Il a marqué des générations avec Bienvenue à Gattaca, un classique de la science-fiction qui reste encore aujourd’hui une dystopie extrêmement puissante et qui n’a pas perdu une ride. Depuis, Andrew Niccol continue de réaliser des films de science-fiction, mais ce nouveau long-métrage ne séduit pas plus que Time Out, le précédent. Anon repose lui aussi sur une bonne idée, mais qui n’est jamais tout à fait exploitée, ou en tout cas pas très bien. Le résultat est un film étonnamment vide, pas très original, qui enchaîne les clichés et qui ne restera certainement pas dans les annales. Dommage.
Anon est encore une fois une dystopie, un univers futuriste où la société a évolué pour le pire. Andrew Niccol imagine un monde où tout le monde est équipé d’implants occulaires qui augmentent la réalité, tout en enregistrant tout ce qui est vu par son porteur. Toutes ces données sont stockées sur un serveur centralisé, nommé « Ether », et la police peut y accéder pour découvrir la vérité, en théorie infaillible. Le personnage principal du film est, justement, un détective qui enchaîne ses journées à résoudre des crimes en quelques minutes seulement. Il lui suffit d’accéder à l’Ether, de regarder la vidéo enregistrée par la victime et de retrouver ainsi le coupable. La séquence introductive est plutôt bien réalisée, en montrant de la lassitude face à ce processus répétitif et même assez bête. Sal Frieland n’a plus vraiment besoin de faire un travail de police et le montage qui enchaîne les cas étudiés le montre bien. Sauf quand un premier meurtre présente une anomalie : l’enregistrement oculaire de la victime ne montre pas ce qu’elle voit, mais le point de vue du tueur. Comment retrouver le coupable quand il n’y a plus aucune trace ? Tout ceci n’est pas très original, le scénario écrit par Andrew Niccol rassemble plusieurs idées déjà croisées ailleurs et souvent exploitées dans Black Mirror, pour ne citer que l’occurrence la plus récente. Ce n’est pas original, mais ce n’est pas un problème en soi, on pourrait imaginer une variation sur ces mêmes thèmes qui fonctionnerait très bien. D’ailleurs, Anon a une bonne idée au cœur de son intrigue principale. Alors que Sal doit mener une enquête à l’ancienne, à partir d’indices physiques et de la logique, il poursuit une jeune femme qui n’existe pas dans le système censé être universel et qui répond en modifiant sa propre réalité. Son implant affiche des informations fausses par dessus la réalité, ce qui est extrêmement dangereux, comme on peut s’en douter. Il voit une rame de métro là où il n’y en a pas et passe à deux doigts d’être écrasé par la rame qui arrive réellement à quai. Plus tard, c’est son voisin qui apparaît menaçant avec une arme au poing alors qu’il n’en a pas. C’est une excellente idée, même si elle n’est pas nouvelle elle aussi, mais hélas, le film n’en fait rien.
On sent qu’Andrew Niccol a voulu souligner les points importants de son scénario, notamment les parallèles entre son univers et notre réalité où la surveillance généralisée devient un enjeu toujours plus fort. Anon est sorti peu après le scandale Cambridge Analytica et la remise en cause de Facebook et le réalisateur n’a pas manqué d’expliciter le parallèle. Très bien, sauf que ces intentions ne sont pas liées à du concret dans le long-métrage lui-même. Il ne suffit pas de quelques dialogues écrits de manière assez maladroite par ailleurs1 pour que le sujet soit traité, il faudrait l’exploiter davantage et en faire un enjeu central. À la place, l’intrigue est étonnamment vide, à l’image des décors et de l’univers de manière générale. Ce long-métrage sorti sous la bannière de Netflix ressemble pourtant à une petite production fauchée. Il n’y a personne dans les rues, à tel point que cela en devient comique : le personnage principal, par exemple, se gare devant l’entrée de son immeuble et c’est l’unique voiture de tout le quartier. On pourrait dire que c’est voulu de présenter un monde vidé, mais alors comment justifier l’un des plans où il y a effectivement des gens ? La vérité, c’est que Anon est anormalement vide, ce qui casse tout réalisme d’entrée de jeu. Sans compter que l’on a le sentiment d’avoir déjà croisé des centaines de fois cette vision du futur avec une touche de rétro, à base de vieilles voitures modernisées. La photographie extrêmement froide offre une image propre, mais qui renforce encore le sentiment que l’on est dans une caricature de science-fiction, et non dans un environnement bien réel. Il y a quelques réussites là encore, comme l’absence totale d’ordinateurs ou de smartphones ou bien les communications parfaitement silencieuses, mais l’ensemble est trop facile, ennuyeux, et parfois gâché. Pour reprendre l’exemple du son, quel dommage d’avoir voulu en ajouter un petit à chaque fois que les implants affichent une information. Le silence aurait été beaucoup plus fort, y compris si la bande-originale sans intérêt avait été largement diminuée. Malheureusement, les deux acteurs principaux ne font pas grand-chose pour sauver les meubles : Clive Owen est égal à lui-même, correct dans une attitude que l’on a déjà vue plusieurs fois avant ; quant à Amanda Seyfried, elle ne croit jamais à son personnage, et nous non plus.
À l’heure des bilans, il n’y a presque rien à sauver de la dernière réalisation d’Andrew Niccol. Anon est proprement réalisé, mais cruellement vide, dans tous les sens du terme. L’univers n’est jamais crédible, pas plus que les personnages et l’intrigue policière n’est guère plus intéressante. Que reste-t-il ? Une bonne idée qui n’est pas exploitée, quelques plans sympathiques, beaucoup de clichés. N’importe quel épisode de Black Mirror est plus fouillé et intéressant que ce long-métrage pourtant plus long. Anon ne mérite pas vraiment votre attention, mais c’est dommage, parce qu’il y a évidemment encore de quoi faire autour de la question de la vie privée et de la surveillance de masse.
Vous voulez m’aider ?
- De manière générale, l’écriture des dialogues n’est pas un point fort d’Anon. Ils manquent souvent de finesse et de réalisme, et tombent trop régulièrement dans le cliché sans intérêt, une caractéristique bien trop courante dans cette réalisation. ↩