L’Équipée sauvage a eu un tel retentissement à sa sortie, il est devenu si fortement ancré dans la culture populaire que vous en connaissez forcément des éléments, même si vous n’en avez pas conscience. Il a popularisé le concept du motard rebelle avec sa veste en cuir et son jean et contribué à renforcer la légende Marlon Brando. C’est un film culte, c’est absolument indéniable, et pourtant le long-métrage réalisé par László Benedek n’est pas forcément aussi riche et intéressant qu’on pourrait le croire. L’Équipée sauvage est une œuvre très simple et assez courte, où l’acteur star n’a pas autant l’opportunité de dévoiler son talent que dans d’autres œuvres de la même époque. Il mérite malgré tout d’être vu une fois pour découvrir l’un des piliers de la culture américaine des années 1950.
L’action se déroule quelque part en Californie, dans de petits villages très isolés et qui semblent à peine sortie de l’ère des westerns. Les rues ne sont pas encore recouvertes de goudron, le bar d’un côté et la prison du shérif de l’autre semblent tout droit sortis d’un film et László Benedek joue clairement sur cette image, où les cavaliers ont été remplacés par des motards. L’Équipée sauvage suit les agissements d’une troupe de jeunes rebelles qui sillonnent la campagne californienne sur leur moto, tous vêtus d’une veste en cuir où une tête de mort est bien mise en évidence. Ils n’ont pas vraiment de but, ils se déplacent de petites villes en petites villes, à la recherche d’une activité à faire, ou d’habitants à embêter. Cela commence à un endroit où une course de moto est organisée et les motards viennent mettre le bazar et perturber les festivités. La police locale les oblige à partir, ils reprennent la route et débarquent dans un autre bled encore plus paumé. Ils arrivent sur leurs engins pétaradants et font forte impression dans cette ville que l’on imagine habituellement tranquille. Quand l’un des jeunes de la bande est blessé par un véhicule, ils décident de rester en attendant son retour et c’est un cycle de problèmes toujours plus importants qui s’enclenche. Le scénario suit ainsi un tracé très simple, une simplicité renforcée par une durée très courte au regard des standards actuels, puisque L’Équipée sauvage ne dépasse qu’à peine l’heure et quart. Les jeunes rebelles arrivent dans la ville, ils s’amusent gentiment, mettent le bazar et enchaînent les bières, ce qui augmente leur agitation et les tensions avec les habitants.
C’est une confrontation entre deux générations, entre deux époques aussi comme en témoigne l’un des dialogues du film où les jeunes demandent au vieux serveur du bar ce qui se passe dans la ville. László Benedek construit son film autour de cette opposition et évoque quelques motifs de mécontentement entre les deux groupes. Les « adultes » témoignent constamment de leur incompréhension face à ces jeunes bruyants qui ne semblent pas avoir de buts, en tout cas à leurs yeux. En creux, on comprend que les motards ne se retrouvent plus dans cette société, celle qui a fait la guerre et qui semble décidée à vivre en paix sans rien faire de plus. C’est un symbole du baby-boom et une bonne représentation des conflits intergénérationnels qui sont au fond toujours là, et toujours similaires d’une époque à l’autre. Tout ceci est très intéressant, mais ce n’est pas forcément le sujet principal de L’Équipée sauvage. L’intrigue se resserre vite autour d’un duo : d’un côté, Johnny, le leader des motards incarné par Marlon Brando ; de l’autre, Kathie, la fille du shérif local jouée par Mary Murphy. L’histoire d’amour qui s’esquisse entre les deux concentre vite l’essentiel de l’intrigue et ce n’est pas forcément la meilleure idée du film. Depuis son interprétation dans Un tramway nommé Désir, l’acteur est devenu une star et on sent qu’il en a bien conscience et il a du mal à jouer sans en tenir compte. En tout cas, c’est ce que son interprétation laisse envisager ici, son jeu n’est pas aussi intéressant et varié que dans d’autres films. Est-ce parce que László Benedek n’a pas su le diriger correctement ? De manière assez surprenante, L’Équipée sauvage ne lui laisse que peu de lignes de dialogue, ce qui ne l’a sans doute pas aidé. Marlon Brando peut toujours compter sur son physique pour consolider son statut d’icône, et plus particulièrement d’icône gay ici au passage, mais ce n’est clairement pas son rôle le plus intéressant.
C’est le paradoxe de L’Équipée sauvage : le film pourrait être passionnant sur l’évolution de la société américaine, le passage d’une génération à l’autre ou encore sur ce monde entièrement contrôlé par des adultes qui ne comprennent plus la jeunesse. Ces éléments sont présents dans le long-métrage réalisé par László Benedek, mais ils sont secondaires, à l’arrière-plan au profit d’une histoire d’amour pas franchement intéressante. Malgré tout, L’Équipée sauvage a marqué son époque par bien des aspects et cette œuvre vaut toujours le détour pour cette raison.