Frenzy, Alfred Hitchcock

Après une longue série de films tournés aux États-Unis et plusieurs échecs sur la fin, Alfred Hitchcock revient au Royaume-Uni pour ce nouveau projet. Et manifestement, ce retour aux sources lui fait du bien. Frenzy est tourné au cœur de Londres, là où le cinéaste a grandi, et il semble retrouver une vigueur et un plaisir à créer comme il n’en avait pas eu depuis un moment déjà. Après l’espionnage ou la Guerre froide avec Le Rideau Déchiré et L’Étau, il revient aussi à ses premières amours avec une histoire de meurtres et une enquête policière. Adapté d’un roman, ce long-métrage est aussi le premier du réalisateur à présenter de la nudité et une violence aussi explicite. Frenzy n’est pas pour autant un film plombé, c’est au contraire un long-métrage fun et très plaisant à suivre, où l’on ne voit jamais le temps passer. Une vraie réussite, tout simplement.

Alfred Hitchcock est de retour à Londres et il tient à le faire savoir. La capitale britannique est au centre du film dès le générique, qui offre une plongée le long de la Tamise dans la ville de son enfance. Frenzy débute sans attendre sur un cadavre, une femme retrouvée nue sur les bords du fleuve, une cravate autour du cou. En quelques lignes de dialogues, on apprend qu’un tueur en série sévit, qu’il a déjà tué plusieurs jeunes femmes avec une cravate à chaque fois et surtout que la police ne semble avoir aucune piste. Ce cadre posé, le personnage principal peut entrer en scène : Dick, un ancien pilote de l’armée qui a du mal à sortir de son alcoolisme. Il se fait même virer par son patron du pub où il travaillait pour cette raison et il essaie alors de revoir son ancienne femme, avec qui il a divorcé deux ans auparavant. Pas de chance, le tueur s’en prend à elle le lendemain et tout le désigne comme étant le coupable. Pour accélérer le divorce, ils se sont séparés sur un faux motif de cruauté qui prend une allure différente maintenant qu’il est suspect. Même si le film n’évoque jamais le stress post-traumatique, c’est évidemment de cela qu’il souffre et l’alcoolisme n’arrange pas sa réputation d’homme violent. Très vite, la police est convaincue que c’est lui qui est responsable, alors même que le spectateur sait très bien que ce n’est pas le cas. Le véritable enjeu de Frenzy dès lors est de savoir s’il va pouvoir prouver son innocence et si le véritable meurtrier sera démasqué. L’identité de ce dernier est en effet très vite connue, avec un meurtre filmé de bout en bout, pour une séquence d’une violence rare chez Alfred Hitchcock. Ce n’est pas la nudité qui impressionnera les spectateurs contemporains — quoiqu’elle soit très rare dans sa filmographie —, mais plutôt le viol qui n’est pas seulement suggéré, mais bien montré. La scène ne vire pas à la pornographie, mais la frénésie du meurtrier qui a donné son titre au film est parfaitement sensible et assez impressionnante.

L’une des bonnes idées du réalisateur est de mener le spectateur sur une fausse piste. Quand Frenzy débute, on ne sait pas encore qui est le meurtrier et tout semble indiquer que Dick pourrait l’être. Alfred Hitchcock ne le dit pas, évidemment, il le fait de façon plus subtile, par exemple en filmant une séquence dans un pub où deux hommes discutent de l’affaire alors que le personnage mange à l’arrière-plan. Tout ce qu’ils disent semble pouvoir s’appliquer à Dick et le spectateur envisage inévitablement que ce soit lui le meurtrier. Cela semble un petit peu trop facile et ce n’est bien sûr pas le cas, mais cette astuce du scénario permet par la suite de mieux comprendre pourquoi tout le monde considère que Dick est le meurtrier. Nous aussi, nous l’avons pensé à un moment donné, c’est une hypothèse qui semble plus crédible que si le scénario l’avait présentée directement. Ce côté malin se retrouve à d’autres moments. Le réalisateur multiplie les bonnes idées de cinéma, à l’image de la seconde scène de viol. La première avait été filmée frontalement et elle était impressionnante pour cette raison, mais la seconde se fait en silence, avec la caméra qui sort en reculant de l’appartement, puis dans l’escalier et enfin dans la rue. Alors que le pire est en train de se dérouler à l’étage, les bruits de la ville se font entendre, comme s’il ne se passait rien d’anormal. L’effet est saisissant, avec une économie de moyens remarquable. Plus tard, le meurtrier se débarrasse d’un corps dans un camion de pommes de terre et il se rend compte qu’il doit récupérer une broche qui l’accuserait. S’en suit une longue séquence silencieuse dans ce camion, au milieu des patates et avec une montée en puissance du suspense pour savoir si le meurtrier va réussir à récupérer ce qu’il doit sans se faire prendre. C’est à nouveau une excellente scène, du niveau des meilleures réalisations du cinéaste et encore une fois, avec très peu de moyens. La musique, en particulier, est assez absente et bien dosée. Elle s’efface dans les scènes les plus importantes, laissant toute la place aux acteurs, tous très bons, et à la mise en scène impeccable d’Alfred Hitchcock.

Par sa réussite, Frenzy met aussi mieux en valeur le niveau très moyen des films précédents. Le réalisateur semble avoir retrouvé son inspiration et ses bonnes idées, il ne se contente plus de filmer une histoire en mode automatique, il s’investit plus et multiplie les séquences mémorables. On a déjà évoqué celles des viols et celle du camion de patates, mais même le procès est traité brillamment, derrière une porte vitrée qui s’entrouvre pour laisser entendre le plus important. Alfred Hitchcock a été inspiré par l’histoire, peut-être par sa ville d’enfance, et le résultat est vraiment très plaisant et il a bien vieilli. Frenzy mérite le détour !