Julian Fellowes doit particulièrement aimer le Royaume-Uni de la fin du XIXe siècle. Après Downton Abbey, il conserve ce même cadre historique pour déployer une nouvelle histoire sur la fin de l’aristocratie, mais avec un tout autre angle. The English Game raconter en effet la naissance du football moderne, le sport le plus populaire au monde qui est né comme un sport de gentlemen respectables et surtout riches. Cette mini-série de six épisodes créée pour Netflix se concentre sur la bascule d’un sport d’élite à un sport populaire, quand une équipe d’ouvriers gagne la coupe d’Angleterre pour la première fois, en 1883. Même si, comme l’auteur de ces lignes, vous ne connaissez rien au football et que ce sport ne vous intéresse pas le moins du monde, Julian Fellowes propose une plongée historique à peu près réaliste sous la forme d’un feuilleton passionnant, à voir.
Jouer avec une balle est sans doute aussi vieux que l’humanité elle-même, mais le football moderne tel qu’on le pratique encore aujourd’hui est né dans les bonnes écoles anglaises à partir des années 1840. C’est à Cambridge que les premières règles formalisées et écrites sont posées, et ces règles constituent toujours la base du sport actuel. En 1863, plusieurs clubs issus de ces écoles forment à Londres la fédération anglaise du football, un organisme qui oblige les clubs participants à suivre les mêmes règles et qui existe toujours. Le sport connaît un succès fulgurant et au début des années 1880, plus de cent clubs appartiennent à la fédération et participent à la Coupe d’Angleterre chaque année. Le football n’est plus un sport de riche gentlemen, il s’ouvre à la classe populaire avec des clubs ouvriers dans tout le pays. The English Games se concentre sur deux figures historiques de ce moment charnière : Arthur Kinnaird, joueur des Old Estonians, fils de banquier et représentant des origines du jeu ; Fergus Suter, joueur écossais qui rejoint Blackburn qui est le premier club ouvrier à avoir gagné la coupe et qui est aussi considéré comme l’un des pionniers du style de jeu basé sur les passes que l’on pratique toujours. Julian Fellowes a simplifié quelques faits historiques, réduit le nombre de clubs à Blackburn et sauté quelques étapes dans la progression professionnelle de Fergus Suter, mais les grandes lignes sont bonnes et c’est à cette époque-là que le football échappe aux mains des plus nantis et devient un sport populaire. Une période charnière, que les six épisodes analysent très bien. Le scénario met parfaitement en lumière l’hypocrisie des créateurs de la fédération, qui sont aussi des joueurs. Ils sont juges et parties et ne veulent surtout pas que « leur » sport soit adopté par les ouvriers, qu’ils méprisent et craignent. Le choix d’interdire la rémunération est une stratégie à peine masquée pour exclure les autres catégories sociales. Face à ces nantis qui n’ont rien d’autre à faire que s’entraîner et qui bénéficient d’une alimentation parfaite, les ouvriers se tuent à la tâche toute la semaine, ils ont à peine de quoi manger et pas le temps de s’entraîner. L’idéal d’un jeu sans pression financière est noble, mais il est plus facile à atteindre quand on ne manque de rien et que l’on n’a besoin de rien. Face à cela, la passion populaire dépasse très rapidement le cadre étriqué des équipes scolaires de gentlemen, ce qu’Arthur Kinnaird comprend très vite. Les clubs ouvriers sont si nombreux qu’ils n’ont pas besoin de cette organisation qui fait tout pour les empêcher de gagner et le football est déjà un sport populaire que rien n’arrête en cette fin de siècle.
The English Games est une exploration fascinante de cette transition, mais c’est aussi une série pleine de personnages riches et dotés d’une vraie psychologie pour qu’ils existent réellement. On reconnaît là l’empreinte de Downton Abbey et la mini-série de Netflix ne ressemble pas du tout à un docs-fiction grâce à cela. Même si le football ne vous intéresse pas du tout, vous pourrez suivre ces histoires personnelles avec intérêt et replonger dans une époque de changements profonds. Les six épisodes de The English Games valent bien le détour.