Invasion, Simon Kinberg et David Weil (Apple TV+)

Dès son titre, Invasion promet de l’action à haute dose et une série de science-fiction assez banale. Il est bien question d’une invasion d’extraterrestres sur notre pauvre planète Terre, mais c’est bien la seule attente qui n’est pas déçue en regardant la création d’Apple TV+. Déçue n’est pas le bon mot toutefois. À condition de garder un esprit ouvert et de ne pas attendre à tout pris une énième redite d’un Michael Bay, la série de Simon Kinberg et David Weil s’avère riche en surprises. À l’image de ce que Dark a pu réaliser pour le voyage temporel, Invasion propose une autre lecture de l’attaque extraterrestre. Avec quelques pics de violence et moments pleins de suspense, certes, mais aussi en prenant le temps de poser des personnages et surtout en n’ayant pas peur de laisser les personnages dans le noir. Si vous aimez vous laisser porter et vous faire surprendre, à ne pas rater.

On s’attend à une attaque, mais celle-ci ne vient pas. Ou plutôt, elle survient, mais on ne la voit pas. L’une des meilleures idées d’Invasion est de ne jamais adopter de point de vue global. On croise à un moment la présidente des États-Unis à travers des téléviseurs, on voit plus tard un général américain évoquer une attaque nucléaire, mais c’est à peu près tout. L’événement n’est pas vécu en hauteur à petite échelle, les deux créateurs préfèrent au contraire zoomer jusqu’à l’échelle individuelle. On suit ce qui se passe à travers quelques personnes dans le monde, avec un relatif effort de diversification, en tout cas pour une série américaine. Certes, le pilote suit tout particulièrement les pas du shérif d’un bled paumé au milieu de nulle part aux États-Unis, alors que c’est son dernier jour et qu’il enquête sur des événements mystérieux. Certes encore, on suit les pas d’une famille d’Américains, même s’ils sont d’origine arabe, alors qu’ils fuient leur quartier partiellement détruit par l’attaque. Mais on découvre aussi les faits par les yeux de quelques enfants anglais en sortie scolaire dans ce qui ressemble à l’Écosse et qui doivent se débrouiller après une attaque contre leur bus. Et aussi depuis l’Afghanistan où un soldat, américain c’est vrai, affronte sans le savoir l’un des extraterrestres et devient le seul survivant. Et surtout depuis le Japon, où une mission de la JASA vers la Station spéciale internationale est brutalement interrompue et surtout mystérieusement interrompue. Toutes ces personnes ont fait l’expérience du même événement, l’arrivée depuis l’espace d’étranges créatures pointues qui font beaucoup de dégâts et de morts sans que l’on ne connaisse leurs motivations. Mais cette expérience n’étant pas vue de manière globale, elle est présentée comme un puzzle à reconstituer, autant pour les personnages que pour les spectateurs par extension.

Il n’y a pas de panneau en amont pour nous prévenir, nous ne sommes pas mis dans la confidence par les plus hautes autorités de la Planète : on découvre en même temps que nos personnages. Et il se trouve que personne n’a vu précisément l’attaque au départ, sauf le soldat en Afghanistan. Dans le bus scolaire du Royaume-Uni par exemple, l’attaque a été si rapide et corrélée avec une crise d’épilepsie de l’un des élèves que l’on ne sait pas ce qui s’est passé. Toutes les communications étant par la suite coupées, ils ne peuvent pas contacter leurs parents, ni obtenir d’informations et restent dans le noir complet pendant longtemps. Même du point de vue du Japon, c’est le mystère qui domine : on accuse d’abord les systèmes de sécurité de la navette de n’avoir pas été déclenchés avant une avarie, puis on suspecte une météorite… toutes ces hypothèses semblent moins folles par rapport à la réalité. Invasion va très loin dans cet état d’esprit, à tel point que la première saison se termine sans apporter toutes les réponses. On en sait à peine plus sur les motivations des arrivants et encore, ce ne sont que des suppositions, mais il reste des dizaines de questions en suspens. Pourquoi est-ce que Caspar peut communiquer avec eux ? Qu’est-ce qui est si spécial avec le morceau noir récupéré par Luke ? Et surtout, tous ces personnages qui ont disparu brutalement, dès le tout premier épisode pour certains1, sont-ils vraiment morts ? Nul ne le sait et Simon Kinberg et David Weil ont choisi de retarder toutes ces réponses à la saison suivante, ou à tout jamais. C’est une stratégie dangereuse, car elle peut s’avérer frustrante. Dans ces dix épisodes, elle est globalement payante, car les informations arrivent suffisamment régulièrement pour que l’on ne s’ennuie pas et à une ou deux exceptions près — la course-poursuite dans la forêt vers la fin en est une —, on n’est jamais perdu longtemps. Néanmoins, il faut espérer que les scénaristes ont prévu le coup pour tenir la distance, car Invasion pourrait tout aussi bien se vider de toute substance et tomber dans l’ennui.

Apple ayant renouvelé sans attendre sa série pour une deuxième saison, on pourra vérifier si les créateurs d’Invasion avaient une bonne idée derrière la tête. En attendant, ces dix épisodes valent le détour et sont très plaisants à suivre, pour qui aiment les puzzle un petit peu nébuleux. Si vous préférez les histoires bien ficelées où rien n’est laissé au mystère, vous serez forcément déçu par cette vision atypique de l’attaque extraterrestre. En espérant que la suite soit à la hauteur et que Max Richter soit un petit peu plus inspiré2, cette première partie est intéressante justement parce qu’elle ne reproduit pas l’attaque venue de l’espace comme on l’a vue des centaines de fois. Invasion est une œuvre originale qui mérite votre intérêt.

➡️ Critique de la saison 2 sur mon nouveau blog ⬅️


  1. Le shérif du premier épisode est interprété par Sam Neil et on pouvait en conclure qu’il allait être un personnage central de la série. Encore une attente déçue, il disparaît à la fin de cette ouverture et contre toutes attentes, ne revient jamais… il fallait oser ! 
  2. La bande-originale manque globalement de saveur, en tout cas telle qu’on l’entend dans chaque épisode, à l’exception peut-être de la musique du générique, mais qui rappelle un petit peu trop ce que l’on a déjà entendu de sa part pour The Leftovers. Cela étant, l’association est peut-être voulu et on peut trouver des liens entre les deux séries, notamment dans le traitement des personnages et de leurs relations.