L’adage veut qu’il n’y ait pas de mauvaise publicité, et que toute publicité est bonne prendre, fût-elle mauvaise. Si c’est vrai, alors Ed Wood pourrait s’honorer d’être reconnu comme le pire réalisateur qui a jamais existé, et Plan 9 from Outer Space, son long-métrage sorti en 1959, qualifié de pire film qui a jamais été créé. On comprend en tout cas facilement pourquoi ce personnage atypique qui n’a jamais connu le succès et enchaîné les désastres artistiques toute sa vie pourrait intéresser d’autres réalisateurs. Tim Burton s’est peut-être retrouvé en lui, non pas pour ses échecs, mais plus pour son univers décalé fait de bric et de broc, même si ce n’était pas toujours maîtrisé et voulu. Ed Wood se concentrer sur les années 1950 pendant lesquelles ce cinéaste raté a enchaîné les bides devenus cultes par la suite. Tourné en noir et blanc, ce biopic éloigne le réalisateur de ses productions habituelles, pour un résultat malgré tout passionnant.
Ed Wood commence par positionner son personnage principal comme un metteur en scène raté qui enchaîne manifestement les échecs au théâtre. Son dernier spectacle débute dans une salle miteuse de Los Angeles où la pluie passe à travers le plafond et cette unique représentation est une catastrophe, qui lui vaut quelques phrases assassines de la part de la critique. Néanmoins, Ed Wood n’a pas du tout conscience de cette réalité, cet optimiste invétéré entend réussir, et non pas au théâtre, mais bien au cinéma. C’est l’âge d’or à Hollywood, on réalise des films à tour de bras et Tim Burton parvient très bien à montrer comment n’importe qui pouvait obtenir suffisamment de moyens pour réaliser son film. Le personnage parvient à obtenir un petit peu d’argent d’un producteur qui a déjà vendu un film à des salles et qui veut « une merde », comme il le dit lui-même, à pas cher, et très vite. Commence alors le tournage de ce qui deviendra Louis ou Louise, un film sur la transsexualité qui est réalisé avec un budget ridicule, sans aucune préparation, et à toute allure. Le résultat, disponible intégralement en ligne, serait drôle au second degré, mais c’est une œuvre sérieuse et totalement ratée. Ed Wood est non seulement le réalisateur, mais aussi l’acteur principal et le scénariste et il s’imaginait ainsi, avec toutes ses casquettes, comme le successeur de d’Orson Welles. Après ce premier long-métrage et ce premier échec — le film n’est pour ainsi dire jamais sorti —, il ne s’estime pas vaincu et parvient à rassembler à nouveau suffisamment d’argent pour réaliser plusieurs autres projets. Le biopic de Tim Burton s’intéresse à la réalisation de La Fiancée du monstre (à voir intégralement ici) qui a la réputation d’être l’un des films les moins chers de l’histoire à produire et enfin à Plan 9 from Outer Space (visible à cette adresse), un film de science-fiction plein de soucoupes en carton. En tout, Ed Wood s’arrête sur six à sept ans de l’histoire du cinéaste et le scénario évite totalement sa fin dans la misère et la drogue. C’est en quelque sorte l’apogée de ce réalisateur et ce n’est jamais très glorieux.
Tim Burton se moque de ce cinéaste raté et Ed Wood avance ainsi avec une forme d’ironie face à ces mauvais films et les tournages enchaînés à une vitesse folle, alors que rien ne va. Plusieurs scènes du biopic se déroulent justement sur les tournages des films d’Ed Wood et à chaque fois, c’est la même chose. Dans un studio souvent miteux, parfois même pas vraiment loué en bonne et due forme, le réalisateur installe l’équipe et donne deux trois consignes aux acteurs. Quel que soit le résultat, la première prise est jugée parfaite et gardée pour le montage final, même si un personnage fait trembler un pan entier du décor en passant par la porte. Même si un acteur bafouille ou oublie son texte, même si rien ne se passe comme prévu, le tournage doit avancer au plus vite. Deux ou trois jours pouvaient suffire pour un film entier, quitte à enchaîner jusqu’à vingt ou trente scènes dans la même journée. À un moment donné, l’équipe de tournage vole un accessoire dans un studio voisin, une pieuvre mécanique. Ils oublient de voler le moteur en même temps ? Qu’à cela ne tienne, les acteurs pourront bouger les tentacules pendant le tournage ! Tout est improvisé ainsi et le résultat, sans surprise, est souvent très mauvais, mais l’enthousiasme débordant d’Ed Wood ne lui permet jamais de le voir. Johnny Depp incarne le cinéaste raté et l’acteur est parfait dans ce rôle, avec son sourire béat affiché en toute permanence, ses petites mimiques et un petit côté maniéré qu’il a souvent repris par la suite. Même si Ed Wood est souvent dans le sarcasme et l’humour caustique, Tim Burton ne se contente pas de se moquer, il révèle aussi une vraie tendresse pour cet ancien confrère qui a tout raté. C’est bien ce qui ressort de son long-métrage, son regard n’est jamais vraiment dans la dénonciation et au contraire même, il semble parfois s’émerveiller d’une certaine poésie qui peut se dégager des tournages de son personnage… sans aller totalement jusqu’à prendre sa défense. De la même manière, la vénération d’Ed Wood pour Béla Lugosi, acteur devenu célèbre pour avoir incarner le personnage de Dracula, mais qui n’est qu’un drogué oublié à cette époque, est extrêmement touchante. Jusqu’au bout, le film reste dans cet entre-deux et on ne sait pas bien sur quel pied danser. Ce n’est pas un défaut en soi, mais il faut reconnaître que le projet n’est pas toujours très clair, comme si son concepteur était parti sur un projet davantage sarcastique et l’avait modifié en cours de route.
Loin du gothique déjà déployé à l’époque dans ses précédents films, Tim Burton réalise ici un biopic assez traditionnel. Certes, le noir et blanc très contrasté ajoute une pointe d’originalité et toutes les séquences de reconstitution des longs-métrages d’Ed Wood sont presque des concentrés de son univers. On pense parfois à Beetlejuice ou bien à Edward aux mains d’argent, néanmoins le biopic n’est jamais loin et il empêche à ces scènes d’atteindre tout leur potentiel. Ed Wood reste une œuvre passionnante, surtout si l’on ne connaît pas son personnage devenu culte et Tim Burton donne presque envie de voir les productions d’Ed Wood. Presque.