Complot de famille, Alfred Hitchcock

Pour son dernier film, Alfred Hitchcock retourne aux États-Unis après une brève pause britannique dans Frenzy. Cette pause lui avait fait un grand bien et le cinéaste semblait avoir retrouvé l’inspiration, mais aussi une bonne humeur qui lui avait manqué dans ses projets précédents. Cet esprit plus léger se retrouve sans conteste dans Complot de famille, une comédie dramatique nourrie à l’humour noir, une histoire d’héritage doublée d’un thriller à base de kidnappings et de diamants, avec un soupçon de voyance pour pimenter le tout. Tout cela n’est pas très sérieux et le réalisateur s’est sans doute bien amusé à tourner ce long-métrage qui abandonne largement toute audace de réalisation au profit d’une modestie de moyens assez rares chez lui. Complot de famille n’est pas un grand Hitchcock et le film aurait gagné à être plus court, mais c’est un divertissement très agréable.

Rompant une longue tradition, Complot de famille ne commence pas avec un générique. Le film ouvre sur une boule de cristal et on pourrait croire que les noms vont défiler, comme toujours chez Alfred Hitchcock, mais à la place, on voit une femme dans une sorte de transe. On pense d’abord à une séance chez un psychologue, ou bien à une phase d’hypnose, mais il s’agit en fait de spiritisme. Blanche est censée discuter avec Henry, feu le mari de Julia Rainbird, sa cliente. Pendant un moment, on pourrait croire que c’est sérieux, mais le cinéaste vend très vite la mèche, quand il montre que la jeune femme regarde à travers ses mains pour vérifier que ses effets sont efficaces. Elle arnaque clairement cette veuve qui essaie de retrouver la trace de son neveu illégitime, rayé de la famille il y a des décennies de cela et qu’elle essaie de retrouver, puisque c’est son seul héritier. Quand elle offre à Blanche 10 000 $ pour le retrouver, le regard sur le visage de la voyante en dit long sur sa surprise et on comprend vite qu’elle arnaque habituellement pour beaucoup moins. Pour obtenir une telle somme, elle commence à enquêter pour trouver la trace de cet homme mystérieux, ou plutôt elle lance son compagnon sur cette trace. Elle travaille régulièrement avec George : ce dernier enquête pour dénicher les secrets qui serviront à alimenter les séances de Blanche et lui permettre de prouver tout son talent. Son enquête le mène vite sur les pas d’Edward Shoebridge, sans savoir que cet homme a tout fait pour disparaître, effacer son passé et bénéficier d’une nouvelle carrière en… kidnappeur professionnel. Avec Fran, ils échangent des personnes riches contre de gros diamants et l’enquête de Blanche et George va venir gêner leurs affaires. Deux couples qui se croisent et s’affrontent ainsi qu’une bonne dose de quiproquos voilà la base de Complot de famille. Naturellement, les arnaqueurs amateurs ignorent tout des activités illégales de leur cible, et le couple de kidnappeurs est convaincu que leur activité est en jeu, alors qu’il n’en est rien.

Alfred Hitchcock ne cherche pas l’originalité à tout prix, le réalisateur semble même donner le sentiment de vouloir de chercher la solution la plus directe et la plus simple. C’est le cas à tous les niveaux, autant dans le traitement de l’histoire que dans la mise en scène. L’intrigue se déploie de façon assez linéaire, même s’il faut noter que les deux activités des deux couples qui se croisent à leur insu est assez bien trouvé. Néanmoins, on ne peut pas dire que Complot de famille soit une œuvre très surprenante, elle est au contraire assez banale, comme si le temps des essais était terminé. Il n’y a même pas de volonté de créer un suspense, la seule séquence d’action du film dans la voiture sans freins n’étant pas le point d’orgue que l’on pouvait attendre. Bien plus que l’action ou le suspense, Alfred Hitchcock s’amuse avec ses personnages et avec des scènes filmées très simplement. Dans Frenzy, il y avait encore des moments très hitchcockiens, quand la caméra reculait dans l’escalier pendant un meurtre, ou quand une fenêtre vitrée permettait de voir sans entendre un procès. Rien de tel ici, ce long-métrage est beaucoup plus simple et direct. On se concentre sur l’histoire elle-même, sur l’enquête de George pour retrouver l’héritier, sur les agissements du couple de kidnappeurs ou encore sur les fausses sessions de spiritisme de Blanche. C’est décevant si l’on attendait quelque chose d’impressionnant, mais il faut aussi reconnaître que cette simplicité a des vertus et le résultat est très plaisant à regarder. Les acteurs pas toujours à l’époque de la sortie du film s’en sortent très bien, mention spéciale à Barbara Harris qui est très drôle dans le rôle de la voyante, et on s’amuse avec eux. C’est simple, mais c’est bien fait, même si Alfred Hitchcock tire un poil trop en longueur. C’est surtout sensible à la fin, le montage aurait mérité d’être plus rapide et de moins faire trainer en longueur dans la maison, mais Complot de famille n’est jamais ennuyeux pour autant.

Naturellement, le réalisateur n’avait pas prévu de terminer sa carrière avec Complot de famille et on sait d’ailleurs qu’il était en train de travailler sur un nouveau long-métrage quand la maladie le force à prendre sa retraite. Après plus de cinquante ans de carrière dans le cinéma et pas moins de 82 longs-métrages à son actif, on pourrait dire que c’est une fin décevante. Alfred Hitchcock a déjà eu tellement d’occasions de prouver son talent avant, que l’on peut aussi apprécier cette comédie dramatique pour le simple divertissement qu’elle prétend être. Complot de famille est un petit film, certes, mais il est très plaisant et mérite bien d’être vu.