs reprises de formidables et le scénario laisse entrevoir en effet ce que les habitants de ce château volant pouvaient faire, mais le long-métrage est aussi systématiquement négatif dans sa présentation de la technologie. Les robots en particulier sont amusants à regarder, mais ils se transforment en formidables machines de guerre et sont la cause de destructions impressionnantes quand ils sont gérés par les humains. Enlevez ces derniers de l’équation, et vous avez le robot abandonné dans le château, en parfaite harmonie avec la plante et les animaux. Le message est clair et Hayao Miyazaki n’a eu de cesse de le répéter dans sa filmographie, mais il a rarement été aussi clair et direct qu’ici. Le Château dans le ciel exploite par ailleurs la traditionnelle héroïne Ghibli, Sheeta, une princesse qui s’ignore et qui fait preuve d’un courage surprenant pour son jeune âge. C’est aussi le cas de Pazu, son compagnon de route qui n’est qu’un garçon, mais qui vit seul et travaille déjà : dans tous les cas, Hayao Miyazaki ne s’adresse pas aux enfants sur un ton débile, mais presque comme les adultes. Un angle qui le différencie de toutes les productions Disney et de la majorité des films d’animation, tout comme les personnages secondaires, pleins de surprise. Dans la première scène, la princesse est faite prisonnière et on pense d’abord que les pirates menés par Dora viennent la sauver, avant de constater qu’ils sont là pour la capturer à leur tour et l’héroïne finit par se sauver toute seule. Par la suite, le rôle de Dora et de ses enfants benêts évolue à plusieurs reprises, jamais dans la caricature attendue et avec une douceur inattendue sur la fin.
Très influencé par l’Europe, que ce soit pour l’idée de base qui pioche chez un écrivain irlandais, ou pour les décors inspirés par un séjour du cinéaste au Pays de Galles, Le Château dans le ciel conserve pourtant toute sa particularité. Toutes les créations de Hayao Miyazaki partagent quelques points communs, qui sont ici très clairs, si bien que l’on ne se sent pas en Europe, mais bien dans le Japon du réalisateur. Ce n’est que le deuxième long-métrage pour les studios Ghibli nés deux ans avant sa sortie, mais c’est déjà une œuvre profonde, passionnante et qui a très bien vieilli. C’est probablement à cela que l’on reconnaît un classique : Le Château dans le ciel mérite incontestablement d’être vu et revu !