How I Met Your Mother, Carter Bays et Craig Thomas (CBS)

Dans la catégorie des sitcoms, Friends reste la référence du genre, la plus connue et la plus référencée. Quand CBS lance How I Met Your Mother en 2005, c’est probablement pour essayer de lancer « son » Friends, en tout cas une sitcom dans le même esprit. Une bande de jeunes new-yorkais, des histoires d’amour, de l’humour… en apparence, la série créée par Carter Bays et par Craig Thomas n’est qu’une redite un peu facile. Néanmoins, ils introduisent un twist, une idée assez brillante qui renouvelle le genre : l’histoire est racontée depuis le futur, sous la forme d’une série de flashbacks, par le personnage principal. Comme le titre le laisse bien entendre, Ted Mosby explique en 2030 à ses deux enfants comment il a rencontré leur mère. Une histoire qui commence en 2005 et qui se déroule ensuite sur neuf ans et autant de saisons. C’est une idée très ambitieuse et qui offre aux scénaristes de nouveaux outils, souvent exploités de manière astucieuse. Ajoutez à cela des personnages attachants et cinq acteurs excellents et vous obtiendrez une excellente sitcom. How I Met Your Mother souffre de quelques défauts et notamment un final décevant, mais cela n’enlève rien à la réussite de la majorité de la série. Un nouveau classique du genre !

Avant de présenter le « gang », les cinq personnages principaux qui seront au cœur de la série, le pilote de How I Met Your Mother présente deux enfants. Ils seront là comme un fil rouge à travers toutes les saisons, même si leur rôle est minimal, mais ils servent à poser le mécanisme de l’histoire, à savoir le flashback. L’idée, donc, c’est que Ted Mosby raconte à ses deux enfants devenus adolescents comment il a rencontré leur mère. Cette histoire commence en 2005, alors que Ted est un jeune architecte new-yorkais qui vit en colocation avec Marshall, un ami d’université. Le premier épisode ouvre sur l’annonce des fiançailles entre Marshall et Lily, une annonce qui lance toutes les interrogations du personnage principal : avec qui va-t-il se marier et fonder la famille dont il rêve ? Dans ce même épisode, il rencontre par hasard Robin et tombe immédiatement amoureux, mais le sentiment n’est pas réciproque. On rencontre aussi Barney, un banquier PLEASE coureur de jupons qui essaie de caser son ami Ted dans le MacLaren, le pub en bas d’immeuble où il habite et où les cinq vont passer l’essentiel de leur temps. En un épisode ou deux, le scénario a posé les personnages et les décors parfaits pour une sitcom et How I Met Your Mother peut vraiment commencer. En majorité, surtout dans les premières saisons, on retrouve les ressorts comiques du genre, les aventures amoureuses systématiquement malheureuses de Ted, les interactions pas toujours faciles dans le couple de futurs mariés, les difficultés professionnelles de Robin et surtout les délires de Barney. Dès le départ, ce personnage vole la vedette et pique la première place à Ted, même si ce dernier reste le moteur principal de l’intrigue et le narrateur. Son humour décapant, souvent basé sur le comique de répétition — tout est en général « legen… wait for it… dary ! » —, fonctionne très bien. Il convient de saluer le talent de l’acteur, essentiel dans cette réussite : Neil Patrick Harris a tout donné pour son personnage de Barney Stinson et il est brillant, tout simplement.

