Alias, J. J. Abrams (ABC)

Alias est la deuxième série attachée au nom de J. J. Abrams, la première qu’il a créée seul. C’est ce qui en fait un projet à part, même si le réalisateur n’est pas resté seul maître à bord, on s’en doute bien. Les péripéties de l’agent secrète Sydney Bristow nous entraînent sur cinq saisons et une centaine d’épisodes d’une quarantaine minutes, le tout sur fond d’espionnage, de trahisons familiales et de prophétie venue directement du XVe siècle. Un mélange prometteur, mais le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. La série portée par ABC pose plusieurs problèmes, à la fois de dilution et à cause de scénarios souvent trop désinvoltes qui finissent par lasser. Alias aurait pu être une grande série, si elle avait été deux à trois fois plus courtes, et si les scénaristes avaient appris à tuer proprement leurs personnages. À défaut, la création de J. J. Abrams reste divertissante, mais on peut se contenter d’une saison ou deux pour en faire le tour…

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La première saison démarre sur les chapeaux de roue, avec quelques épisodes qui enchaînent les révélations. On découvre Sydney Bristow, agente pour le compte du SD6 qu’elle croit être une organisation secrète au sein de la CIA. Mais très vite, elle découvre qu’il s’agit en fait d’une organisation criminelle et qu’elle a été trompée par Arvin Sloane, l’homme à sa tête. Elle rejoint les rangs de la CIA et reste infiltrée au sein de l’organisation pour la détruire, mais les révélations ne s’arrêtent pas là et on découvre très vite que Jack, son père, est lui aussi un agent de la CIA infiltré au sein de l’organisation. C’est une marque de fabrique d’Alias, multiplier les révélations distillées tout au long d’un épisode, mais aussi de chaque saison. J. J. Abrams a commencé en suivant un schéma très régulier, où chaque épisode se terminait sur un petit cliff-hanger avant une énorme surprise à la fin de la première saison. Par la suite, l’écriture se fait moins automatique, mais on reste sur cette idée qu’une surprise nous attend à n’importe quel moment, et ce jusqu’à la dernière minute de l’ultime épisode de la série. C’est une bonne chose pour entretenir le suspense, c’est vrai, et il y a quelques rebondissements bien trouvés, mais le problème, c’est qu’à force d’essayer de surprendre, Alias finit par lasser. Et, ironiquement, la série finit par être prévisible, surtout dans ses dernières saisons qui peuvent devenir très lassantes. Il y a un système derrière l’écriture, mais son manque de subtilité explique qu’on le déchiffre trop facilement… dommage pour une histoire de prophétie où tout est teinté de mystères.

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C’est l’un des plus gros leviers dans cet effet de surprise constamment recherché, et c’est certainement le défaut le plus agaçant : les personnages ne meurent pratiquement jamais dans Alias. Non pas que l’on cherche nécessairement à tuer tous les personnages, mais les scénaristes ont cruellement manqué de cohérence et ont pris les morts à la légère, ressuscitant presque systématiquement tous les personnages importants après les avoir tués. C’est trop souvent le cas, à tel point que le spectateur finit par ne plus vraiment se soucier des morts, confiant que les personnages feront bien un retour sous une forme ou une autre, après une excuse souvent bidon. L’effet de surprise est alors anéanti et le plaisir de la série avec. Et il n’y a pas que la mort, la trahison est aussi répétitive, et on n’en finit plus de compter les trahisons/réconciliations/trahisons en boucle. Ce n’est pas le seul défaut d’Alias, l’autre point noir étant son ambition extrême combinée à un manque chronique de moyens. On sent que la chaîne qui a commandé les cinq saisons à J. J. Abrams ne voulait pas en faire un gouffre financier et si l’on compare à Lost qui a commencé pendant la production de cette série, également chez ABC, la différence est criante. Ici, les effets numériques sont tous affreux, mais les réalisateurs des épisodes n’en avaient apparemment pas conscience et ils s’entêtent à les utiliser et à les montrer de près. C’est un petit peu l’époque qui veut ça, mais malheureusement, les décors naturels ne sont pas meilleurs. Il faut dire qu’Alias est censée se dérouler aux quatre coins du monde, mais on reconnait toujours systématiquement Los Angeles et ses environs. La plupart des épisodes se déroulent en intérieur, dans des corridors qui se ressemblent tous, ou bien dans des ruelles toujours identiques.

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Tout n’est pas à jeter pourtant dans Alias et certainement pas son héroïne. Un des points forts justement salués par la critique concerne les multiples habits portés par Sydney à chacune de ses missions. C’est bien simple, Jennifer Garner est méconnaissable d’une scène à l’autre, avec des déguisements extravagants, toujours très bien travaillés. On pourrait discuter du réalisme de la chose, mais l’actrice excelle aussi à parler toutes les langues du monde et on sent qu’elle s’est donnée à 100 % pour la série, ce qui a porté ses fruits. Aussi absurdes puissent être ses missions, l’agent secrète se débrouille toujours et elle s’en sort sans forcer, comme si elle avait ça dans le sang. Au-delà de ce personnage, Alias intrigue aussi par la prophétie Milo Rambaldi qui reste toujours présente, parfois uniquement à l’arrière-plan. On retrouve bien là les passions de J. J. Abrams, à mi-chemin entre la religion, le mysticisme et la science-fiction, tout cet arc fantastique est une réussite et c’est lui qui incite à rester jusqu’au bout. Malheureusement, on a beau espérer un développement aussi bon que dans Lost ou plus récemment dans Fringe, mais on en reste toujours bien loin. La faute à une intrigue beaucoup trop diluée qui perd en intérêt, mais aussi à un manque d’inspiration. On fait monter la sauce autour de quelque chose qui parait vraiment énorme, le résultat est forcément un petit peu décevant. Néanmoins, si Alias s’était concentrée sur cet aspect et à condition de retirer la majorité des épisodes, on aurait pu avoir une série bien meilleure.

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On comprend sans peine pourquoi les audiences ont chuté rapidement après d’excellents débuts. Alias est très prometteuse, mais la série s’embourbe vite dans un dédale d’intrigues secondaires sans intérêt. Mais surtout, ses scénaristes ont pris leur sujet trop à la légère et ont privilégié l’effet de surprise à tout prix, ce qui a paradoxalement conduit à l’effet inverse. À trop répéter les coups de théâtre, à trop multiplier les organisations obscures et les méchants toujours plus diaboliques, la série s’est perdue et a perdu ses spectateurs par la même occasion. Disons-le, il faut se farcir les 105 épisodes pour espérer aller au bout et la première série de J. J. Abrams n’est pas une réussite. Si vous aimez les histoires d’espions et les déguisements, les deux premières saisons méritent le coup d’œil, mais il n’est probablement pas nécessaire d’aller plus loin. Dommage, Alias avait du potentiel.