Legion, Noah Hawley (FX)

Les superhéros ont déjà largement occupé la télévision, et ceux de Marvel encore plus particulièrement. Netflix fait défiler les Defenders, les Avengers avant eux prolongeaient leurs sorties ciné à la télévision sur ABC et il ne manquait que les X-Men pour être complet. C’est désormais chose faite et Legion est la première série à étendre l’univers de la saga, réservée ces dernières années au cinéma. On pouvait craindre un prolongement un peu facile à base de fan-service en reprenant les mutants que l’on connaît déjà très bien, mais c’était sans compter sur l’implication de Noah Hawley. Ce nom ne vous dit peut-être rien, mais c’est à lui que l’on doit le remake de Fargo à la télévision et surtout l’improbable réussite du projet, contre toute attente. Et de fait, sa lecture des superhéros proposée à nouveau par la chaîne FX n’a absolument rien à voir avec tout ce que l’on avait vu jusque-là. La première saison de Legion est radicale et bizarre, une expérience que l’on recommandera à tous ceux qui n’ont pas peur de se perdre dans un univers atypique.

Legion, c’est le nom de la série et celui du personnage principal : David Haller, alias Legion. Ce mutant n’est encore jamais apparu dans la saga cinématographique, mais c’est l’un des nombreux superhéros imaginés par les créateurs de comics. Pour sa première saison, la série créée par David Hawley s’intéresse à la naissance du personnage et, de manière assez classique, à la manière dont ce mutant prend conscience de sa véritable condition et de ses pouvoirs. Ce qui est particulièrement intéressant avec David Haller, c’est que son pouvoir ressemble fort à celui d’un schizophrène et de fait, c’est ainsi qu’il est diagnostiqué quand il était encore très jeune. Depuis, il a vécu de centre de soin en hôpital psychiatrique et il a complètement intériorisé sa folie. Le pilote se déroule ainsi dans le dernier établissement où David se trouve, manifestement depuis quelque temps déjà. Au départ, le scénario le montre vraiment comme un schizophrène, ce qui est très malin, surtout si vous ignorez tout du personnage de bande-dessinée. Pendant un long moment, rien ne permet vraiment de remettre en cause le diagnostique des médecins, si bien que l’on se sent autant perdu que cet homme, ce qui est très bien vu. Legion se concentre sur son quotidien de malade et sur la relation naissante entre David et Syd, une autre patiente qui refuse tout contact physique, mais qui devient malgré tout sa petite amie. Le jour où elle sort de l’hôpital, l’équilibre mental précaire de David explose et le fantastique survient brutalement.

Néanmoins, Noah Hawley ne tombe pas dans la facilité en reproduisant ce que l’on a vu dans la saga cinématographique, ni aucune autre introduction de superhéros d’ailleurs. La première saison, malgré sa brièveté avec huit épisodes de 45 minutes au compteur, est d’une complexité rare et le spectateur est plus souvent perdu qu’en terrain connu. Legion ne fait rien pour simplifier les choses, ni du côté du rythme — la narration avance plutôt lentement et les créateurs de la série préfèrent travailler l’ambiance —, ni du côté des explications. On voit beaucoup de choses, mais on ne comprend pas grand-chose et il y a énormément de non-dits. Par exemple, on ne sait jamais à quelle époque se situe précisément le récit et même si on sait qu’il y a un lien avec la saga cinématographique, il n’est jamais explicité. Les décors sont tantôt futuristes, tantôt rétro, tout comme les accessoires peuvent clairement être identifiés comme de la science-fiction, à l’image de la tablette pliante qu’utilise l’un des personnages et qui évoque celles de Westworld, et d’autres sont au contraire dans le passé. Ces bizarreries ne sont pas des erreurs de production, bien au contraire. Noah Hawley cherche à déstabiliser, non pas pour le plaisir de perturber ses spectateurs, mais plutôt pour raconter son histoire à travers les yeux de son personnage. Si tout est aussi incohérent et étrange, c’est d’abord parce que David voit le monde de cette manière et on ne sait jamais exactement ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas, ce qui relève de la réalité et ce qui appartient au rêve. Le réalisateur va si loin qu’un épisode entier reste dans un rêve, mais on finit du coup par douter de ce que l’on voit et surtout de ce que l’on a vu.

