Les Éternels, Chloé Zhao

Les Éternels est le vingt-sixième film de l’immense Univers cinématographique Marvel et c’est le troisième (en un an !) de sa quatrième phase. Pourtant, le nom de Chloé Zhao à la réalisation a de quoi surprendre : la réalisatrice chinoise ne s’est pas faite connaître jusque-là pour des blockbusters hollywoodiens. De quoi espérer un ton différent ? C’était la promesse, avec un casting plus divers que la moyenne chez Marvel et même, imaginez donc, le premier superhéros ouvertement gay dans la saga. Une belle promesse, qui ne se concrétise pas entièrement à l’arrivée. Certes, Les Éternels prouve que l’on peut avoir un film de superhéros avec plus d’une couleur de peau et plus d’une sexualité et il était grand temps de le concrétiser. Néanmoins, on reste dans la grosse machine bien huilée qui écrase un petit peu tout et laisse trop peu de place aux personnages pour exister. Malgré ces contraintes, Chloé Zhao s’en sort plutôt bien et signe un divertissement plaisant, à défaut d’être aussi différent qu’on l’espérait.

Vous aviez l’impression que la saga était devenue trop complexe quand les ‌Avengers ont rencontré les Gardiens de la Galaxie puis les X-Men ? La fusion de tous les superhéros jamais inventés par Marvel est loin d’être terminée ! Les Éternels présente un nouveau groupe de héros, qui étaient même les premiers présents sur Terre, puisqu’ils sont sur notre planète depuis 7 000 ans, rien que ça. Ils ont été envoyés pour protéger les humains contre les Déviants, des créatures extrêmement dangereuses qui tuent tout ce qu’elles croisent, mais quand ils ont fini par tuer les derniers d’entre eux, au XVIe siècle, ils sont restés cachés au milieu des humains et vivant comme eux. Le film commence à notre époque, peu après le retour de la moitié de l’humanité disparue à cause de Thanos dans Avengers : Endgame. Alors qu’ils avaient disparu depuis cinq siècles, un Déviant surgit à Londres et attaque Sersi et Sprite, deux des Éternels. Face à ce retour, la bande de héros qui avait éclaté une fois leur mission terminée doit se reformer pour affronter à nouveau leur ennemi de toujours. Et peut-être pour sauver la Terre, promise à une destruction certaine si le Céleste qui se trouve dans son noyau parvient à se réveiller. Contrairement aux premiers pas de l’Univers cinématographique Marvel où l’on découvrait un personnage à la fois, il faut ici absorber une quantité assez folle d’informations pour espérer suivre ce qui se passe. On découvre d’un coup l’existence des Célestes, des créatures gigantesques qui peuplent l’univers et qui ont un pouvoir extraordinaire. Ce sont eux qui ont créé les Déviants et les Éternels que l’on croise aussi pour la première fois ici. Et il faut en outre découvrir non pas un, mais dix superhéros ! Tous ne sont pas aussi importants et quelques-uns disparaissent en cours de route, mais il n’en reste pas moins que Chloé Zhao a une tâche immense, presque impossible. Elle doit faire introduire en un seul film — qui dépasse les 2h30, certes — tous ces personnages et tous ces concepts et parvenir à rendre le tout digeste.

La mission est à peu près réussie. Les Éternels parvient à expliquer le rôle de ses personnages et les multiples flashbacks jusqu’en Mésopotamie, 5 000 ans avant J.C., permettent d’illustrer leur rôle dans l’évolution de l’humanité. Par exemple, le vaisseau spécial des Éternels est stocké sous la cité de Babylone, qui est devenue le mythe que l’on sait grâce aux pouvoir des Éternels. C’est bien trouvé et bien amené, mais il y a tant à expliquer et tant de personnages à faire exister qu’il y a forcément des faiblesses. En l’occurrence, les nouveaux superhéros que l’on découvre ici ne sont pas tous soignés comme on l’aimerait. La réalisatrice souhaitait apporter de l’intime au sein d’un blockbuster Marvel et on en reste loin, même s’il faut souligner qu’elle essaie de faire son maximum. Malgré tout, on manque de temps pour créer une psychologie digne de ce nom et les héros ont du mal à sortir de leurs costumes colorés assez caricaturaux. Dans ce groupe de dix, chacun à un pouvoir spécifique et on a un peu le sentiment de revoir des variantes de dizaines d’autres superhéros connus. Le pire est sans doute Ikare, un ersatz de Superman sans vraie saveur, mais autour de lui, les bonnes idées manquent un petit peu à l’appel. L’un contrôle les esprits, l’autre a des poings puissants, celle-ci peut se déplacer rapidement, celle-là créer des illusions d’optique… même si les Éternels sont apparus dans les années 1970, leur arrivée au cinéma fin 2021 n’aide pas à faire ressortir leur originalité. La seule exception, c’est Phastos qui est le savant du groupe et surtout ouvertement gay. Un symbole bienvenu dans cette saga si hétéronormée jusque-là et Chloé Zhao a soigné ce personnage. C’est le seul à avoir une vraie vie de famille, il est en couple avec un autre homme, ils ont un petit garçon et on les voit à deux reprises dans leur quotidien sans histoire. C’est une excellente idée, même si elle reste trop timide, mais Les Éternels souffre de son format. Une série aurait sans doute permis de creuser davantage l’intime revendiqué par sa créatrice. Étant données les contraintes imposées par un long-métrage qui appartient directement à la saga de Marvel, on pouvait toutefois difficilement éviter mieux et on peut saluer encore une fois le choix d’accorder plus de place au couple gay.

Dommage que Chloé Zhao n’ait pas pu en profiter pour moderniser le discours de la saga sur d’autres thématiques, à commencer par le réchauffement climatique. Il est difficile de savoir qui est responsable du traitement qui lui est réservé, mais Les Éternels est aussi déplorable sur le sujet que tous ses prédécesseurs. Alors même qu’il y avait une opportunité en or pour en parler à un moment, le scénario préfère déporter la faute sur une cause externe, enlevant toute responsabilité à l’humanité. Le climat est toujours le plus gros interdit à Hollywood, si bien que l’on pouvait s’y attendre. Cela étant, Les Éternels est un divertissement plaisant, avec un humour Marvel mieux dosé que la moyenne de la saga et un bon dosage entre action et séquences plus calmes. Ce n’est peut-être pas aussi radical qu’on l’imaginait, mais pouvait-on réellement attendre mieux ?