Avengers: Endgame, Anthony et Joe Russo

Cela fait plus de dix ans que les studios Marvel se préparent pour ce moment et Avengers: Endgame a la lourde tâche d’offrir une conclusion à l’immense saga lancée avec Iron Man. Enfin, une conclusion, c’est beaucoup dire, puisque l’Univers cinématographique de Marvel se poursuivra dans quelques mois avec un nouvel épisode de Spider-Man, puis surtout dans les années à venir avec une quatrième phase qui inaugurera une deuxième saga. Mais n’allons pas trop vite. Anthony et Joe Russo poursuivirent leur travail sur les Avengers avec un quatrième long-métrage qui conclut en fait Avengers: Infinity War sorti il y a tout juste un an. Ce dernier se terminait sur une énorme défaite des héros, alors que Thanos claquait des doigts et détruisait la moitié de l’humanité et de tous les êtres vivants de l’univers par la même occasion. Un Marvel/Disney ne pouvait pas rester sur cette note sombre et on se doutait bien que ça n’allait pas être la conclusion, contrairement à Avengers: Endgame qui termine explicitement un cycle. Malheureusement, le blockbuster le fait de la pire façon qui soit, avec un message franchement détestable pour ne froisser personne et plaire au plus grand nombre. Ajoutez à cela un monstre immense de plus de trois heures et vous obtenez un film écœurant, littéralement.

Avengers: Infinity War se terminait de manière spectaculaire, sur la mort de la moitié de tous les êtres vivants sur la planète, dont une bonne partie des super-héros de la saga. C’était assez gonflé, mais on se doutait bien que ce n’était vraiment la fin. Le film suivant reprend juste après, et réunit d’abord les personnages restants pour une petite quête de vengeance, mais Anthony et Joe Russo reprennent vraiment bien longtemps après. Il s’écoule en effet cinq ans entre les intrigues des deux films, et le monde s’est organisé sans la moitié de l’humanité. Dans un premier temps, Avengers: Endgame ressemble à un film post-apocalyptique, où la vie reprend ses droits petit à petit, malgré le choc encore récent. L’ombre d’une minute, on se demande si Marvel ne va pas nous surprendre avec une fin nettement moins spectaculaire, mais on ne fait pas un blockbuster de plus de trois heures pour ne pas renverser la table. De fait, le retour d’Ant-Man resté coincé pendant toutes ces années dans le monde quantique, comme on l’apprenait à la fin d’Ant-Man et la Guêpe, signale aussi le retour de l’espoir1. En passant par cet univers quantique, il y a peut-être moyen de remonter dans le temps pour tout annuler. Naturellement, ce plan se met rapidement en place et les héros restants remontent dans le passé pour voler les pierres d’infinité avant que Thanos mette la main dessus. Ce n’est pas une histoire très surprenante, certes, mais elle remplit le contrat et pourrait servir de base à une conclusion honnête. Quel est le problème, dès lors ? On ne sait pas vraiment par où commencer, mais prenons ces saupoudrages insupportables de bonne conscience. Alors même que Marvel a activement supprimé des personnages homosexuels des comics dans ses adaptations au cinéma, Avengers: Endgame semble redresser la barre avec un personnage gay. Fausse piste, ce n’est même pas un personnage secondaire, plus un figurant parlant et le sujet est évacué aussi vite qu’il est arrivé. Les scénaristes donnent le sentiment qu’ils avaient des cases à cocher. Les gays, c’est fait, pour les femmes, organisons une scène ridicule où toutes les super-héroïnes se retrouvent, mais sans cohérence et seulement pour dix secondes, n’exagérons rien. Et les afro-américains ? Un passage de flambeau symbolique à la fin, ça fera bien l’affaire. Il aurait probablement mieux valu ne rien faire du tout que de laisser ces petites mentions insultantes…

Le film souffre aussi de multiples incohérences scénaristiques. Pas (seulement) parce qu’une Audi électrique fait le bruit d’un gros V8, surtout parce que le voyage temporel est incroyablement mal traité. Il implique nécessairement des paradoxes, mais quand les personnages commencent par se moquer de ceux de Retour dans le futur, on espère que le scénario évitera les plus grossières. Hélas, c’est même le contraire, avec cette idée totalement folle que les personnages pourront annuler ce qui s’est passé cinq ans auparavant, sans perdre tout ce qui s’est déroulé depuis. Cela n’a aucun sens, pas plus que les règles qui semblent inventées au fur et à mesure par les personnages, sans justification. Pourquoi est-ce qu’il est possible de remonter jusqu’en 2012 et la première attaque de Thanos contre New-York, celle du premier film Avengers, mais pas au-delà ? Pourquoi est-ce que l’idée de tuer Thanos est aussi ridicule ? Les personnages disent que c’est le cas, ils ne le justifient jamais et cela ressemble à une excuse gratuite. De la même manière, pourquoi est-ce que l’on peut sauver la moitié de l’humanité, mais pas un personnage en particulier ? Tout repose sur ce postulat de base que l’on pourrait préserver ce qui s’est passé dans les cinq ans qui suivent l’événement annulé, mais cela ne tient pas plus de cinq secondes quand on y réfléchit bien. Et ne parlons pas de la fin en roue libre, où les pierres sont rapportées à leur époque originale, mais sans permettre à Thanos de reprendre sa quête, et où un personnage peut vieillir en parallèle et apparaître là, comme par magie. Sans compter que les personnages modifient en profondeur le passé, sans aucun impact avec le présent apparemment, ce qui est franchement facile. Les scénaristes donnent le sentiment d’avoir abandonné toute ambition d’offrir quelque chose qui se tient à peu près, mais alors qu’ils se moquaient dans un premier temps d’autres histoires sur le même sujet, c’est un peu gros.

