Parfois un petit peu trop rapidement cataloguée comme un Stranger Things allemand, Dark est pourtant bien plus intéressante qu’une simple redite de l’œuvre des frères Duffer. La première série originale Netflix venue d’Allemagne mélange les genres, entre science-fiction et drame familial, avec une pointe de fantastique et encore une bonne dose d’enquête policière étalée sur plusieurs dizaines d’années. Plus proche dans l’esprit et la forme de Twin Peaks, la première saison trouve toutefois son propre ton et elle scotche le spectateur du début à la fin. C’est un puzzle haletant qui se termine trop rapidement et qui donne envie d’y revenir. Cela tombe bien, la suite de la série créée par Baran bo Odar et Jantje Friese est d’ores et déjà programmée. D’ici là, ne ratez pas Dark, c’est l’une des meilleures séries du moment, mais ne lisez pas une ligne de plus avant d’avoir terminé les dix premiers épisodes.
L’élément de surprise est en effet essentiel quand on découvre Dark. En regardant les premiers épisodes sans rien savoir, on peut imaginer toutes sortes d’hypothèses quant au genre de la série et on est happé par l’ambiance très sombre évoquée dès le titre. Il faut dire que le pilote ouvre sur un suicide, ce qui n’est pas plus réjouissant que la photographie proche du gris, tant les couleurs ont été éliminées. C’est Baran bo Odar, l’un des deux co-créateurs de la série, qui réalise tous les épisodes et il faut saluer l’esthétique de cette première saison. Ce n’est pas très original, certes, et on retrouve beaucoup de l’influence de David Lynch dans la forme, mais c’est toujours aussi efficace et c’est l’une des raisons qui permettent de plonger dans l’intrigue. Les premiers temps, on croit à un film policier assez classique, avec ce jeune adolescent qui disparaît sans crier gare. L’intrigue se déroule à Winden, petite bourgade sans histoire au sud de l’Allemagne. D’emblée, on est fasciné par la masse menaçante de la centrale nucléaire, la plus vieille du pays apprend-on, mais aussi par la noirceur de la forêt. Plus intriguant encore, cette grotte que l’on découvre directement dans le pilote de Dark et que l’on devine au cœur de l’intrigue. Le spectateur qui n’a aucune idée de ce qui l’attend bouillonne : s’agit-il d’une simple enquête de police ? Le scénario semble indiquer qu’il y a plus, le son qui sort de la grotte paraît carrément fantastique. Alors, un film d’horreur plutôt ? Mais pourquoi est-ce qu’il y a autant de références aux années 1980 ? Et surtout, pourquoi a-t-on ce sentiment tenace que l’on ne nous dit pas tout et que des personnages cachent des informations essentielles aux policiers, mais aussi aux spectateurs par extension ? Le casting est particulièrement bon pour transmettre cette sensation de non-dit et créer une aura de mystère, tandis que la musique créée par Ben Frost ajoute la pointe de mystère indispensable.
Ces questions ne disparaissent pas au fil des épisodes, bien au contraire. La série créée pour Netflix parvient à bien dissimuler toute son ampleur et elle se dévoile petit à petit, ajoutant des questions et donnant ses réponses avec parcimonie. La fin de la saison, et en particulier le dernier épisode de Dark, répond plus largement aux interrogations que l’on pouvait avoir, mais l’essentiel de la saison est comme un gigantesque puzzle qui se dévoile très progressivement. On découvre petit à petit qu’il y a plusieurs époques et que l’on peut passer de l’une à l’autre. On découvre aussi que les personnages jouent des rôles, parfois totalement différents, d’une période à l’autre. Et c’est un immense organigramme qui se dévoile, avec des familles qui se constituent parfois en jouant sur les paradoxes du voyage temporel. Si le père d’untel est en fait le fils d’un autre projeté dans le passé, cela crée des liens biologiques anormaux dans le présent. Les scénaristes ont exploité assez largement toutes les possibilités offertes par cet univers très riche et il y aurait de quoi se perdre dans le foisonnement de personnages et d’acteurs différents selon les époques. Fort heureusement, Dark a quelques idées pour nous aider, en particulier la juxtaposition des époques en coupant l’écran, surtout vers la fin de la saison. La série de Baran bo Odar et Jantje Friese reste plus complexe que la moyenne et elle nécessite de rester assez très attentif pour ne rien rater d’essentiel, mais elle n’est pas non plus difficile à comprendre. Et même si elle ferme une partie des hypothèses à la fin, elle laisse aussi largement le temps de les formuler en amont, ce qui est toujours réjouissant. Les réponses sont parfois moins originales qu’on pourrait l’espérer, et le final dystopique est même assez conventionnel, mais cela n’enlève rien au plaisir de la découverte pendant la saison. Espérons simplement que Dark ne s’essoufflera pas par la suite et que les scénaristes ont gardé sous le coude quelques surprises supplémentaires. Réponses dans la prochaine saison !
