Situé dans le quartier d’Ainay dans le deuxième arrondissement lyonnais, le Café Comptoir Abel est un petit peu à l’écart des quartiers traditionnels pour les bouchons lyonnais. Et pourtant, c’est bel et bien une institution, un « authentique bistrot bourgeois » comme le revendique son site. Cette adresse est ouverte depuis 1928, même si le restaurant lui-même a ouvert dans les années 1970. Son chef actuel, Alain Vigneron, est présent sur place depuis 40 ans, d’abord comme commis et comme chef depuis quinze ans. L’authenticité et même le conservatisme sont des valeurs érigées en principe et on y pose les pieds pour remonter le temps et manger une cuisine de bouchon traditionnelle parfaitement maîtrisée. Ce n’est ni original, ni léger, mais c’est une valeur sûre, à découvrir.
Quand on entre dans le restaurant, on se croirait dans un décor de cinéma pour un café d’entre deux guerres. Le Café Comptoir Abel essaie de maintenir son ambiance originale et tout est d’époque, des cadres et miroirs aux murs jusqu’aux tables en bois un petit peu grossières, en passant par le réfrigérateur en bois contre le mur. Tout est encore dans son jus, c’est le principe même des lieux et sur ce point, c’est très réussi. La salle à l’entrée est assez petite, peu lumineuse et les tables sont très proches. Le côté bourgeois est plus sensible dans les autres salles et notamment à l’étage, où plusieurs espaces peuvent être privatisés et ressemblent alors à de vraies salles à manger sorties des années 1950. En bas, on s’installe sur des tables dressées sans chichis et l’ambiance devient très vite bruyante, surtout pour un samedi soir bien complet. Si vous cherchez du calme, vous pouvez demander une table en haut, même si les lieux sont parfois privatisés.
Les menus ne tardent pas à arriver et, comme le site du restaurant le proclame, « de mémoire de lyonnais, la carte n’a pas changé ». À l’image du décor, les plats proposés n’ont pas dépassé eux non plus les années 1970 et si vous cherchez de l’originalité et de la légèreté, vous n’êtes pas au bon endroit. Au programme, des plats lyonnais traditionnels, de la crème et des morilles, ainsi que plusieurs abats dans la plus grande tradition locale. Trois menus sont proposés, avec des classiques, à partir de 27 € pour une entrée, un plat et un dessert et jusqu’à 42 € pour la même chose, mais avec des plats plus chers. On peut aussi piocher à la carte, mais ces prix jusque-là mesurés montent vite si on veut recomposer les trois plats du menu. Comme on vient pour la tradition, on reste sur les formules, avec un choix peut-être un petit peu trop limité. Chaque menu propose au choix deux entrées et deux plats, pas plus, et il n’y a quasiment aucune souplesse, si ce n’est interchanger les entrées d’un menu à l’autre. Le Café Comptoir Abel n’est vraiment pas ouvert aux changements, c’est aussi l’esprit des lieux et les plats proposés devraient convenir au plus grand nombre.
On attaque le repas avec, pour les uns, une salade d’écrevisses, généreuse en crustacés, mais aussi en huile. Les haricots croquants apportent toutefois une touche de fraicheur bienvenue et cette entrée est très plaisante pour ouvrir le repas. En face, les toasts de foie gras ont eu beaucoup de succès, tandis que le saucisson à l’ail chaud servi avec des lentilles est un excellent classique. La charcuterie a un goût prononcé et les lentilles cuites au beurre sont relevées par la vinaigrette, cela fonctionne vraiment bien. Le clou du spectacle arrive vite — peut-être un poil trop, d’ailleurs —, avec deux poulets et deux quenelles à la table. Commençons par les quenelles, institutions lyonnaises et donc institutions du Café Comptoir Abel. Ici, elles sont bien au brochet, mais elles ne sont bizarrement par servies avec la sauce aux écrevisses que l’on voit souvent, mais avec une béchamel et quelques champignons. La quenelle elle-même est aérienne et très bien cuite, avec un léger goût de brochet : c’est un passage obligé, mais quand c’est parfaitement réalisé, c’est un incontournable qui mérite le détour. Côté poulet, une version à la crème ressemblait à une poule au pot — un autre classique… —, mais les amateurs de champignons ne devraient pas passer à côté du poulet aux morilles. Le chef a la main lourde sur les morilles et c’est tant mieux, tant leur goût enivrant est présent dans ce plat. On ne voudrait pas gâcher la sauce et cela tombe bien, le riz pilaf à partager pour toute la table est un excellent accompagnement. On termine le repas avec des desserts pas toujours légers. Le sorbet aux châtaignes est un bon compromis sur ce point, mais le goût de la glace un peu trop léger et le chocolat chaud servi à côté est trop dilué, hélas. La tarte aux pommes est quelconque, mais le baba au rhum est aérien et parfaitement imbibé et le fondant au chocolat est à tomber par terre. Littéralement, si vous mangez seul la part entière après un repas complet… la recette est en tout cas savoureuse et c’est un très bon dessert, pas bien léger non plus.
Plutôt que de chercher à revisiter les classiques, le Café Comptoir Abel revendique son statut d’institution, bloquée dans le temps. Ce n’est pas un mauvais choix en soi et l’adresse remplit parfaitement cet objectif. Poser les pieds dans ce petit café offre effectivement un retour dans le passé, depuis la salle jusqu’aux assiettes. N’espérez pas manger quelque chose de nouveau ici, ce sont des recettes traditionnelles et exécutées dans le plus pur respect de la tradition. Mais si c’est assumé et aussi bien fait, ce n’est pas un défaut, au contraire même.