Dune, Denis Villeneuve

Dune est un classique de la science-fiction, une œuvre fondatrice qui a inspiré toutes celles qui ont suivi, Star Wars en tête. C’est aussi une saga dense et complexe, construite dans un futur si lointain qu’il ne partage plus aucun point de repère avec notre réalité et qu’il nécessite de longues explications. Le travail de Frank Herbert fascine depuis sa sortie en 1965, mais on ne peut pas dire qu’il a bien été transposé au cinéma. Entre la tentative avortée de Jodorowsky dans les années 1970 et le désastre kitsch de David Lynch dans la décennie suivante, personne n’a jusque-là réussi à s’attaquer à ce monstre. Denis Villeneuve ne recule devant aucun défi, pas même celui de la taille de Dune et on pouvait compter sur son talent. À raison : son adaptation prévue en deux parties est d’une ambition folle et on a laissé au cinéaste les moyens nécessaires pour aller au bout de sa vision. Portée par une image sublime, ce premier chapitre prend son temps — plus de 2h30 au compteur — pour poser l’univers et les personnages. C’est une introduction qui laisse le spectateur sur sa faim, mais quelle introduction ! On a hâte de voir la suite…

L’histoire de Dune se construit sur la planète désertique d’Arrakis, devenue célèbre pour son « épice », une poussière qui flotte à la surface et qui offre de multiples bénéfices, le plus important étant de permettre le voyage interstellaire. Celui qui contrôle l’épice détient un pouvoir immense au sein de l’Imperium, l’organisation politique qui gère l’univers colonisé par les humains. Pendant 80 ans, la Maison Harkonnen règne sur la planète et devient immensément riche grâce à la vente de l’épice. Le roman de Frank Herbert commence quand l’empereur décide d’offrir la direction d’Arrakis à la Maison Atréides. Son héros est Paul Atréides, le fils du duc qui accompagne ses parents dans un piège mortel, l’empereur cherchant à se débarrasser d’eux. Voilà pour la base, que Denis Villeneuve parvient à poser avec un bon sens de la narration, même si son scénario reste dense et nécessite une attention de tous les instants. Dès le départ, les visions de Paul ouvrent le film à un univers bien plus complexe encore, celui des Fremen, les natifs sur la planète. Et il ne faut pas oublier les Bene Gesserit, ces prêtresses qui peuvent contrôler les esprits en utilisant la voix1, de quoi ajouter une couche de complexité supplémentaire. L’idée maîtresse du romancier est d’opposer deux mondes, celui des puissances étrangères qui débarquent pour leur propre gain dans la grande lignée du capitalisme destructeur, et celui des locaux qui vivent en harmonie avec l’environnement où ils se trouvent. Dans cette premier partie, le cinéaste se contente d’esquisser cette opposition qui devrait se trouver au cœur de la suite, mais on en voit assez pour comprendre les enjeux. En particulier, Dune s’intéresse aux vers du désert, ces monstres de plusieurs centaines de mètres de long qui sont attirés par les vibrations rythmées et qui engloutissent les énormes machines utilisées par les hommes pour collecter l’épice. Ces vers constituent le clou du spectacle pour ainsi dire et Denis Villeneuve a les moyens modernes pour créer ces créatures impressionnantes et donner une bonne idée de leur taille. Mais surtout, il introduit déjà l’idée que ces menaces pour les étrangers peuvent être bien plus précieux pour les Fremen, un point clé qui n’attend que d’être développé dans un deuxième long-métrage.

Il y a beaucoup à découvrir et beaucoup à dire, si bien que l’on peut se sentir submergé par toutes les informations données dans Dune. À cet égard, la dernière réalisation de Denis Villeneuve est plus exigeante que la moyenne dans la catégorie des gros blockbusters de science-fiction, mais ce n’est pas pour autant que l’on est perdu comme chez David Lynch. D’une part, parce que l’histoire originale a été coupée en deux et il y a deux fois plus de temps ici à accorder aux personnages et à l’intrigue. D’autre part, parce que le cinéaste ne cherche pas à multiplier les scènes d’action à un rythme fou et il préfère au contraire prendre son temps. Il y a bien quelques scènes d’action et elles sont d’ailleurs réussies, mais on apprécie encore plus les temps calmes, ceux qui permettent aux personnages d’exister et qui offrent l’opportunité de montrer la beauté des paysages créés pour Dune. Il y a beaucoup de personnages qui défilent, tous ne sont pas aussi importants pour la suite, mais même ceux qui restent secondaires sont bien traités. Le roman n’hésite pas à faire dans la caricature, en décrivant notamment la Maison Harkonnen comme des brutes difformes, mais Denis Villeneuve a trouvé le bon moyen pour garder les grandes lignes de Herbert, tout en les modernisant. Tout est bien mieux dosé que dans l’adaptation des années 1980 et cette nouvelle version s’en sort aussi mieux sur le traitement des personnages féminins, qui ne sont pas que des sorcières terrifiantes. La romance annoncée pour le héros attendra la deuxième partie, mais d’ici là c’est la mère de Paul, incarnée par Rebecca Ferguson, qui a une belle place au casting. Timothée Chalamet est impeccable dans le rôle principal bien entendu et sa transition de fils de duc à Messie est parfaitement bien rendue, on la sent venir dès le départ et elle coule logiquement de source. Le plus grand défi de Dune était peut-être de parvenir à préserver ces personnages dans l’immensité du projet. Car le roman comme son adaptation imposent une échelle gigantesque, des vers du désert aux énormes collecteurs d’épice. Denis Villeneuve maintient cette échelle planétaire sans jamais oublier celle beaucoup plus réduite de ses personnages et l’ensemble est remarquablement équilibré.

Comme dans tous ses projets, le réalisateur canadien n’oublie pas d’apporter sa touche personnelle et notamment un sens prononcé de l’esthétisme. Après Blade Runner 2049, le « style Villeneuve » s’affine et s’affirme : on retrouve ces sublimes scènes colorées et un sens toujours impeccable de la mise en scène pour composer des séquences qui restent lisibles, quelle que soit leur échelle ou l’action qu’elles contiennent. Dune peut aussi compter sur le travail toujours spectaculaire de Hans Zimmer pour mettre en musique cette épopée. Si la bande-son a tendance par moment à prendre un petit peu trop de place, Denis Villeneuve a malgré tout réussi à l’exploiter au mieux pour amplifier ses images. C’est du très grand spectacle bluffant de maîtrise et c’est de la science-fiction comme on aimerait en voir plus souvent dans les salles. Une réussite indéniable, à ne rater sous aucun prétexte.

➡️ Critique du film suivant sur mon nouveau blog ⬅️


  1. On voit bien où George Lucas a trouvé l’inspiration pour bon nombre d’idées… c’est loin d’être la seule idée « piquée » à Frank Herbert d’ailleurs. De manière plus fondamentale, l’idée de s’éloigner de notre présent en imaginant un monde davantage inspiré par notre passé médiéval est un élément clé de Dune qui a été reprise à de multiples reprises depuis, et pas que par Star Wars