Cette instabilité permanente a de quoi frustrer et on peut facilement passer à côté de la première saison de Legion. Il faut attaquer cette série en ayant l’esprit largement ouvert, en acceptant de ne pas tout comprendre tout de suite et même de rester largement dans le noir. Quand cette saison se termine, Noah Hawley n’a pas dit clairement qui était son personnage principal et on ne voit vraiment pas en quoi il se rattache à la saga principale. Cela viendra sûrement pour la suite, mais en attendant, il faut se laisser porter par l’ambiance mystérieuse de Legion et profiter d’une réalisation tout aussi bizarre, mais extrêmement convaincante. L’histoire et la narration sont peut-être atypiques, mais cela ne veut pas dire que la série de FX va n’importe où ou fait n’importe quoi. C’est même tout l’inverse, avec huit épisodes complexes, mais parfaitement cohérents, même si ce n’est pas toujours évident. À découvrir !


Legion, saison 2

(31 août 2018)

La première saison de Legion avait surpris par son ambiance décalée et surtout son énorme voile de mystère qui entourait tout, du personnage principal au contexte, en passant par l’intrigue elle-même. Noah Hawley avait réussi à imposer un ton résolument différent au milieu d’une montagne de films et séries de super-héros qui se ressemblent tous un petit peu, et on pouvait légitimement craindre que cette réussite ne tienne pas la distance. Plus longue, la saison 2 est aussi plus classique sur le papier, avec un affrontement entre de gentils mutants et un méchant, mais n’allez pas croire pour autant que le résultat est conventionnel. C’est même tout le contraire, car Legion devient encore plus folle, avec des épisodes qui poussent le bouchon loin, très loin. À nouveau, à condition d’accepter de ne pas tout comprendre et de se laisser porter, c’est une excellente saison. Et une série en passe de devenir grande.

Les onze1 épisodes qui composent la saison 2 pourraient être résumés en quelques mots, évoquant l’affrontement entre David et ses alliés de la Division 9, contre le diabolique Farouk. On pourrait retrouver le scénario linéaire d’un blockbuster, enchaîner les péripéties qui séparent le héros de l’affrontement final… mais on aurait quelque chose d’assez banal, et surtout de très différent de ce qu’est Legion. Certes, il y a cette trame de fond et certes, on en apprend un petit peu plus sur le personnage principal, même si la saga cinématographique des X-Men reste toujours aussi éloignée et sans rapport vraiment avec la série. Tout cela n’empêche pas Noah Hawley de garder sa ligne directrice, le rythme très lent de sa série, l’ambiance de mystère qu’il continue de développer plutôt que d’expliquer tout ce qui se passe, et puis ces apartés qui prennent parfois quelques secondes, parfois un épisode entier. Le sixième, en l’occurrence, se transforme en explorations de réalités parallèles pour David, s’il n’était pas dans sa situation actuelle. La série portée par FX expérimente avec une liberté rafraichissante, notamment sur la forme avec des tentatives du côté de l’animation et une image souvent sublime. On retrouve bien le même genre de soin que dans la série Fargo, ces cadres parfaitement composés, cette photographie incroyablement riche : Legion est un plaisir à regarder et se laisser porter est un bonheur de tous les instants. On pouvait craindre que l’esprit des huit premiers épisodes se perde, mais on pouvait décidément faire confiance au créateur de cette série pour tenir la barre et on n’a qu’une envie maintenant : en voir davantage. Cela tombe bien, une troisième saison est déjà en préparation.

Enfin une série qui ne choisit pas la facilité et qui suit au contraire une voie nettement plus difficile et confuse. Noah Hawley sort constamment des sentiers battus, tant sur la forme que sur le fond, avec une narration parfois chaotique, jamais directe, toujours riche. C’est vrai, on ne comprend pas tout. Mais c’est aussi en cela que Legion est une réussite, ce n’est pas une histoire qui se résume facilement et qui s’oublie aussitôt vue. Bien au contraire, c’est une œuvre complexe et passionnante, qui demande un petit effort, à la fois pour rester concentré sous peine de ne plus rien y comprendre, et à la fois pour rester ouvert et accepter que tout ne peut pas être compris. C’est un équilibre fragile et jusque-là, un sans faute. Espérons que la série de FX maintienne ce bon niveau, mais même si ce n’est pas le cas, les deux premières saisons de Legion méritent absolument d’être vues.