Tout cela ne serait pas si gênant, si Avengers: Endgame ne se terminait pas de la manière la plus médiocre imaginable, en faisant de Thanos un grand méchant caricatural qui n’est là que pour tuer tout ce qui bouge. Anthony et Joe Russo avaient réussi à en faire un personnage intéressant et complexe2, ils détruisent cette image d’un revers de la main ici, avec un combat final aussi énorme que caricatural et décevant. Pire, le film laisse un arrière-goût désagréable, avec un message d’un autre temps, pour une œuvre carrément rétrograde, mais qui brosse une Amérique trumpiste et climato-sceptique dans le sens du poil. Ce n’est pas innocent que la toute dernière image du film soit celle d’une Amérique des années 1950 idyllique, apaisée et agréable avec ses couleurs sépia. C’est manifestement l’idéal de ce film qui ne se soucie jamais une seconde de l’état de la planète et donc du sort de l’humanité. Les héros d’Avengers: Endgame ne veulent pas sauver les milliards d’êtres humains morts d’un claquement de doigt, ils veulent sauver leurs proches. Que le film ouvre sur la mort d’une famille de super-héros en dit là aussi long sur les intentions véritables des personnages. Et même si les héros disent agir pour le bien commun, c’est toujours celui des humains et jamais plus. Les baleines de retour dans l’Hudson parce que la pollution a baissé ? On s’en fiche, on a perdu des gens que l’on aimait. Ce sera la seule mention écologique de tout le film, alors qu’il y avait matière à passer un message simple et puissant sur le sujet. La seule inquiétude de Tony Stark est de perdre sa famille, mais ce génie est incapable de voir que la planète va mieux avec moins d’individus3 ? Soulignons l’hypocrisie d’ailleurs de tous ces super-héros qui deviennent tout d’un coup investi d’une mission pour sauver l’humanité, alors que cela n’avait jamais été leur sujet d’inquiétude jusque-là. Et quand bien même, on peut comprendre que les frères Russo devaient annuler l’action de Thanos, mais ne pouvait-on alors pas imaginer une fin qui tienne compte du problème initial ? Entre l’auto-destruction de l’humanité par son nombre et son inconscience écologique et l’extinction de masse qui est déjà en cours pour bon nombre d’animaux4 et plantes, il y avait de quoi faire. Non, ce serait potentiellement froisser les sceptiques et Disney ne voudrait certainement pas risquer de perdre quelques spectateurs ! Alors à la place, on promet à une petite fille, symbole de l’avenir de l’humanité, autant de cheeseburgers qu’elle voudra. Quelle brillante idée, quel beau message pour le futur ! Gageons que ce film tourné vers le passé vieillira bien mal.

Avengers: Endgame aurait pu être offrir une conclusion spectaculaire et satisfaisante à la saga. L’évolution des super-héros cinq ans après offre parfois de bonnes idées, à l’image de Thor qui se laisse aller, ou bien de Bruce Banner qui embrasse son statut de géant vert. On sent les bonnes idées ici ou là, mais elles sont enterrées sous la masse des combats et des dizaines d’intrigues parallèles. Anthony et Joe Russo sont toujours aussi doués pour organiser cet immense ballet et garder un semblant de cohérence, mais en rassemblant vraiment tous les personnages de la saga, on atteint clairement l’overdose. Et puis Avengers: Endgame est vraiment trop long et il aurait gagné à être plus court, surtout sur la fin larmoyante à souhait. Certes, il y a un petit peu d’émotion à dire au revoir à des personnages que l’on connaît depuis plus de dix ans, mais la musique toujours aussi envahissante et caricaturale d’Alan Silvestri ainsi que le défilé de stars assez ridicule sur la fin sont contre-productifs. Est-ce que Marvel pourra redresser la barre dans sa nouvelle saga ? On peut l’espérer, mais ce n’est clairement pas gagné.


  1. Un espoir ramené par hasard par… une souris ! Mickey sauveur de l’humanité, il fallait oser, Disney l’a fait. 
  2. La solution de Thanos est drastique et manque de finesse, mais par son inaction, l’homme se réserve un avenir encore pire, entre famines et guerres climatiques. Cet extra-terrestre offrait au moins une mort sans douleur. 
  3. Au passage, c’est un problème plus général dans la saga, mais la technologie apparaît toujours comme la seule solution qui vaille, en toutes circonstances. La technologie seule est censée aider la société, la question des problème sociaux n’est jamais soulevée. C’est flagrant avec le Wakanda, cet idéal africain caché que la surenchère technologique à l’occidentale a sauvé. C’est la même chose ici, seule la technologie doit permettre de sauver l’humanité et tous les problèmes sociaux sont écartés. 
  4. Autre incohérence à ce sujet, on n’est pas à une près : le retour des oiseaux est vu comme le signe que les super-héros ont réussi leur coup. Sachant que les oiseaux disparaissent tous les jours à cause de l’action humaine sur le climat, c’est un sacré contresens.