C’est Netflix qui a porté le dernier projet en date des deux frères Coen, mais c’est un drôle de résultat qui est proposé finalement. À l’origine, ils devaient tourner une mini-série de six épisodes. À l’arrivée, La Ballade de Buster Scruggs est un film à sketchs composé de six segments, certainement les six épisodes prévus à l’origine pour la série. Pourquoi ce changement ? Les deux cinéastes se contentent de répondre à qui leur demande que ce format était toujours voulu, ce qui est manifestement faux, mais on n’en saura pas plus. Un long-métrage de près de deux heures et quart, six histoires différentes, mais toutes dans le genre du western et mâtinées d’humour comme Joel et Ethan Coen savent si bien le faire. À l’heure des bilans, difficile de s’émerveiller pour le résultat. Il y a de bons moments et une ou deux pépites, mais cet assemblage est trop hétéroclite pour convaincre tout à fait.
Le premier segment commence néanmoins très fort. La ballade du titre, c’est celle que l’on découvre dans ce premier morceau, où un homme (Tim Blake Nelson, excellent dans ce rôle) sème la mort sur son passage, mais en chantant, et avec le sourire. Les frères Coen jouent à plein sur les décalages et c’est très drôle, avec une esthétique assez kitsch, manifestement faite de carton-pâte, mais qui correspond très bien à ce décalage du personnage principal. Le ton est donné, et La Ballade de Buster Scruggs pourrait être une succession de parodies de western, mais c’est une fausse piste. L’idée des réalisateurs est plutôt de rendre hommage à divers formes de westerns et le ton change totalement d’un segment à l’autre. Le suivant se construit à partir de l’attaque d’une banque et les mésaventures du voleur (James Franco, correct), condamné à la potence à deux reprises. L’humour est toujours présent, mais on est très loin de la comédie musicale de l’épisode précédent, il s’agit clairement d’un humour très noir comme les cinéastes savent le faire. La morale semble être que la mort règne en maître dans les westerns, une idée que l’on retrouve systématiquement dans la suite. Après ces deux épisodes d’une quinzaine de minutes, Joel et Ethan Coen allongent leur format dans un épisode de près d’une demi-heure. Changement de rythme, et de ton aussi, avec cette histoire très sombre d’un homme-tronc qui se donne en spectacle tous les soirs dans des villages perdus du Far West. On est en hiver, les spectacles ne rapportent plus grand-chose et on sent très vite que l’homme qui gère tout cela (Liam Neeson, qui ne dit que deux mots) veut trouver mieux. C’est un petit film assez aride, pratiquement sans aucun dialogue, si ce n’est le récit du spectacle, répété inlassablement et qui se termine sur une note assez tragique. On peut déjà le dire à ce stade, La Ballade de Buster Scruggs n’hésite pas à varier les genres et à passer du tout au tout, sans forcément de cohérence d’ensemble.
On enchaîne ainsi avec un segment encore très différent, autour d’un seul personnage, un chercheur d’or (Tom Waits, impeccable) en quête d’un filon dans une vallée paradisiaque. La photographie et la mise en scène évoquent davantage un film d’animation qu’un western classique, on pense à Bambi avec ces couleurs et les animaux, et naturellement, c’est une manière pour les deux réalisateurs de jouer sur les contrastes avec ce qui suit. Entre comédie musicale et drame du western, c’est un épisode étrange, pas désagréable, mais que l’on oubliera vite. Le suivant redresse la barre toutefois, et c’est à la fois le segment le plus long de La Ballade de Buster Scruggs — environ 40 minutes au compteur — et le plus riche. La piste de l’Oregon, un groupe de chariots et même une attaque d’Indiens… quoi de plus classique que cela ? À l’intérieur de ce cadre, Joel et Ethan Coen développent une histoire d’amour entre l’une des migrantes (Zoe Kazan, vraiment géniale dans le rôle) et l’un des hommes qui encadrent la procession. C’est tout simple, et en même temps, les personnages ont la place pour exister et on dépasse le simple cadre du sketch, pour la première fois dans le film. Les acteurs sont impeccables et le twist final est typique des cinéastes et assez dévastateur à la fois… indéniablement, un excellent passage. Le dernier segment est plus décevant, hélas. Ici encore, le film adopte un classique du genre, une calèche, les dialogues entre ses occupants… on pourrait évoquer les grands noms du western, mais à dire vrai, c’est surtout à Quentin Tarantino et à ses Huit Salopards que l’on pense. Il y a le même sens du dialogue et surtout des histoires racontées par chaque occupant… pourquoi pas, mais l’épisode ne parvient pas vraiment à décoller. L’idée est assez claire, mais ce n’est pas aussi convaincant que ce que les réalisateurs devaient envisager et ce n’est pas la photographie qu’un Tim Burton n’aurait pas renié qui arrange les choses. C’est un épisode manifestement d’expérimentation pour les frères Coen, il lui manquait sans doute une histoire et des personnages plus intéressants pour sortir du lot.
À l’heure des bilans, La Ballade de Buster Scruggs est un long-métrage assez étrange, qui aurait peut-être mieux fait d’en rester au format de série. Certains épisodes sont très brefs et ressemblent vraiment à un sketch comique, d’autres plus longs sont plutôt des pastilles dramatiques et l’ensemble n’a pas vraiment de cohérence d’ensemble. Si ce n’est l’amour manifeste du western que les deux réalisateurs expriment assez bien. Plus qu’une parodie, c’est bien cela que Joel et Ethan Coen dévoilent avec ce nouveau film : une lettre d’amour au genre du western, en six épisodes inégaux. La Ballade de Buster Scruggs se regarde sans déplaisir, mais on n’est clairement pas au niveau des meilleures réalisations du duo…