Au cœur du sixième arrondissement lyonnais, à deux pas de la station Foch, le Jour de Marché n’attire pas sa devanture somme toute banale, mais plus par la salle que l’on devine chaleureuse dès le pas de la porte. Le monde à l’intérieur ne fait que confirmer les avis que l’on peut glaner sur la toile : l’adresse attire du monde. Quand on y a mangé une fois, on sait que c’est à raison : la cuisine française teintée par l’expérience américaine du chef est inventive et délicieuse.
Dans la salle, le mot d’ordre a été la patine. Le décor semble être sorti d’une improbable brocante, un effet naturellement renforcé par les anciens casiers à bouteilles qui contiennent encore du vin au fond de la salle. Le bar en bois massif les accompagne comme il se doit, tandis que le plancher brut est bien en harmonie avec le reste. Des pierres brutes sur deux murs, une toile tendue et éclairée sur les deux autres : cette salle d’une taille raisonnable — une cinquantaine de convives peuvent manger à chaque service — est très agréable. Ce soir-là, en semaine pourtant, il y avait du monde au Jour de Marché, quelques couples et plusieurs groupes. L’ambiance était joyeuse, mais le niveau sonore reste confortable et surtout, on n’a pas l’impression d’être les uns sur les autres, ce qui est trop souvent le cas dans les restaurants lyonnais.
Le soir, le Jour de Marché propose un menu unique à partir d’une ardoise et non d’une carte. Comme le nom du restaurant l’indique, ici tout est fait à partir de produits frais et les plats changent régulièrement. En fonction de votre appétit, vous pourrez opter pour deux ou trois assiettes, sachant que la formule entrée, plat et dessert nourrit vraiment bien, surtout si vous optez pour les classiques de la cuisine américaine. En effet, si la tendance générale est à la cuisine française, le couple d’origine bretonne qui tient l’établissement a passé plusieurs années dans un restaurant de Chicago et cette expérience américaine n’a pas disparu de l’ardoise. En dessert, on peut naturellement compter sur le cheesecake, une recette aux Oréos qui vient de Chicago si l’on en croit la carte. Avant cela, on peut opter sur une pièce de bœuf cuisinée avec une sauce BBQ, autant de marques de cette inspiration outre-Atlantique, même si le chef ne s’interdit pas de piocher dans sa région natale avec des produits typiquement bretons, mais aussi plus loin, en Asie notamment. Une carte qui affiche fièrement ses multiples inspirations, avec des prix très raisonnables, puisque l’on dépasse à peine les 30 € pour trois assiettes, avec quelques exceptions selon les plats.
Pour attaquer, après un amuse-bouche pas inintéressant à base de boudin noir, de pommes et de pop-corn, une entrée venue directement de la Bretagne pour deux convives. Le « Saumon de retour de Bretagne » accompagne un pavé de poisson cuit à la perfection d’une purée de choux-fleur, de quelques bigorneaux, d’un peu d’andouille de Guéméné et, pour une touche terre-mer très bien vue, de chanterelles. L’association des champignons et du poisson fonctionne vraiment bien, pour cette entrée puissante en bouche. Autre assiette, un ravioli de poulet avec des agrumes, des marrons et une écume de potimarron : l’ensemble est efficace, mais pas très original et beaucoup moins impressionnant en bouche que l’autre entrée. Les trois plats dégustés autour de la table marquent bien le caractère international de la carte. Il y avait encore de la Bretagne et encore du terre-mer avec la raie accompagnée de foie gras, mais aussi une inspiration franco-asiatique avec du cerf accompagné d’une surprenante sauce à la citronnelle. Le plus original était toutefois le pavé de Skrei de Norvège, un poisson que la patronne nous a présenté comme un équivalent du cabillaud, une espèce sauvage que l’on ne peut pêcher que deux à trois mois dans l’année et qui devait impressionner par sa chair ferme et gouteuse. Dans l’assiette, on reconnaît effectivement le cabillaud, mais la cuisson un peu trop longue a durci la chair du poisson, tandis que ses qualités gustatives n’étaient pas évidentes. Une petite déception qui ne doit pas faire oublier la qualité générale du plat, avec ses généreux accompagnements, dont une étonnante purée de pomme de terre rehaussée d’une pointe de vanille.
Peut-on finir un repas au Jour de Marché sans goûter au fameux cheesecake ? Dans l’assiette, une belle part de ce gâteau typiquement américain. L’appareil à fromage est léger et fondant, mais le biscuit en-dessous ne croustille pas… est-ce une tradition à Chicago ? Quoi qu’il en soit, le goût est là et c’est un dessert très plaisant, même si on pourra aussi opter pour quelque chose de plus léger, comme ce crémeux de chocolat surmonté d’une tuile au poivre de Sichuan toute en finesse et accompagné de clémentines. La puissance de l’agrume compense la douceur du chocolat pour un ensemble léger qui passe bien après le repas. Si le chef n’a pas gardé l’habitude des gargantuesques proportions américaines, il n’a pas non plus cédé aux sirènes de la cuisine moderne trop épurée et on mange vraiment bien avec trois assiettes…
On comprend aisément d’où vient le succès de cette adresse : le Jour de Marché propose une cuisine d’excellente tenue pour un prix très modeste. On découvre de nouvelles saveurs ou des associations originales, on se laisse porter de la Bretagne aux États-Unis en passant par l’Asie et on passe un excellent moment, ce qui est encore l’essentiel. Un restaurant à découvrir !