En attendant, et quel que soit le niveau de la suite, la première série allemande de Netflix s’impose déjà comme une réussite. Baran bo Odar et Jantje Friese ont réussi à créer un environnement plein de mystère et ils ont composé un immense puzzle à reconstituer pièce par pièce. Dark est une franche réussite à ne rater sous aucun prétexte, surtout si vous aimez la science-fiction, les ambiances mystérieuses et les histoires qui ne dévoilent pas immédiatement tout ce qu’elles ont en réserve.
Dark, saison 2
(11 juillet 2019)
La première saison de Dark permettait de découvrir un univers construit autour du voyage temporel, avec deux, puis trois époques qui se croisent et se répondent. C’était déjà assez complexe, mais ce n’était rien en comparaison de ce qui allait venir. On pouvait craindre d’ailleurs à la fin de la saison que la série portée par Netflix perde son grain de folie et devienne un peu trop classique. Baran bo Odar et Jantje Friese prouvent avec ces huit nouveaux épisodes qu’il n’en est rien, bien au contraire même. Dark poursuit son exploration des paradoxes temporels, ajoute des époque et de la complexité dans cette deuxième saison qui atteint de nouveaux sommets, et que vous devriez regarder sans absolument rien lire à son sujet.
Dark se terminait sur une dystopie assez classique. Décevant ? Pas du tout, quand on réalise que les scénaristes se sont contentés d’ajouter une époque de plus à l’équation, sans retirer toutes les autres. En plus de la fin des années 2010, on revient toujours régulièrement dans les années 1980, dans les années 1950 et puis aussi dans un futur qui reste indéterminé, et si cela ne suffisait pas, également dans un passé plus lointain. Le concept de voyage temporel étant posé, les scénaristes peuvent l’exploiter à plein et ils ne se privent pas de le faire. Autant le dire, si vous n’avez pas en tête parfaitement les épisodes précédents, vous serez vite perdus et Dark assume totalement son côté puzzle. Pour les spectateurs attentifs, c’est que du bonheur et l’intelligence du scénario est encore plus sensible dans cette suite. On voit bien que les créateurs de la série avaient une vue d’ensemble avant de commencer — on sait d’ailleurs que la troisième saison est déjà prévue et que ce sera la dernière — et c’est extrêmement plaisant de voir cette immense énigme se dévoiler, toujours aussi progressivement. On ne révélera rien de significatif, mais la question de la parenté est encore plus centrale ici, avec le paradoxe de l’œuf et de la poule au cœur des enjeux, et quelques sérieuses migraines en perspective. Que du bonheur, que viennent confirmer la réalisation toujours impeccable et le casting excellent. À une ou deux exceptions près, l’idée de prendre des acteurs différents par époque paye, on retrouve des personnages à la fois familiers et différents et l’ensemble est impeccablement ficelé.
Dire qu’à la sortie de la première saison de Dark, on la comparait avec Stranger Things. Plus les deux séries avancent, et plus c’est indéniablement une erreur. Cette série allemande n’a rien à voir et elle est nettement plus intelligente, intéressante et réussie. En espérant que la troisième et dernière saison maintienne ce bon niveau, on aura sans aucun doute l’une des meilleures séries de ces dernières années.
Dark, saison 3
(3 juillet 2020)
Troisième et dernière saison pour Dark, ce qui était prévu dès le départ. Pour une fois, ce n’est pas l’annulation prématurée d’une série qui n’a pas suffisamment trouvé son public, c’est l’application d’un plan prévu dès le départ et il fallait bien cela pour qu’une intrigue aussi complexe que celle imaginée par Baran bo Odar et Jantje Friese tienne la route. Ces huit nouveaux épisodes ont la lourde tâche de démêler l’immense pelote de fils narratifs qui se sont mélangés dans les deux saisons précédentes, non sans ajouter au passage une petite difficulté supplémentaire avec le concept de mondes parallèles. Cela aurait pu être une catastrophe et une immense déception, mais Dark confirme qu’elle est l’une des meilleures séries de Netflix et même l’une des meilleures tout court. Les pièces du puzzle finissent in extremis par s’assembler et comme toujours, ne lisez absolument rien de ce qui suit avant d’avoir terminé la troisième saison.
