Indiana Jones et le Temple maudit, Steven Spielberg

L’idée soufflée par George Lucas à Steven Spielberg était une mine d’or. Sorti en 1981, Les Aventuriers de l’arche perdue est un carton en salles et le succès est tel qu’il appelle une suite. Cela tombe bien, le projet original était basé sur le concept des feuilletons et le premier long-métrage lance une saga, une trilogie à l’origine. Trois ans après, Indiana Jones et le Temple maudit sort dans les salles, un deuxième volet dans la lignée du précédent film et en même temps assez différent. On oublie l’égyptologie et les Nazis, l’intrigue se déroule ici un an auparavant, essentiellement en Inde. Nouveau contexte, mais aussi nouvelle direction pour le scénario qui parie davantage sur l’humour tout en ménageant quelques séquences spectaculaires restées cultes et en suivant une voie plus sombre et sanglante que son prédécesseur1. Le résultat est plus original et un petit peu moins équilibré que le premier épisode de la saga, mais Indiana Jones et le Temple maudit reste un excellent film d’aventures et un grand moment de cinéma.

Steven Spielberg aurait aimé réaliser un épisode de la saga James Bond et c’est évident comme jamais dans la première partie de ce film. La séquence qui se déroule en Chine puis la scène dans les contreforts himalayens pourraient être extraits directement des aventures de l’agent secret 007 et Harrison Ford aurait probablement été très bien dans ce rôle. Indiana Jones et le Temple maudit commence un an avant Les Aventuriers de l’arche perdue, dans un restaurant de Shanghai où Indiana Jones doit remettre un artefact archéologique en échange d’un diamant. Ses interlocuteurs essaient toutefois de le doubler en empoisonnant l’archéologue et la scène se termine avec des coups de feu et une course-poursuite dans les rues de la ville. Plus tard, le héros, un enfant nommé Demi-Lune qui l’accompagne apparemment dans toutes ses aventures et une femme récupérée un peu par hasard dans le restaurant, montent dans un avion en direction des États-Unis. Alors qu’ils survolent l’Himalaya, les deux pilotes les abandonnent et ils doivent sauter sans parachute. Cette séquence en particulier rappellent les aventures de l’espion, notamment lorsqu’ils dévalent la montagne enneigée sur un bateau gonflable. On pourrait presque imaginer voir le générique à ce moment-là, mais le long-métrage glisse directement vers son intrigue principale, sans retour au pays cette fois. Steven Spielberg introduit la quête que doit suivre son personnage et ses deux acolytes, à savoir récupérer une pierre supposée magique dans un temple que l’on dit soumis aux forces du mal. À partir de ce moment, Indiana Jones et le Temple maudit suit un fil narratif assez simple, avec les trois héros qui se rendent à ce temple et toutes les péripéties qui se dressent sur leur chemin. Le scénario est à cet égard assez simple, mais cela n’a pas empêché de renouveler le genre de manière assez profonde. De fait, l’ambiance n’est plus du tout la même dans cette suite.

L’action souvent spectaculaire, le mythe teinté de fantastique et l’humour distillé au milieu : ces trois piliers sont toujours présents dans cette suite. Néanmoins, Steven Spielberg, tout comme George Lucas d’ailleurs, veulent une orientation plus noire, peut-être plus en accord avec des difficultés personnelles de l’époque. De fait, Les Aventuriers de l’arche perdue avait un côté insignifiant, une légèreté que l’on ne retrouve pas dans ce deuxième long-métrage. Le fameux temple maudit évoqué par le titre est plus sombre, littéralement et aussi parce qu’il est constamment survolé par une noirceur nouvelle dans la saga. On le sent dès le départ, sur le chemin, avec ces chauve-souris qui ajoutent une pointe de lugubre. C’est encore davantage le cas quand les personnages arrivent sur les lieux totalement vides, puis quand ils mangent ce repas étrange composé de serpents encore vivants, de cervelle de singe et de soupe aux yeux. Indiana Jones et le Temple maudit reste dans cette noirceur par la suite, quand on découvre les sacrifices humains et la mine où des enfants travaillent comme esclaves : les Nazis du premier volet avaient ce côté de méchant universel qui était paradoxalement moins inquiétant que ces fanatiques religieux. Le paradoxe, c’est que le film joue en même temps davantage sur l’humour que le premier volet. Sans tomber dans la comédie pure, les touches humoristiques sont plus présentes, notamment à travers le personnage de Willie, incarné par Kate Capshaw. Cette chanteuse embarquée dans l’aventure par hasard joue sur les clichés féminins de façon souvent outrancière2, mais elle ajoute au passage une bonne dose de second degré qui vient contre-balancer la noirceur. C’est aussi le cas de l’enfant associé pour une raison un peu mystérieuse à la bande3, mais qui ajoute indéniablement un petit peu de légèreté lui aussi. Sans compter que Harrison Ford peut déployer plus largement son flegme naturel et l’acteur est excellent dans cette interprétation moins sérieuse. Indiana Jones et le Temple maudit a inspiré bon nombre de blockbusters dans le domaine, on pense par exemple souvent à la saga Pirates des Caraïbes qui joue sur le même registre.

Plus de noirceur et plus d’humour, cette suite se permet aussi d’être encore plus spectaculaire, notamment le temps d’une scène sur un chariot dans la mine. Taillée pour les parcs d’attraction et d’ailleurs exploitée par la suite par Disneyland, cette séquence reste un modèle du genre toutefois et il faut saluer l’inventivité de Steven Spielberg pour créer l’impression de vitesse folle. À l’arrivée, Indiana Jones et le Temple maudit est plus original que son prédécesseur, plus surprenant aussi. On pouvait s’attendre à une suite dans la même lignée, qui aurait joué sur les mêmes époques et références, mais le cinéaste prend un risque en changeant de contexte et d’ambiance. Le résultat est à la fois plus sombre et plus humoristique, ce qui semble paradoxal a priori, mais c’est avant tout le signe d’un long-métrage plus équilibré qu’il n’y paraît. Indiana Jones et le Temple maudit ne peut pas être aussi facilement rangé dans une catégorie, il n’en reste pas moins que c’est un film extrêmement réussi et qui se laisse (re)voir avec plaisir.


  1. On a l’habitude aujourd’hui de voir davantage de violence dans tous les films, y compris les blockbusters grand publics. À sa sortie, Indiana Jones et le Temple maudit a surpris et parfois choqué pour quelques scènes, notamment celle où l’on voit un cœur ensanglanté à l’écran. Aux États-Unis, c’est ce film et Gremlins qui ont conduit à créer la classification PG-13, devenue très courante. 
  2. Si le film a globalement bien vieilli, le traitement des femmes n’est pas une réussite. Le rôle de l’actrice principale se cantonne souvent à crier sur un ton aigu et même si elle participe à l’aventure, c’est toujours pour assister les deux personnages masculins, jamais de son propre fait. Sans compter les gestes macho d’Indiana Jones, le pire étant probablement le coup de lasso à la fin. 
  3. Steven Spielberg a découvert Tintin après la sortie du premier Indiana Jones et il s’est inspiré de ses aventures. Demi-Lune serait ainsi inspiré par Tchang, personnage qui apparaît dans trois volumes des Aventures de Tintin