Pendant que le monde s’effondrera, pourra-t-on continuer à regarder des séries apocalyptiques ? Sommes-nous déjà en train de le faire ? — Anne-Lise Melquiond, Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre, Le temps court de la catastrophe
Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre s’intéresse à la représentation de l’apocalypse dans la fiction télévisuelle américaine récente, avec un angle (im)pertinent : pourquoi imaginer le pire qui pourrait arriver sans jamais affronter la réalité qui arrive ? Anne-Lise Melquiond analyse des dizaines de films et surtout séries sorties aux États-Unis depuis le 11 Septembre et qui traitent de l’Apocalypse. Que ce soit une attaque extraterrestre comme avec Battlestar Galactica, une invasion de zombies avec The Walking Dead ou encore la disparition d’une partie de la population avec The Leftovers, toutes ces fictions ont de multiples points communs que l’autrice analyse avec brio. Mais son essai excelle surtout quand il revient à cette question lancinante : pourquoi est-ce que le réchauffement climatique n’est jamais abordé par la fiction américaine, alors même qu’il préfigure une apocalypse qui a déjà commencé ?
L’apocalypse, dans la fiction et pour le grand public, désigne la fin d’un monde. Au sens strict, quand des extra-terrestres viennent attaquer l’humanité ne laissant qu’une poignée de survivants, quand une catastrophe nucléaire rend la terre invivable en tuant la majorité ou encore quand une maladie transforme presque tous les humains en êtres assoiffés de sang. Avec une définition plus souple quand on évoque la disparition soudaine et mystérieuse de 2 % de l’humanité. Mais dans toutes ces fictions, l’idée reste la même : la vie telle qu’on la connaît est bouleversée, une nouvelle donne impose de se réorganiser pour survire. Anne-Lise Melquiond montre en quoi son corpus d’œuvres est traversé par les mêmes interrogations et les mêmes enjeux. Ces séries produites aux États-Unis posent à chaque fois les mêmes décors pleins de ruine, mais toujours foncièrement américaines, alors même que l’apocalypse est par définition mondiale. Le lien avec la culture américaine reste parfaitement visible, en particulier par le thème du western qui est constamment revisité dans ces séries apocalyptiques. Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre analyse aussi la relation de ces séries au temps, un point intéressant quand on songe que l’apocalypse est toujours un fait bref, prolongé sur des dizaines d’épisodes et plusieurs années de diffusion. De l’horloge omniprésente de 24 heures chrono à l’hiver qui n’en finit pas d’arriver dans Game of Thrones, la gestion du temps est toujours centrale dans ces œuvres. Outre ces thématiques communes, l’autrice se penche sur la représentation de l’apocalypse par la fiction, c’est-à-dire sur la manière dont la fiction s’empare d’un tel sujet et le présente de manière concrète. Comment les personnages doivent s’organiser pour se défendre et survivre et comment la question politique revient rapidement sur le devant de la scène, alors que toutes les structures traditionnelles ont disparu.
Multipliant les références et citations, Anne-Lise Melquiond offre une lecture toujours juste et fascinante de ces divertissements qui sont plus riches qu’on pourrait l’imaginer au détour d’un binge-watch. L’essai démontre bien qu’elles en disent long sur notre société, sur nos peurs et nos tabous. En particulier, Apocalypse Show, quand l’Amérique s’effondre interroge l’absence quasi-totale du réchauffement climatique, alors même que c’est un sujet qui n’a jamais été autant d’actualité. Une catastrophe nucléaire ou même une invasion de zombies sont des apocalypses qui restent confortables parce qu’elles n’impliquent pas notre responsabilité collective, et qui sont aussi plus faciles à vendre dans un monde où le capitalisme domine tant que l’on n’envisage même pas une fin du monde sans lui. C’est l’enseignement le plus fort de cet essai passionnant d’un bout à l’autre. Et si le sujet vous intéresse, vous pourrez le prolonger avec deux autres ouvrages de la collection : The Leftovers, le troisième côté du miroir qui se focalise sur l’excellente série de Damon Lindelof et Tom Perotta ainsi que Géographie zombie, les ruines du capitalisme qui se concentre sur les séries et films de zombies, en les envisageant déjà en opposition au capitalisme.