Les créateurs de la série avaient tous les ingrédients à leur disposition pour faire une bonne sitcom, dans l’esprit effectivement de Friends, mais le twist du flashback apporte à How I Met Your Mother toute son originalité. L’idée de raconter comment Ted a rencontré la femme de sa vie et mère de ses enfants n’est pas qu’un artifice gratuit introduit dans le pilote uniquement pour lancer l’histoire. Bien au contraire, c’est un moteur essentiel au cœur de chaque saison, et même de chaque épisode. Le narrateur de 2030 est omniprésent et comme il en sait plus que les personnages, il peut ajouter un commentaire et, par exemple, critiquer une décision prise par le Ted qu’il était ou par l’un des autres personnages. Quand ils promettent d’arrêter l’alcool ou bien quand ils se laissent convaincre par Barney de faire quelque chose qui semblait stupide, le narrateur intervient souvent pour dire que c’est n’importe quoi, ou au contraire pour confirmer le sentiment d’un personnage. Même si l’intrigue se déroule sur plusieurs années et reste largement linéaire, How I Met Your Mother ne se prive pas de ce point de vue du futur pour casser certaines attentes, dévoiler un élément clé qui se passe ensuite, ou bien faire une remarque désobligeante. Cet effet est utilisé constamment et même dès le pilote, où Ted indique d’emblée à ses enfants que Robin n’est pas leur mère. Dans une autre série, le suspense aurait été naturellement permis à ce stade, mais ce n’est pas le cas ici, et c’est plutôt gonflé. Carter Bays et Craig Thomas se privent volontairement d’un moteur classique dans la fiction, mais ils récupèrent en échange quelques astuces pour faire avancer le récit différemment. Les multiples récits, souvent imbriqués les uns dans les autres, sont plus intéressants avec cet angle du retour dans le temps. Et puisqu’il s’agit de souvenirs parfois anciens, Ted oublie parfois un nom, voire se trompe totalement. Quelques épisodes jouent sur cette idée que le narrateur n’est pas fiable et c’est à la fois amusant et un rappel que tout ce que l’on nous raconte n’est que le point de vue d’un personnage. En général, les sitcoms ont un regard externe sur la situation, mais ce choix apporte quelque chose de nouveau et c’est bienvenu.

Ce mécanisme est le point fort de How I Met Your Mother, mais c’est aussi son principal défaut. L’idée de revenir en arrière pour raconter l’histoire permet aux scénaristes de sortir des clichés et d’imposer une voie différente, mais elle les limite aussi et la série peine à rester aussi passionnante d’un bout à l’autre. La neuvième saison est la plus faible à cet égard : en se concentrant uniquement sur les quelques jours qui précèdent un mariage, elle reste trop statique et patine un petit peu trop. Il y avait déjà eu des signes avant-coureur, des gags un petit peu trop récurrents et surtout des arcs narratifs qui se répètent, le pire défaut dans une série aussi longue. L’histoire entre Robin et Barney se répète une fois, mais le pire est sans doute celle entre Robin et Ted, qui n’arrête pas de tourner en boucle. Le choix de reculer au maximum l’apparition de la mère était excellent pour les trois ou quatre premières saisons, mais ensuite il devient un prétexte qui semble de plus en plus gratuit pour prolonger l’histoire et remplir des saisons. How I Met Your Mother aurait probablement gagné à être raccourci de deux ou trois saisons sur les neuf, tandis que les deux derniers épisodes auraient gagné à être étendu sur une saison entière. La fin pose un gros problème : elle est précipitée, semble totalement gratuite et remet beaucoup trop d’éléments en cause sans vraie raison. La série serait bien meilleure sans cet ultime épisode et même sans la dernière saison, mais cela ne veut pas dire qu’elle ne mérite pas le détour pour autant. Les cinq ou six premières saisons sont vraiment excellentes, les personnages sont bien écrits et tous interprétés de façon solide, on sent une vraie complicité entre les acteurs qui offre à l’intrigue une meilleure base et les blagues sont vraiment drôles. Bref, How I Met Your Mother est une excellente sitcom et ce n’est pas parce que sa fin est moins bonne qu’il faudrait se priver de la regarder.

Difficile de tenir sur plus de deux-cents épisodes avec un concept aussi audacieux que l’histoire racontée en flashback. Que les scénaristes de la série commandée par CBS aient réussi à tenir sur les neuf saisons relève déjà du miracle et même si How I Met Your Mother ne se termine pas aussi bien, elle reste une sitcom excellente. On s’attache très vite aux personnages, on sort petit à petit des caricatures initiales pour découvrir une sorte de famille imaginaire que l’on a l’impression d’avoir toujours connue. Carter Bays et Craig Thomas ont eu la bonne intuition en remontant le temps comme ils l’ont fait, c’est un très bon moyen de renouveler le genre. Si vous aimez les sitcoms, ne passez pas à côté de How I Met Your Mother, vous ne le regretterez pas !