The Irishman, Martin Scorsese

Si je vous dis Martin Scorsese derrière les caméras, Robert de Niro et Joe Pesci devant l’objectif et la mafia américaine, vous pourriez me proposer Les Affranchis. Ce n’est pas ça. Casino alors ? Non plus. The Irishman a des allures de loin d’une redite et malheureusement cette impression ne nous quitte jamais pendant les près de 3h30 que dure le film. Certes, Martin Scorsese sait très bien raconter des histoires de mafieux, comme il a déjà eu l’occasion de le prouver à de multiples reprises dans le passé. Mais qu’apporte de plus cette énièmevariation ? Pas grand-chose hélas. Ce n’est pas que l’on s’ennuie, même si quelques coupes n’auraient pas été de trop, mais on termine The Irishman avec le sentiment très clair qu’on l’oubliera aussi vite. À réserver aux fans absolus du cinéaste, des acteurs et des histoires de mafieux.

Frank Sheeran a vraiment existé, il était vraiment surnommé « The Irishman » et il a vraiment été un syndicaliste important au sein des Teamsters et soupçonné de liens avec la mafia. Martin Scorsese n’imagine pas une histoire originale, il raconte plutôt la « vraie » et c’est une épopée historique qu’il nous propose. L’histoire s’étale sur un demi siècle, des années 1950 quand Frank a fait ses premiers pas dans la mafia jusqu’aux début des années 2000 où il est mort. C’est la première particularité du projet, il se déroule sur une très longue période avec un seul acteur par personnage. Robert De Niro, 76 ans, doit incarner un chauffeur de 30 ans, un syndicaliste de la mafia de 50 ans et un vieillard de 80 ans sur un seul film. Pour le vieillard, c’est assez facile, un peu de maquillage et des cannes font l’affaire. Pour les débuts de sa vie, l’acteur au naturel n’aurait trompé personne, alors ILM est intervenu pour le rajeunir numériquement. Disons-le, cela ne fonctionne pas du tout. Pour ne pas que cela se voit trop sans doute, le rajeunissement reste limité et il en fait plus 40 ou 50 que 30. Mais même alors, quelque chose ne va pas, on n’arrive jamais à y croire, parce que c’est un acteur âgé qui est censé interpréter un jeune et il n’y arrive pas vraiment. Il est courbé, il se déplace trop lentement, ses yeux trahissent son âge… bref, ce n’est pas terrible du tout et ce n’est guère mieux pour Joe Pesci et Al Pacino qui ont droit au même traitement. Fort heureusement, The Irishman se passe en majorité à une époque plus tardive où les effets sont plus limités et où cela se remarque moins. Malgré tout, la débauche de moyens n’a pas vraiment l’effet réussi, d’autant que l’on connaît les versions jeunes de chaque acteur. Martin Scorsese lui-même nous les a proposées, dans Les Affranchis ou alors dans Taxi Driver… un comble.

La technique est ce qu’elle est, c’est l’histoire qui retient in fine notre attention. Sur ce point, il faut reconnaître que Martin Scorsese est un excellent réalisateur, il sait raconter une histoire et poser ses personnages. Comme souvent, il prend son temps et avance lentement : The Irishman n’est pas un film d’action, c’est une œuvre plutôt bavarde, composée essentiellement de scènes de dialogues. Il faut dire que l’on parle beaucoup dans la mafia, avec des échanges un peu surréalistes à base de « machin m’a dit de te dire que bidule veut te dire que… » et réciproquement. Les dialogues sont bien écrits, les acteurs sont tous impeccables et l’ennui ne vient pas, à condition de rester attentif et d’avoir une vague idée du contexte historique. Le film évoque notamment la présidence Kennedy et le rôle supposé de la mafia dans l’accession au pouvoir et l’assassinat du président, mais il s’agit souvent d’évocations distantes qui vous échapperons si vous êtes un peu distrait. Heureusement que ces points de repère historiques sont là pour s’y retrouver, sinon on aurait bien du mal avec le rajeunissement numérique qui ne fonctionne pas tellement, comme on l’expliquait plus tôt. Bref, l’histoire est bien racontée, mais le sentiment de l’avoir déjà entendue mille fois est présent du début à la fin. Non pas que l’on connaisse forcément cette histoire précise, c’est a priori le premier long-métrage à évoquer l’histoire de Frank Sheeran. Mais enfin, ce n’est pas comme si c’était très original et Martin Scorsese se complait dans des schémas usés jusqu’à la corde. Les discussions entre mafieux, les coups de main échangés constamment, les assassinats permanents, les familles sacrifiées, les divisions raciales, les vengeances… si vous avez déjà vu un film sur la mafia, vous serez en terrain connu. Le réalisateur en a déjà fait deux très similaires, les acteurs principaux ont joué dans d’autres projets très proches et on a vraiment l’impression de voir une bande de vieux hommes blancs radoter. Le rôle d’Anna Paquin est représentatif des problèmes du film : elle incarne la fille de Frank et on la voit sur des dizaines de plans, mais elle n’a qu’une seule réplique dans tout le film. Ce n’est même pas une erreur de montage, c’est un choix assumé et défendu par l’actrice, mais c’est vraiment un choix malheureux. Faut-il toujours illustrer le machisme de la mafia avec des films qui le sont tout autant ? Voilà une piste qui aurait été intéressante pour sortir de la redite stérile…

Martin Scorsese s’en est pris à Marvel et aux films hollywoodien qui ne sont que du pur grand spectacle. Le réalisateur critiquait le côté très formaté de ces projets et expliquait regretter l’époque où l’on pouvait prendre des risques et surprendre les spectateurs. On peut le regretter avec lui, mais comment peut-on avancer cela et réaliser The Irishman ? Où est le risque ? Faire encore un film de 3h30 sur la mafia, est-ce que c’est vraiment cela que le cinéaste regrette dans l’industrie actuelle du septième art ? Il y aurait beaucoup à redire sur les blockbusters calibrés pour plaire au plus grand nombre, à commencer par leur sous-représentation de certaines minorités pour ne pas froisser certains marchés, mais ‌le dernier long-métrage de Martin Scorsese ne peut pas être la réponse. Plutôt que de perdre du temps avec cette redite, (re)découvrez plutôt Les Affranchis ou Casino