Enola Holmes, Harry Bradbeer

Adapté d’une série de livres publiée par la romancière américaine Nancy Springer, Enola Holmes est un spin-off de l’univers de Sherlock Holmes, le célèbre détective britannique. Dans cette variante, Enola est sa petite sœur douée elle aussi de ses talents pour enquêter et elle devient détective privée comme son grand frère. Ce n’est pas l’idée la plus originale qui soit, certes, mais c’est une bonne manière de renouveler l’œuvre originale et de la sortir de son environnement exclusivement masculin. Le long-métrage réalisé par Harry Bradbeer est à cet égard résolument féministe et progressiste, au grand dam de tous ceux qui voyaient en Sherlock Holmes une figure du conservatisme1. Tant pis pour ceux qui veulent revenir dans le Londres crasseux du XIXe siècle, tant mieux pour ceux qui vivent résolument au XXIe. Enola Holmes n’est pas un grand film, il n’en a absolument pas la prétention d’ailleurs, mais c’est un divertissement agréable et sympathique.

Enola Holmes a été élevée seule par sa mère, Eudora Holmes, dans la demeure familiale. Seule, car son père est mort quand elle était jeune et ses deux célèbres frères, Sherlock et Mycroft, ont fui la demeure peu après. Son éducation isolée est très excentrique pour l’époque et la jeune fille n’a jamais appris à coudre ou à bien se tenir en société, mais elle connaît toute la littérature moderne, les sciences et même les arts martiaux. Quand sa mère disparaît du jour au lendemain sans crier gare et que ses deux frères débarquent, c’est la douche froide. Mycroft veut la placer dans une institution qui pourra en faire une bonne épouse et une bonne mère de famille et Enola décide alors de fuir et de chercher sa mère. Le long-métrage se construit autour de cette fugue, doublée de celle de Lord Tewksbury, un jeune du même âge qui a décidé de fuir lui aussi sa famille où il était promis à une carrière militaire, alors que c’est la botanique qui l’intéresse. Les deux jeunes se croisent par hasard dans un train et leurs chemins ne vont cesser de se croiser tout au long du film. La structure d’Enola Holmes est très classique et Harry Bradbeer n’essaie pas de la faire dérailler ou d’en dévier. La nouveauté ici ne se cache pas dans la narration, mais plutôt dans les multiples inversions et aux pointes de modernité insérées tout au long de l’histoire.

Le principal instigateur de l’enquête qui fait avancer l’histoire est une jeune adolescente de 16 ans bien décidée à mener sa vie comme elle l’entend et pas comme la société l’attend d’elle. Elle refuse de porter corset et robe bouffante, préférant les habits masculins et détournant les féminins pour se déguiser, voire pour esquiver une lame. Elle n’a pas envie de se marier et encore moins de coudre, elle veut se battre, enquêter et protéger ceux qui ne le peuvent pas. Enola Holmes place au contraire tous les hommes dans la catégorie des incapables ou empotés, y compris Sherlock qui a abandonné lâchement sa sœur et qui est toujours à la traine derrière elle. Mycroft représente toute la société archaïque et ses idées arriérées et même Tewksbury est représenté comme un poids qui gêne l’héroïne. C’est une vision résolument féministe, avec une femme forte et indépendante en guise de personnage principal. Et même si le scénario n’évite pas entièrement la piste romantique, elle est écartée jusqu’au bout au profit de la voie indépendante systématiquement choisie par Enola. Ajoutez à cela une diversité dans les personnages secondaires, avec une femme noire et Lestrade qui est incarné par un acteur d’origine pakistano-kényane, et vous obtenez une vision rafraîchie du mythique Sherlock Holmes.

Pandémie oblige, c’est Netflix qui diffuse ce long-métrage qui aurait dû sortir dans les salles en 2020. Un choix qui tombe sous le sens en regardant Enola Holmes, peut-être à cause de la présence de Millie Bobby Brown découverte dans Stranger Things et qui est d’ailleurs un point fort ici, avec un jeu naturel et réjouissant. Peut-être est-ce aussi la fin ouverte, qui appelle évidemment une suite qui pourrait prendre la forme d’une série. Quoi qu’il en soit, le film réalisé par Harry Bradbeer est un blockbuster bien calibré et très plaisant, parfait pour passer un bon moment sans avoir à sortir de chez soi.


  1. La série de romans et son adaptation cinématographique ont quand même été attaqués par les ayants-droits, car Sherlock Holmes dans la version libre de droits n’est pas censé avoir d’émotions. Imaginez l’état d’esprit qu’il faut avoir pour intenter un procès sur ce motif, même s’il s’agit naturellement davantage d’une tactique pour tenter de récupérer de l’argent…