Largement basé sur l’affaire Martel, un scandale d’espionnage au cœur de la Guerre froide, L’Étau raconte l’histoire d’un espion français qui va espionner Cuba pour le compte des renseignements américains. L’occasion rêvée pour Alfred Hitchcock de déployer ses talents en matière de suspense et dévoiler le « scandale d’espionnage le plus explosif du siècle », comme nous le promet son affiche. Malheureusement, le cinéaste ne semble plus vraiment inspiré par ses projets et ce long-métrage ne décolle jamais vraiment. Il n’ennuie jamais alors qu’il dépasse les deux heures, c’est un point positif, mais ce divertissement peine à passionner pour autant. Est-ce la Guerre froide qui n’inspire pas le réalisateur ? Quoi qu’il en soit, après Le Rideau déchiré, cela fait un deuxième film sympathique, sans plus.
L’Étau commence pourtant bien, avec une séquence au Danemark où un haut fonctionnaire du KGB essaie de fuir et de rejoindre les États-Unis. La séquence est classique, mais très bien menée, prenante et avec une bonne dose de suspense jusqu’au bout. Alfred Hitchcock est dans son élément et même si ce n’est pas très original, c’est une excellente entrée en matière. Malheureusement, ce n’est pas l’intrigue principale et celle-ci prend un petit peu de temps à s’installer. Arrivé aux États-Unis, l’espion russe passé à l’Ouest apprend à ses homologues que la Russie a l’intention d’apporter des missiles à Cuba. Il leur dit aussi comment en savoir plus, en prenant contact avec un cubain corruptible. Ce dernier déteste toutefois les Américains et c’est pourquoi l’agent de la CIA en charge du dossier contacte un collègue français, André Devereaux, et le charge d’enquêter. Comme il aime le faire, le réalisateur n’a pas dévoilé immédiatement qui était son personnage principal et on ne le découvre qu’assez tardivement, mais c’est bien cet espion français que l’on suit ensuite jusqu’au bout. D’abord à New York, et surtout à Cuba, où il entretient une relation romantique avec celle qui est à la tête de la résistance contre les communistes. Entre romance et suspense, L’Étau essaie de nous intéresser à cette affaire d’espionnage comme la Guerre froide en a connu des centaines probablement, mais le film patauge un petit peu, en multipliant les protagonistes et en ne parvenant pas vraiment à créer des personnages intéressants.
Même s’il y a quelques surprises dans le déroulé, le long-métrage semble très prévisible, ce qui n’aide pas à gagner des points en matière d’intérêt. On sait qu’Alfred Hitchcock n’a pas fourni la fin qu’il imaginait au départ, on sait aussi qu’il existe trois fins différentes et celle qui a été choisie finalement est assez décevante. Cela trahit un problème d’ensemble sur ce projet, mais une fin différente n’aurait pas suffi à faire de L’Étau un grand film. Pour une fois, le cinéaste semble avoir oublié la simplicité qui a fait sa force à tant d’occasions par le passé, et il y a sans doute trop de personnages, trop de lieux différents, trop d’intrigues secondaires. Par certains aspects, ce film est très moderne et il rappelle bon nombre de blockbusters qui n’hésitent pas à nous faire voyager et à creuser des intrigues en parallèle. D’ailleurs, il convient de saluer l’effort technique porté sur ce long-métrage, qui évite les décors de studio autant que possible. Le tournage n’a évidemment pas eu lieu à Cuba — faut-il rappeler que le film est sorti à la fin de l’année 1969, toujours en pleine Guerre froide ? —, mais les décors sont suffisamment crédibles pour qu’on ait l’illusion que c’était le cas. La comparaison avec Le Rideau déchiré est intéressante à cet égard et on sent que le cinéaste a fait un effort pour sortir des studios qu’il affectionnait tant. C’est bien, mais cela ne sauve pas plus l’ensemble. Plusieurs acteurs ne sont pas très bons, comme s’ils n’étaient pas vraiment dans le film, comme s’ils n’y croyaient plus vraiment. On ne croit jamais à l’histoire d’amour du personnage principal, toute la partie parisienne peine aussi à convaincre… au bout du compte, il n’y a pas grand-chose à sauver.
Alfred Hitchcock garde encore quelques belles idées de cinéma, à l’image de la séquence devant l’hôtel où le spectateur adopte le point de vue de l’espion de l’autre côté de la rue et n’entend pas la conversation. Ces bons moments maintiennent l’intérêt jusqu’au bout, mais pour autant, est-ce que L’Étau mérite d’être vu ? À moins de vouloir regarder tous les films du réalisateur britannique, il semble difficile de recommander cette œuvre mineure, d’autant qu’il y en a eu tant de majeures avant elles…