Ridley Scott est-il le maître contemporain du péplum ? En tout cas, c’est bien le seul cinéaste majeur aujourd’hui à continuer à entretenir ce genre largement tombé en désuétude. Et quinze ans après son excellent Gladiator, il propose un nouveau péplum, mais cette fois le pendant biblique du genre. Le titre, manifestement oublié par les traducteurs français, ne laisse place à aucun doute : Exodus: Gods and Kings s’inspire de L’Exode, cette partie de l’Ancien Testament qui évoque l’histoire de Moïse et de la fuite des esclaves juifs de l’Égypte. L’histoire est connue et le cinéma s’en était déjà emparé à plusieurs reprises, à commencer par le mythique Les Dix commandements de 1956, mais Ridley Scott entend moderniser le récit biblique. Dépoussiéré, revisité à la sauce « réaliste », que reste-t-il de l’exode ? Pas grand-chose malheureusement : Exodus: Gods and Kings est non seulement totalement incohérent sur le plan du réalisme historique, il est aussi un mauvais film. À éviter.
Exodus: Gods and Kings a suscité beaucoup de polémiques à sa sortie, réunissant paradoxalement les religieux et croyants autant que les civils et athées. Les premiers ont reproché la vision réaliste apportée à la Bible et la représentation divine différente de la vision liturgique. Les seconds ont critiqué le long-métrage de Ridley Scott pour son casting complètement blanc, alors que tous ces personnages sont censés être Égyptiens. Il y a bien des noirs dans le film, mais uniquement pour incarner des personnages négatifs. Le « whitewashing » est difficile à contester et ce n’est pas l’argument apporté par le réalisateur de la nécessité de stars pour financer le projet qui apporte une réponse censée. Sans compter qu’à l’écran, ces acteurs blancs maquillés avec des tonnes de fonds de teint réussissent surtout à être ridicules et jamais crédibles. Christian Bale se débrouille moyennement en Moïse, mais le pire est probablement le personnage de Ramsès II, incarné par l’acteur australien Joel Edgerton que l’on a connu plus inspiré. Même les personnages secondaires sont souvent mauvais et on se demande bien ce qu’est venue faire Sigourney Weaver dans cette galère. La critique religieuse est assez difficile, elle aussi, à écarter du revers de la main. Si Exodus: Gods and Kings voulait vraiment adapter le récit biblique, c’est un échec assez complet. Inutile de s’appesantir sur les détails, mais le scénario utilisé par Ridley Scott varie sur presque tous les points avec la Bible. Il y a bien quelques points importants qui sont respectés, du panier retrouvé sur les bords du Nil aux tables de la loi, en passant par l’horreur suscitée par l’esclavage des Juifs et les dix plaies, mais sur le fond, le film dévie totalement. Et sa vision pseudo-scientifique des miracles, accompagnée d’un messager de Dieu incarné par une enfant, est, il faut bien le reconnaître, assez grotesque. Des crocodiles qui agitent l’argile du Nil et qui suffisent à le rendre rouge, sérieusement ?
Sur le fond, Ridley Scott a choisi de reproduire une formule éprouvée au cinéma depuis quelques années. Exodus: Gods and Kings reprend une histoire classique, un mythe connu de tous, et en livre une relecture sur un mode qui se veut plus réaliste. Moïse devient donc un guerrier féroce et même impitoyable, leader d’une armée qui trouve la foi et mène le peuple juif jusqu’à la région de Canaan, en Israël aujourd’hui. Ce n’est pas vraiment une idée nouvelle et après tout, on est au même niveau que la vision guerrière de Blanche-Neige et le Chasseur ou celle toute en noirceur de Maléfique, mais cette fois ce n’est plus un conte fantastique, mais un récit biblique. Cela peut poser un problème pour un croyant, mais rien n’empêche de le faire et l’histoire de Moïse offre indéniablement une base solide pour un film spectaculaire. En soi donc, Ridley Scott avait de quoi faire et Exodus: Gods and Kings n’était pas prédestiné à être raté. Malheureusement, il l’est : même en oubliant toute véracité historique, en mettant de côté le fait que l’on soit en Égypte 2500 avant J.C. et en oubliant l’anglais parfait parlé par tous les personnages, même en faisant cet effort, le film reste médiocre. Il est long — près de 2h30, mais ce n’est rien en comparaison de la version souhaitée par le cinéaste promise pour durer quatre heures… — et mal rythmé. Certaines parties sont plus convaincantes que d’autres, toute la séquence des dix plaies par exemple est bien menée et réussie, mais on s’ennuie ferme trop souvent. La fin est particulièrement ennuyeuse, avec une traversée de la Mer rouge étonnamment faible : pour le coup, la vision souhaitée réaliste dessert le film et cette séquence que l’on espérait impressionnante ne l’est pas du tout. Au-delà du rythme, Exodus: Gods and Kings n’impressionne ni par ses scènes d’action bien peu inspirées et déjà vues et revues ailleurs, souvent en mieux, ni par ses personnages sans intérêt. On a un défilé d’acteurs célèbres qui sont en général tous aussi ridicules les uns que les autres, et on a aucun personnage digne d’intérêt. Même Moïse devrait être une personnalité complexe, tiraillée entre son éducation et ses origines, entre son rôle militaire et sa vocation, mais il n’existe quasiment pas à l’écran et il n’a aucune épaisseur psychologique à faire valoir. Le cinéaste n’a pas réussi à mettre de la vie dans cet immense blockbuster qui ne semble exister que pour ses effets spéciaux. Et à l’heure des bilans, Exodus: Gods and Kings est un film que l’on oublie aussitôt vu, et c’est décevant quand on pense à ce qu’un Ridley Scott plus inspiré aurait pu faire.
Le long-métrage a suscité énormément de polémiques à sa sortie, mais quand on le voit finalement, on se demande si elles étaient bien nécessaires. Exodus: Gods and Kings pose problème, sans doute, mais son plus gros défaut n’est pas sa lecture peu fidèle de la Bible ou ses acteurs qui ne font pas Égyptiens. Non, c’est que c’est un mauvais film, tout simplement. Ridley Scott est capable du meilleur, comme du pire, et il était vraiment dans sa phase du pire cette fois-là. On peut s’en passer sans peine…