Une étude scientifique (très sérieuse) sur l’érection distingue plusieurs stades, du tofu au concombre, en passant par la banane, pelée ou non. De cette idée est née un triptyque de series créées par Russel T Davis, célèbre créateur de Queer as Folk à la fin des années 1990. Tofu est une série documentaire sur l’homosexualité, Banana une série d’anthologie sur toutes les jeunes gay de Manchester et Cucumber une série plus traditionnelle sur les problèmes d’un gay. La première est à part, mais les deux autres sont liées par leurs personnages et les lieux. Ce trio de séries traite en tout cas systématiquement de l’homosexualité, avec une liberté de ton qui tranche avec le niveau moyen de la production. Et si Banana est davantage une expérience pas toujours convaincante, Cucumber est une excellente série qui vaut le détour.
Henry et Lance vivent ensemble depuis neuf ans, ils ont tous les deux la quarantaine et semblent former un couple stable et heureux. Mais tout bascule quand Lance demande Henry en mariage et qu’il refuse. Pour se venger, Lance organise un trio qui se termine brutalement quand Henry appelle la police et qu’il décide de se réfugier chez Dean et Freddie1, deux jeunes collègues de travail. Cucumber part de ce couple qui semble si stable et qui explose en plein vol, pour explorer les parcours de ces deux homosexuels qui ne sont plus les jeunes gays que l’on voit si souvent à la télévision. Russel T Davis a commencé à réfléchir à cette série juste après la diffusion initiale de Queer as Folk, avec l’idée d’explorer l’histoire de personnages plus murs, pour changer. La série finalement créée par Channel 4 a pris son temps, mais l’idée originale est restée et le scénario envisage tout ce qui peut arriver à Henry et Lance, tout prenant le temps de créer des personnages crédibles. C’est la force de cette série courte, huit épisodes seulement, et pourtant très riche. Les deux personnages principaux ont une psychologie travaillée, chacun a ses problèmes plus ou moins sérieux qui sont parfaitement envisagés. Cucumber n’évite aucun sujet, parle de sexualité de manière frontale — littéralement quand il est question de poils qui apparaissent sur le pénis avec l’âge — et sans fausse pudeur. Nulle pornographie ici, mais les personnages sont quasiment tous gays, ils pensent beaucoup au sexe et c’est un sujet de conversation constant. Henry a un problème avec le sexe anal et c’est un fil rouge à travers les huit épisodes, tout comme les frustrations de Lance, tandis que Russel T Davis n’évite pas de rappeler constamment le sex-appeal de Freddie. Rien n’est gratuit, tout est motivé par l’histoire et le cheminement des personnages. Et au bout du compte, c’est ça qui fait la réussite de Cucumber, le parcours de ce couple gay et de tous ceux qui les entourent, leurs difficultés et même la tragédie qui peut survenir brutalement.
Par rapport à cette série traditionnelle sur la forme, avec son histoire unique qui s’étire sur les huit épisodes, Banana ressemble davantage à une expérimentation un petit peu folle. Non pas que Cucumber soit particulièrement sage, elle contient aussi ce grain de folie qui est la marque de fabrique de Channel 4. Mais Russel T Davies pousse le curseur nettement plus loin avec ce deuxième volet du triptyque de séries, et on retrouve le côté déluré de Skins dans ce portrait de la jeunesse gay de Manchester. Henry est présent, Lance aussi, mais ce ne sont plus les personnages principaux. En fait, il n’y a pas de personnage principal, ou alors un seul par épisode. Le premier est consacré à Dean, le suivant à son amie Scotty et on a ainsi huit histoires et huit personnages. Ce dispositif est intéressant, mais il ne laisse pas suffisamment de temps pour créer des psychologies riches, d’autant que le format est encore plus court, chaque épisode durant une vingtaine de minutes. Tout va nettement plus vite et ce n’est pas toujours aussi réussi. Le plus amusant au fond, c’est de retrouver dans cette série les traces de Cucumber, on croise des lieux et des personnages, avec une évolution dans le temps comparable sur les deux séries. C’est bien, mais ce n’est pas non plus suffisant et Banana reste au bout du compte une expérience pas forcément toujours réussie, même si la série reste courte et divertissante, bien interprétée par un casting impeccable et très agréablement mise en musique.
Cucumber reste bien plus réussie et c’est une série qui mérite indéniablement d’être vue. Russel T Davis a créé des personnages intenses et hauts en couleur, tout en étant parfaitement crédibles et leur parcour est passionnant. La série de Channel 4 traite de multiples sujets, tous liés à l’homosexualité, mais qui parleront à tout le monde, de la vie en couple au deuil, en passant par les dégâts liés à l’âge. C’est une série sincère, drôle et touchante, ne passez pas à côté.
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- Qui ressemble tant au Justin de l’adaptation américaine de Queer as Folk que l’on se demande si ce n’est pas un clin d’œil… ↩