La saison 2 se terminait sur une bombe : la révélation qu’en plus du voyage temporel, le monde de Dark se construisait aussi sur le concept d’univers parallèles. Alors que Martha venait d’être tuée par Adam, le jeune Jonah reçoit la visite d’une autre Martha qui l’emmène dans son monde, un parallèle de celui que l’on a suivi depuis le début de la série. Dans ce monde, tout est identique et en même temps tout est différent. On est toujours à Winden, mais les décors sont tous inversés. Les personnages sont largement communs, mais Mikkel n’a pas été propulsé dans le passé et il n’est pas devenu Michael, ce qui fait que Jonas n’existe pas. Et puis il y a des différences subtiles pour chaque personnage : dans un monde, un policier était borgne, dans l’autre il lui manque un bras ; dans l’un, un personnage est psychologue, dans l’autre un pasteur. Les scénaristes se sont amusés à créer une copie similaire de chaque personnage, mais pas identique et les acteurs peuvent ainsi déployer leur talent en interprétant des personnages légèrement différents. L’ajout de ce deuxième monde complexifie encore la série, d’autant que le concept d’intrication quantique est poussé à son paroxysme, avec plusieurs versions de chaque personnage en parallèle dans chaque monde et sur plusieurs époques. Comme avec la saison précédente, mieux vaut se concentrer un minimum pour suivre et bien comprendre Dark et mieux vaut aussi avoir en tête de façon assez précise ce qui se passe avant. C’est d’autant plus important que les deux créateurs ne passent pas leur temps à tout réexpliquer et on peut se sentir un petit peu perdu au milieu de tous ces personnages et de toutes ces époques. Cela étant, la série originale de Netflix se regarde avec plaisir et même gourmandise, alors que l’on découvre des filiations encore plus folles. Petit à petit, tous les paradoxes liés au voyage temporel se mettent en place et l’on découvre qu’un fils peut aussi être le père de son père et d’autres idées aussi invraisemblables, mais qui prennent tout leur sens quand on introduit le concept de voyage temporel.
Poussant d’ailleurs le principe jusqu’au bout, Baran bo Odar et Jantje Friese finissent par arriver à la seule conclusion « logique » qui tienne : que l’histoire se répète. Elle s’est déjà répétée en fait, à l’infini peut-être, quand nous avons été embarqués dans la série. On pouvait penser que la première saison de Dark avançait sur un chemin en friche, mais c’était en fait l’énième répétition d’un schéma reproduit en boucle depuis des années déjà. Il y a deux mondes qui évoluent en parallèle et qui interagissent, deux histoires largement similaires qui se répondent, et une boucle temporelle qui tourne sans arrêt. Tout cela est dévoilé progressivement, en même temps que les personnages eux-mêmes l’apprennent, avec un twist supplémentaire qu’il fallait oser dans une œuvre déjà aussi complexe. Avec cette troisième saison, on découvre que dans Dark, tout le monde ment, sciemment ou non. Dans chaque épisode, il y a de nouvelles révélations qui peuvent être contredites parfois quelques minutes après seulement par un autre personnage. Qui a raison entre Adam et Ève ? Pourquoi mentent-ils constamment ? Quel est leur véritable objectif ? Cette instabilité est assez étonnante, surtout à un stade de l’histoire où l’on attend précisément des réponses, mais c’est un choix scénaristique courageux qui paie. Puisque l’on ne peut pas avoir confiance en ce que nous disent les personnages, il ne reste que la spéculation pour savoir et comprendre ce qui se passe. Même à la toute fin, les scénaristes laissent encore quelques portes ouvertes, juste assez pour que l’on se demande si c’est vraiment la fin ou si on nous a encore une fois menti. C’est un effet très puissant quand c’est réussi, et c’est clairement le cas dans Dark.
Jusqu’au bout, la création de Baran bo Odar et Jantje Friese a maintenu son exigence folle et son excellente tenue. Dark ne compte que trois saisons, mais quelle grande série ! Grâce à une vision d’ensemble établie dès le départ, grâce à une réalisation tenue de bout en bout par Baran bo Odar ou encore grâce à une solide direction d’acteurs,