Foundation, David S. Goyer et Josh Friedman (Apple TV+)

Adapter Fondation ressemble un défi impossible et paradoxalement, la version créée par Apple TV+ semble confirmer cette impossibilité. Ce roman fondateur d’Isaac Asimov, qui a posé tous les jalons du space opera moderne et qui a été copié des centaines de fois depuis, se déroule dans un futur éloigné sur plusieurs centaines d’années. Les personnages n’y font qu’un passage discret et il faut tenir compte de bouleversements profonds dans l’humanité. Autant de paramètres qui rendent toute idée d’une adaptation irréaliste et de fait, Foundation n’adapte pas réellement l’œuvre d’Asimov. La série s’en inspire et l’utilise comme cadre général, mais elle invente dès les premières minutes sa propre histoire. C’était probablement inévitable, tout comme l’était la déception du lecteur qui attendait le cycle au complet. Cela étant, Apple a offert à David S. Goyer et Josh Friedman des moyens à la hauteur de leur ambition et cette première saison donne envie d’en voir plus, même si elle se perd trop fréquemment dans des histoires personnelles sans intérêt.

Le Cycle de Fondation a commencé dans les années 1940, sous la forme de nouvelles publiées dans une revue de science-fiction, avant de devenir un montre du genre avec sept romans qui s’écoulent sur plusieurs siècles. Un défi à adapter sur les écrans, tant les personnages principaux des premières pages peuvent ne prendre part qu’à une petite part seulement de l’intrigue. Le cas le plus spectaculaire est bien celui de Hari Seldon, l’architecte de la Fondation qui disparaît dès le départ et ne joue ainsi qu’un rôle limité à l’échelle de l’œuvre. Pour ne pas constituer un casting énorme et surtout qui changerait à chaque épisode, les scénaristes de Foundation ont décidé de ne pas respecter Isaac Asimov à la lettre. Ils s’inspirent de l’univers, de ce futur lointain plusieurs dizaines de milliers d’années après notre époque où l’humanité a colonisé toute la Voie lactée et oublié la Terre. Ils reprennent quelques personnages principaux, Hari Seldon bien sûr, mais aussi Gaal Dornick qui change quand même de sexe en devenant une mathématicienne qui débarque dans la capitale de l’Empire juste quand le créateur de la psychohistoire se fait arrêter pour ses prédictions de la chute du régime en place. Salvor Hardin est aussi présent, ou plutôt présente puisque c’est aussi une femme, le romancier ayant manifestement un problème avec les personnages féminins et son histoire étant strictement masculine. Les fans du cycle original retrouveront ces quelques repères, mais ils seront vite perdus face au déluge d’inventions. Il y a désormais non plus un, mais trois empereurs, tous clonés d’un original qui a vécu quatre siècles avant notre histoire et à des âges différents, un bambin, un adulte et un vieillard. Hari est tué par un coup de poignard de son protégé, Gaal a un rôle complètement à part et Salvor est liée à elle directement… on comprend bien vite que l’on a affaire à une toute autre histoire.

Ce qui n’est absolument pas un problème, d’ailleurs. L’œuvre d’Isaac Asimov n’aurait aucun intérêt sur les écrans si elle avait été adaptée telle qu’elle a été écrite et les ajustements réalisés par David S. Goyer et Josh Friedman sont logiques. Par exemple, ils parviennent à trouver des astuces pour maintenir les mêmes personnages dans le temps sur plusieurs décennies et même au-delà. Hari Seldon reste avec nous sous la forme de projections et on imagine qu’il restera un personnage central pendant encore plusieurs saisons. Gaal Dornick et Salvor Hardin traversent les temps grâce à la cryogénisation, un classique de la science-fiction qui permet bien de justifier qu’un personnage dépasse son espérance de vie. Quant à l’empereur, l’astuce du clonage permet à quelques acteurs de conserver leur rôle sur une longue période, même s’ils jouent techniquement des versions différentes à chaque fois. Ajoutez dans le mix un robot humanoïde et vous obtenez ainsi un cœur de personnages principaux qui devraient se croiser régulièrement au fil des siècles. On verra dans la suite si cela devient artificiel, mais les scénaristes des dix premiers épisodes ont fait un bon travail pour maintenir la cohérence de l’ensemble. Il y a bien quelques facilités, notamment des personnages qui se retrouvent bien facilement alors qu’ils étaient séparés de plusieurs années lumières et plusieurs dizaines d’années, mais il faut reconnaître que la première saison tient la route de ce côté. L’univers imaginé par Asimov est suffisamment riche pour que les créateurs puissent imaginer des histoires originales et reconstituer des mondes incroyables, avec une diversité qui rappelle le meilleur du genre, Star Wars en tête. L’ampleur de cet univers riche de plusieurs milliers de milliards d’êtres humains est bien rendue et les moyens ont été réunis pour une reconstitution de qualité.

Sur le plan technique, il n’y a pas de reproche majeur à faire à l’encontre de Foundation. C’est la première « grosse » série pour Apple TV+ et le service de streaming n’a pas lésiné sur les dépenses, avec des effets spéciaux irréprochables et un joli budget pour tous les décors et accessoires. On est sans conteste au niveau d’un Game of Thrones sur la qualité de la reconstitution et cela fait plaisir de voir de la science-fiction traitée avec autant de sérieux. Dans le genre, on pense aussi à The Expanse, avec le même sens d’un univers riche dont on n’a eu qu’un avant-goût. Saluons en passant le sens des scénaristes pour montrer les informations, au lieu de constamment recourir à des personnages pour nous les expliquer, un point clé pour se sentir immergé dans un autre monde. Beaucoup d’éléments positifs en somme et tout serait parfait, s’il n’y avait pas un gros défaut à signaler : Foundation multiplie les histoires personnelles caricaturales au lieu de faire avancer son intrigue principale. C’est un problème trop fréquent des séries qui doivent gonfler un matériau narratif limité à la base, les scénaristes sont contraints d’imaginer des arcs narratifs supplémentaires et ceux-ci sont rarement bons. Dans le cas de la série d’Apple TV+, ce sont des romances en pagaille qui n’apportent rien, si ce n’est une perte de temps. Alors que l’on attend de savoir comment la Fondation va être établie et ce qui va arriver à l’Empire, on nous parle d’histoires d’amour dans tous les sens. Pour ne rien arranger, ces romances sont au mieux caricaturales, souvent gratuites et peu motivées par le scénario. À l’exception de l’arc qui implique le jeune empereur et qui est un petit peu plus intriguant, le reste est amené de façon si simpliste qu’on dirait une caricature. Ajoutez à cela une hétéronormativité générale assez désolante pour une adaptation qui tentait pourtant de dépoussiérer un vieux classique et vous frôlez la correctionnelle.

La première saison de Foundation est sauvée par la richesse sous-jacente, par cet univers si vaste et complexe que l’on a envie de découvrir, par la crédibilité des religions et systèmes politiques établis sur ces mondes. Tout ceci est passionnant et fort heureusement, la série d’Apple TV+ parvient à transmettre cette passion au spectateur, car sans cela, on s’arrêterait au bout d’un ou deux épisodes seulement. David S. Goyer et Josh Friedman ont présenté au service de streaming un projet étalé sur pas moins de huit saisons, une ambition folle. On espère qu’ils n’envisagent pas de le faire en perdant autant de temps avec des intrigues secondaires dans chaque saison. En tout cas, ces dix premiers épisodes sont suffisamment réussis pour donner envie d’y revenir. Cela tombe bien, Foundation reviendra pour une deuxième saison !