Entre les murs, Laurent Cantet (Palme d’or 2008)

Le dernier film de Laurent Cantet, Entre les murs, a créé la surprise à Cannes cette année. Si Laurent Cantet n’est pas un jeune cinéaste inconnu, ses films n’ont jamais vraiment dépassé une reconnaissance du « milieu », des critiques notamment, mais Laurent Cantet n’a jamais connu, à ma connaissance en tout cas, de véritable succès populaire. La palme contribuera sans nul doute à améliorer les entrées, mais d’après ce que j’ai pu en voir aujourd’hui (d’accord, il fait beau, mais quand même, une quinzaine de spectateurs au maximum le samedi après la sortie !), rien à voir ici avec un film comme Faubourg 36.

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Il faut dire que le cinéma de Laurent Cantet n’est pas vraiment le cinéma de Christophe Barratier (réalisateur des Choristes et du nouveau Faubourg 36 donc). Il s’agit d’un cinéma bien plus aride, plus proche de la réalité, en permanence à la limite entre documentaire et fiction, comme sur un fil. Que les choses soient claires : il s’agit bien de fiction, puisqu’un scénario et des dialogues ont été écrits mais aussi parce que le film est composé d’acteurs, en premier lieu le professeur de français, joué par François Bégaudeau dans son propre rôle mais dans un rôle quand même. Un peu comme avec Ressources Humaines, le réalisateur utilise la combinaison un acteur + une série de non-acteurs (les élèves en l’occurrence) même si le procédé est ici moins simple puisque les autres profs sont acteurs. Restent les élèves, de véritables élèves parisiens choisis dans des collèges pour faire le film. Il ne s’agit donc pas d’acteurs professionnels, et si bien sûr il y a eu une direction d’acteurs, on voit bien que Laurent Cantet a décidé de laisser une place très importante au naturel. L’idée est plutôt de lancer un sujet (par exemple l’imparfait du subjonctif) et d’attendre et filmer les réactions des élèves. De ce fait, les moyens techniques ont été adaptés pour rester les plus discrets possibles : point de grosses caméras sur rails, mais de petites caméras portatives placées dans la classe et filmant en permanence, aux aguets de la moindre réaction.

Ce parti-pris induit deux conséquences : d’une part, la spontanéité des élèves, leur naturel est bien présent et aucun dialogue, aussi finement écrit fut-il, ne pouvait retrouver cette spontanéité, ce naturel qui donne l’impression bizarre de se retrouver brutalement plongé quelques années arrières, au collège. Cette spontanéité peut parfois pencher vers le brouillon, ce qui est logique : dans une classe de collège difficile, on imagine très bien les élèves parlant à tort et à travers, les uns en même temps que les autres, sans qu’il n’y ait le moindre semblant de discipline. Cela ne m’a pas gêné, mais ce peut être le cas. D’autre part, ce choix technique influe sur l’esthétique du film. Comme son titre l’indique, le film se passe entièrement à l’intérieur de murs, en l’occurrence celui du collège : le film commence sur la rentrée du professeur et ne sort plus jamais du collège, pas même à la fin. Les murs ne sont cependant pas deux de la classe : entre la cour d’école, le bureau du proviseur et la fameuse salle des profs, le film se ballade dans l’univers du collège. Je ne sais pas si un choix plus radical (rester à l’intérieur de la classe) était possible, mais cela m’aurait intéressé. Les caméras par ailleurs bougent pas mal (sans jamais céder à la mode de la caméra à l’épaule pour faire vrai) et le cadrage est très serré. On est vraiment dans un huit-clos, qui aurait pu devenir étouffant, ce travers étant évité, je pense, par les plans hors-classe.

Le film repose d’abord sur les élèves et leur langage. Comme Abdellatif Kechiche l’avait filmé, notamment dans l’Esquive, Laurent Cantet filme la confrontation de deux langages, celui du professeur de lettres et celui de la rue et « des cités ». Une partie du film repose sur des problèmes de compréhension, de dérapages qui ne viennent pas uniquement des élèves — c’est une bonne idée de scénario d’ailleurs — mais aussi du professeur qui laisse échapper un « pétasse ». Les élèves prennent alors conscience du pouvoir de la langue, un pouvoir qu’ils semblent globalement ignorer tant leurs insultes sont variées et nombreuses, mais un pouvoir dont dispose le professeur qui prend un malin plaisir à l’utiliser à ses fins. Si le film ne favorise pas une des deux langues, il semble quand même dire qu’il faut maîtriser le langage courant, un language qui n’est pas littéraire (point d’imparfait du subjonctif, et pourtant, quel délice que cet imparfait du subjonctif ! (où l’on voit les ravages de la khâgne…) mais, peut-être, une sorte d’entre deux. Si le language a aussi une place importante dans le film, c’est parce que ce professeur de français décide de ne pas s’imposer par une discipline en fer, mais par le dialogue, un dialogue sérieux, quasiment d’adultes, avec les élèves. Ce choix fonctionne plutôt bien mais n’exclue pas quelques dérapages et, le film le montre bien, peut être dangereux pour le professeur qui se fait piéger avec les mêmes armes par ses élèves.

Ce film m’a globalement plu, même si je constate avec désespoir que c’est aussi le cas de Télérama, des Inrocks, de France Inter, bref que je reproduis les mêmes avis. Ceci dit, je serais moins dithyrambique que la plupart des critiques que j’ai lu. Déjà parce que tous les passages en salle des profs ou lors des divers réunions ou conseils m’ont semblé moins convaincant que ceux en classe, disons plus attendus, porteurs d’un discours plus marqué que dans la classe. Car, évidemment, ce film a un message : point de solution toute faite à un problème, le film n’est pas didactique, mais on sent bien que ces sujets touchent particulièrement un réalisateur que l’on sait engagé depuis ses premiers films. S’il reste très pessimiste (par exemple, un élève expulsé est menacé d’être renvoyé au bled, au Mali, par son père : le film n’en dit pas plus, mais on comprend que ce doit être le cas) et se termine d’ailleurs sur deux plans fixes dans la salles abandonnée par les élèves, il s’agit néanmoins bien d’un film qui dénonce la situation actuelle1 et qui, quelque part, essaie d’influencer les choses sans toutefois, heureusement d’ailleurs, donner à aucun moment de solution toute faite. La force du film est, à mon sens, de montrer le quotidien d’un prof dans une classe difficile et c’est pourquoi je trouve dommage d’avoir placé tant de scènes en dehors de la classe : peut-être qu’un film plus court et resserré sur la salle aurait été encore plus fort.

Comme toute fiction proche du documentaire, et se voulant proche du documentaire, Entre les murs peut certainement être critiqué par un manque de réalisme. Personnellement, cela ne m’a jamais frappé, mais je sais que des professeurs notamment ont fait cette critique.

Toujours est-il que ce film vaut la peine d’être vu. Je ne sais pas si la Palme était méritée, je ne suis pas sûr que l’on tienne là le film de l’année, mais Entre les murs reste un film intéressant, souvent drôle, où l’on passe un bon moment et qui est comme un bon contre-point à la Belle personne et ses lycéens quelque peu irréels. Leur sortie quasi-concomitante oblige à évoquer le film de Christophe Honoré même si les deux n’ont pas grand chose à voir, au-delà de leur sujet… Quant à savoir lequel est le mieux, c’est à chacun d’en juger !


  1. D’ailleurs, la mention de l’expulsion d’une mère d’élève, Chinoise sans papier, en plein XXe arrondissement est, bien entendu, une référence directe à l’actualité…