The Leftovers, le troisième côté du miroir est un essai qui se penche sur The Leftovers, cette excellente et si troublante série créée par Damon Lindelof et Tom Perrotta. Rares ont été les œuvres de fiction aussi intenses, mais aussi obscures. Chacune des trois saisons de cette série portée par HBO bouleverse les règles que l’on croyait bien établies et le scénario nous emmène à chaque fois sur de nouveaux terrains, sans jamais s’expliquer. Sarah Hatchuet et Pacôme Thiellement alternent pour essayer d’apporter quelques éclairages à tout cela, mais ne vous attendez pas à une grille de lecture exhaustive. The Leftovers, le troisième côté du miroir est un essai, mais c’est aussi une réflexion très personnelle et pleine d’émotion sur la série. Si vous avez aimé The Leftovers, c’est un excellent prolongement.
The Leftovers (HBO, 2014-2017) nous oblige à nous poser cette question : que regardons nous quand nous regardons une série télévisée ? Elle nous y oblige par une stratégie narrative particulièrement osée : en ne cessant de nous perdre dans un scénario absurde et ambigu, déceptif et anxiogène, parfois même dérisoire, tout en nous disant « Tu sais », « Tu comprends », « You understand ». — Sarah Hatchuet et Pacôme Thiellement, The Leftovers, le troisième côté du miroir, Introduction
Cette question dans l’introduction donne une assez bonne idée du contenu à attendre de ce livre. Sarah Hatchuet et Pacôme Thiellement ne se contentent pas de raconter le processus créatif qui a conduit Damon Lindelof à se lancer dans l’adaptation du roman de Tom Perrotta, même s’ils l’évoquent en partie. Ils reviennent sur Lost que J.J. Abrams devait co-réaliser, mais qui a été finalement largement menée par Damon Lindelof seul. Ils évoquent sa fin si controversée, si mal comprise surtout, et ils reviennent sur les liens entre les deux séries, de manière souvent très intéressante d’ailleurs. On sent à ces occasions leur obsession pour le travail du créateur, pour les mythologies de Lost et de The Leftovers, leur connaissance extrêmement pointue des deux séries que tout semble opposer, mais qui sont en fait les deux faces d’une même pièce. Par bien des aspects, Damon Lindelof a été guidé par la fin de Lost et le rejet des fans quand il a co-écrit le scénario de cette nouvelle série. La première saison est adaptée du roman initial et c’est sans doute la plus « simple », la plus cohérente peut-être. La suite est en roue libre, sans roman derrière, et c’est là que l’on voit bien comment la série de HBO a tout fait pour perdre ses spectateurs et pour éviter à tout prix les polémiques sur la conclusion. La saison 2 comme la saison 3 ressemblent à des reboots, des retours à la case départ avec un nouveau cadre géographique, de nouveaux personnages et de nouvelles règles. En voyant la série au fur et à mesure, on ne réalise pas forcément qu’il y a une logique sous-jacente et surtout que cette logique est précisément de supprimer toute logique. Les deux auteurs le mettent bien en avant, tout en montrant à quel point c’est une démarche sérieuse et bouleversante par ce qu’elle dit et montre de notre société.
C’est ce que l’on retiendra surtout de cette lecture. The Leftovers, le troisième côté du miroir met le doigt sur des idées que l’on pouvait sentir en regardant la série, mais sans forcément les comprendre ou les intellectualiser pleinement. C’est un essai, oui, au sens strict, mais c’est plus que cela. C’est aussi l’évocation d’une expérience humaine et bouleversante, face à une œuvre de fiction qui semble assez innocente — et si 2 % de la population disparaissait, que se passerait-il ? —, mais qui en dit au fond beaucoup plus sur notre société que la moyenne. « En dire », ce n’est peut-être pas le mot, tant The Leftovers évite justement de dire des choses explicitement. Ses concepteurs préfèrent montrer et susciter en nous des émotions si fortes que des mots seraient insuffisants à exprimer. Et encore une fois, on n’a pas forcément compris qu’il était question de cela, mais Sarah Hatchuet et Pacôme Thiellement posent les vrais enjeux sans détour et leurs mots résonnent avec nos souvenirs de la série et les amplifient. Il est question d’Anthropocène, de capitalisme, de réchauffement climatique et de fin du monde. Quand ces mots apparaissent sur le papier, on se dit qu’ils sont peut-être exagérés, que les auteurs poussent un petit peu le bouchon. Ils avancent toutefois leurs arguments et peu à peu, on se sent de plus en plus convaincu que c’était bien le sujet de The Leftovers. Non pas que l’on soit totalement passé à côté en regardant les épisodes, mais que l’on n’avait pas mis le doigt dessus. Et même au-delà de la fin du monde, c’est encore plus cela, le sujet : plus que notre destruction, c’est notre aveuglement face à cette destruction qui est au cœur du travail de Damon Lindelof.
Au contraire, à travers l’évaporation apparemment inexpliquée de 2 % de la population, The Leftovers met en scène le début de la fin de l’humanité dans un monde aussi semblable au nôtre que possible […]. Mais surtout, et de manière inédite, la série révèle notre déni devant l’extinction, avec des personnages qui tentent de continuer leur vie comme avant, comme si de rien n’était. — Sarah Hatchuet et Pacôme Thiellement, The Leftovers, le troisième côté du miroir, Conclusion
Ces quelques mots, extraits de la conclusion de The Leftovers, le troisième côté du miroir, ont agi comme un électrochoc pour moi. C’est la force de cet essai, non pas tant de dévoiler les coulisses d’une excellente série, mais plutôt de faire sortir toutes les émotions que l’on a pu ressentir sans les comprendre ou les expliciter en regardant The Leftovers. Sarah Hatchuet et Pacôme Thiellement signent une œuvre très personnelle, mais qui devrait vous toucher si la série de HBO vous avait touché aussi. En tout cas, cela a été le cas pour moi.