Legion, saison 3

(27 février 2020)

Toutes les bonnes choses ont une fin, et Noah Hawley avait prévu sa fin dès le départ. Legion a été pensée comme une série en trois saisons, voici donc la dernière avec huit épisodes seulement, mais pas moins de complexité qu’avant. Puisqu’il s’agit d’une conclusion, on a quelques explications de plus et le premier lien direct avec la saga des X-Men est établi in extremis. Mais ce n’est évidemment pas le sujet et l’intrigue se concentre toujours sur le combat entre David et Farouk, après une fin explosive dans la saison 2. Legion pousse le concept de l’anti-héros très loin, tout en introduisant une bonne dose de voyage temporel pour embrouiller encore un petit peu plus les spectateurs… un délice !

À la fin de la deuxième saison, tout ce que l’on croyait jusque-là s’effondre quand David bascule dans le camp des méchants… ou était-ce l’inverse ? Le onzième épisode se terminait sur une note déstabilisante, mais Noah Hawley savait évidemment très bien ce qu’il faisait. Dans cette suite, il inverse plus clairement les rôles en faisant de David le leader assez ridicule d’une secte composée exclusivement de jeunes femmes, et aussi un meurtrier psychopathe aveuglé par sa lutte contre Farouk. Dans le même temps, celui qui était censé être le grand méchant de l’histoire, le monstre infâme à combattre à tout prix, s’avère être un allié précieux de la Division 9 pour tenter d’arrêter David. Il faut dire que ce dernier est sur le point de provoquer l’Apocalypse, rien que ça et tout le monde essaie de l’arrêter, en vain. Ses pouvoirs de mutant sont si grands qu’il peut déplacer des maisons, tuer d’un claquement de doigts des dizaines de personnes et rien ne semble l’arrêter. C’est encore pire quand il découvre Switch, une jeune mutante qui peut remonter dans le temps. L’arc narratif de la troisième saison se met alors en place, David étant persuadé qu’en remontant dans le temps, il pourra empêcher Farouk de le posséder bébé et tout sera ainsi évité. Manipuler le temps n’est pas aisé toutefois, et Legion ne suit pas de raccourci facile, on s’en doute bien, pour simplifier les choses. Le scénario multiplie ainsi les détours et les fausses pistes, et la richesse déjà folle de cet univers est encore décuplée alors même que la saison est courte. Noah Hawley prend le temps de jouer avec les paradoxes temporels et notamment pendant deux séquences où une vie entière se joue en quelques minutes. Il y a cette scène déchirante où un personnage voit son enfant grandir et mourir sur une période très courte, et puis cet épisode surréaliste, où Syd est éduquée par Melanie et Oliver dans un univers de conte de fées. Tout cela mène à un ultime épisode finalement assez convenu, mais parfaitement réalisé, où tout est résolu… on n’en dira pas plus.

Legion est fidèle jusqu’au bout à cette idée de partir dans tous les sens, d’oser pousser des logiques bizarres à leur extrême et d’expérimenter avec la forme dans des délires parfois difficiles à suivre. La série créée par FX a sans doute perdu pas mal de public en suivant cette démarche très ambitieuse, mais c’est aussi ce qui lui permet de sortir du lot. Noah Hawley a réussi son coup en offrant une vision unique d’un univers de super-héros, unique et surtout nettement plus intéressante que la moyenne. On aimerait que davantage d’adaptations des comics osent ainsi sortir des sentiers battus, plutôt que de rester sur la voie habituelle si sage des blockbusters. On peut toujours rêver, mais quoi qu’il en soit, Legion mérite absolument le détour si vous n’avez pas peur des surprises !


  1. Oui, onze épisodes, pas dix, pas douze. Une bizarrerie exquise de plus, dans cette série pleine de choses étranges et qui n’ont pas de sens.