Captain Fantastic, Matt Ross

Peut-on vivre en autarcie complète, à l’écart de toute civilisation et peut-on élever des enfants équilibrés et complets dans ces conditions ? Matt Ross pose une question assez simple avec Captain Fantastic, l’histoire étonnante d’un père de famille qui a décidé de vivre au cœur de la nature américaine avec ses six enfants. Avec le suicide de leur mère, l’équilibre de cette famille atypique est rompu et le long-métrage se mue en road-movie parsemé de remises en cause. Ce film très « Sundance » est assez classique dans la forme et la progression et il n’est pas sans défauts à tomber régulièrement dans la caricature un peu grossière. Reste que Captain Fantastic est aussi plein de charme, un « petit bijou » comme le met en avant l’affiche, une belle histoire que l’on suit avec plaisir.

Matt Ross ouvre sur une séquence qui pourrait très bien être un extrait de The Revenant : un homme, jeune, noirci par de la boue ou de la cendre, saute sur une biche et l’égorge avec son couteau. Sauf que l’on est au cœur des États-Unis contemporains, pas dans le passé. Captain Fantastic présente tout d’abord son sujet principal, l’étrange famille constituée par Ben et ses six enfants. Depuis qu’ils sont tous petits, ils vivent isolés en pleine nature. Ils dorment dans une grande tente, ils ne mangent que ce qu’ils chassent ou récoltent, ils suivent un entraînement physique exigeant tous les matins et le reste du temps, ils lisent des livres de grands philosophes ou de scientifiques. Le scénario ne retrace par les origines de cette installation par des flashbacks et le spectateur doit se contenter d’imaginer. Ben et Leslie étaient probablement un couple de hippies avant d’être des parents et quand ils ont eu leurs premiers enfants, ils ont choisi de les éloigner de la société de consommation qu’ils détestent tant pour les protéger et les rapprocher d’une vie plus simple, proche de la nature. Ils apprennent ainsi dès leur plus jeune chasse à chasser et à se défendre, mais aussi à survivre dans les conditions les plus extrêmes. Ce qui n’empêche pas une éducation intellectuelle très poussée et les plus jeunes font preuve d’une maturité étonnante pour leur âge. Dans un premier temps, Matt Ross se contente de montrer cette famille et la proximité de ses personnages pourrait faire des envieux, mais l’intrigue de Captain Fantastic se met en place quand un événement extérieur fait exploser la cellule familiale. La mort de la mère, en grande dépression depuis quelques mois, fait voler en éclat l’équilibre que l’on découvre précaire du groupe.

La suite oscille entre road-trip et tensions familiales. Les problèmes viennent notamment de l’un des enfants, Rellian, qui reproche à son père d’avoir tué sa mère et qui cherche à sortir de la famille. Matt Ross filme une crise majeure qui ronge Ben et ses enfants et qui finit par éclater avec les funérailles. Brutalement, le mode de vie imaginé par le couple est remis en cause par les beaux-parents qui viennent de perdre leur fille unique, par la belle-sœur qui n’a jamais approuvé et aussi par les enfants qui découvrent la vie « normale » en côtoyant d’autres enfants de leurs âges. Les enseignements inspirés par Noam Chomsky, entre communisme et anarchie, ne sont plus acceptés aussi facilement. L’entraînement à la dure du père est qualifié de maltraitance et brutalement, l’univers de la famille s’effondre. Captain Fantastic ne fait guère preuve d’originalité avec ce cheminement, mais ce n’est pas le plus gênant. Son manque de finesse l’est davantage et Matt Ross tombe à plusieurs reprises dans le cliché facile. La famille de la défunte devait-elle nécessairement être richissime et aussi outrancière pour créer un contraste suffisant ? De la même manière, l’éducation du père devait-elle être à ce point anti-capitaliste, comme si c’était la seule qui pouvait s’accorder à un mode de vie plus proche de la nature ? C’est dommage de tomber dans de telles facilités, même si la fin rattrape un petit peu cette vision simpliste des choses. Et puis on peut compter jusqu’au bout sur les acteurs, tous très bons — surtout les plus jeunes, peut-être — et sur la musique d’Alex Somers, souvent très réussie, surtout quand du Sigur Rós pointe son nez.

Captain Fantastic est un film très plaisant, presque un feel-good movie comme les États-Unis savent si bien en produire, mais avec une tonalité plus sombre et surtout plus étrange. C’est déjà très bien et on peut recommander le long-métrage sans hésiter, mais Matt Ross est probablement passé à côté d’une œuvre plus complexe et plus passionnante. Questionner l’approche presque dictatoriale mise en place par le père Ben vis-à-vis de ses enfants, alors que son enseignement valorise précisément la liberté, aurait été passionnant. En cherchant à s’affranchir de la société et de la dictature du capitalisme, ce père de famille n’a-t-il pas au fond créé une nouvelle dictature ? En tout cas, il ne laisse à ses enfants aucune place pour qu’ils s’expriment et sortent du cadre imposé. Captain Fantastic aurait été alors bien différent, mais à défaut, cette famille atypique mérite le détour et on en ressort avec le sourire aux lèvres.