Westworld, Jonathan Nolan et Lisa Joy (HBO)

Netflix est peut-être en train de se tailler une belle part dans le marché des séries, HBO reste une référence en la matière et la chaîne américaine entend bien le faire savoir. Après Game of Thrones, son nouveau projet phare est au moins aussi ambitieux, peut-être encore davantage. En tout cas, la première saison de Westworld a coûté plus cher que celle du trône de fer et son concept de base est complètement fou. Remake d’un film des années 1970 écrit et réalisé par Michael Crichton, cette série nous emmène dans le futur où un parc d’attraction reproduit le plus fidèlement possible le far west du XIXe siècle pour y plonger ses fortunés visiteurs. Les décors sont parfaitement reproduits et l’entreprise qui a conçu le parc exploite des robots qui ressemblent fidèlement à des humains. Créée par Jonathan Nolan et Lisa Joy, Westworld impose son ambition folle dès le pilote et la première saison entraîne le spectateur pendant dix épisodes dans une histoire tortueuse et toujours passionnante. On ne sait pas toujours où l’on va et c’est exactement pour cette raison que c’est une réussite : un petit peu comme Lost à son époque, cette série est pleine de mystères et elle est extrêmement prometteuse.

Le générique d’ouverture, magnifique comme toujours chez HBO, enlève immédiatement toute trace de doute sur ce point. Dans Westworld, la technologie a suffisamment évolué pour que l’on puisse créer des robots humanoïdes qui ressemblent tellement à des humains qu’on pourrait les confondre. C’est d’ailleurs précisément ce qui arrive dans Westworld, un parc d’attraction que l’on peut visiter pour remonter le temps. Les visiteurs payent très cher le droit de vivre quelques jours dans les États-Unis des cow-boys et ils débarquent en train à vapeur dans une petite ville qui ressemble à l’archétype des westerns. Ses habitants sont les robots conçus par les propriétaires du parc, mais, et c’est là toute l’astuce, on ne sait pas toujours qui est un robot et qui est un humain. Le scénario suit quelques personnages clés que l’on peut rapidement classer, mais, surtout dans les premiers épisodes et tout particulièrement dans le pilote, on ne sait rien et c’est très amusant d’essayer de deviner qui est quoi. Ce sentiment d’être perdu est constant dans la première saison et Jonathan Nolan et Lisa Joy en abusent peut-être un petit peu parfois. Néanmoins, si vous appréciez les jeux de pistes, Westworld est une série déjà passionnante et qui révèle de nombreuses surprises. N’en dévoilons pas trop, mais outre la question de l’identité de quelques personnages clés, la saison joue aussi beaucoup sur la notion de temps. Tous les soirs, les robots sont réinitialisés et tous les matins, ils suivent à nouveau un scénario écrit par les concepteurs du parc, un scénario qui varie chaque jour en fonction de l’influence des visiteurs. Il n’empêche que le parc fonctionne sur le principe de la boucle temporelle et les robots, par définition, ne vieillissent pas. Voilà qui laisse quelques options pour raconter des histoires et la saison ne s’en prive pas de les exploiter, on n’en dira pas plus. Notons en revanche d’emblée le talent du casting réuni par HBO, en premier lieu d’Evan Rachel Wood qui incarne l’une des actrices robotisées du parc et un personnage clé dans l’intrigue qui se met en place. Incarner un robot n’est pas si facile et introduire des variations sur le même thème est encore plus difficile, mais elle s’en sort avec brio.

Une bonne série ne tient que par ses personnages et c’est peut-être le point faible de cette première saison. Westworld repose sur une idée si fascinante que les scénaristes se sont peut-être un petit peu trop focalisés sur elle. En même temps, les dix épisodes que l’on a vus jusque-là bâtissent des fondations solides pour des personnages passionnants, mais ce sera plutôt dans les saisons suivantes. En attendant, Jonathan Nolan et Lisa Joy ont quand même quelques-uns dignes d’intérêt et Anthony Hopkins dans le rôle de Robert Ford se distingue tout particulièrement. L’acteur joue très bien ce vieux savant un petit peu fou qui a créé les robots il y a une trentaine d’années de cela avec son ami Arnold. Ce dernier a disparu et il est l’un des mystères de la saison, mais Ford est un personnage complexe et qui conserve bien des secrets même à la fin de la saison. En face, le personnage de l’homme en noir est également mystérieux et Ed Harris, encore un acteur que l’on n’a pas l’habitude de voir dans des séries, s’en sort très bien dans son rôle. On verra ce que la suite nous réserve, mais Westworld est déjà un divertissement spectaculaire et passionnant, avec quelques interrogations philosophiques qui mériteraient d’être creusées autour de la notion d’âme et d’humanité. Ce n’est pas très original dans la science-fiction, certes, mais la série confronte humains et robots de manière assez élégante et même si la révolte de ces êtres supérieurs sur bien des points était attendue, elle n’en reste pas moins attirante. Elle n’est qu’esquissée ici toutefois et encore une fois, il faudra attendre pour en savoir plus. Jonathan Nolan et Lisa Joy ont eu déjà beaucoup de mal à poser le décor et le tournage de la première saison a pris plus longtemps que prévu pour ces raisons, mais on ne pourra pas reprocher à la série son ambition. Au passage, la bande originale composée par Ramin Djawadi, un habitué1, est excellente. Les morceaux originaux sont très bons, mais ce sont surtout les reprises qui restent en tête. Radiohead, Sigur Rós, The Cure ou encore Amy Winehouse ou The Rolling Stones : ces reprises minimalistes sont toutes excellentes2 et elles ajoutent beaucoup à la série.

Westworld compte peut-être quelques défauts ici ou là, mais les dix épisodes qui constituent la première saison sont parmi les plus impressionnants que l’on a vus à la télévision ces dernières années. Jonathan Nolan et Lisa Joy signent une série qui est déjà excellente et qui est aussi très prometteuse. On sait d’ores et déjà qu’il faudra attendre au moins 2018 pour la suite, mais c’est bien normal : au fond, cette saison est beaucoup plus un long-métrage de dix heures qu’un ensemble d’épisodes. Espérons que la suite ne décevra pas, mais la première saison de Westworld mérite amplement le détour !


Westworld, saison 2

(7 juin 2018)

La première saison de Westworld imposait son ambition folle et même si elle souffrait de quelques défauts, elle posait les bases d’un univers passionnant que l’on avait hâte de retrouver. Après de tels débuts, on attendait beaucoup de la série créée par Jonathan Nolan et Lisa Joy et on se demandait comment ils pourraient poursuivre sans tomber dans les clichés faciles. Hélas, la deuxième saison ne s’en sort pas aussi bien qu’on pouvait l’espérer. Les scénaristes donnent le sentiment qu’ils ne savaient pas où ils voulaient aller après les dix premiers épisodes et ces dix nouveaux volets partent dans tous les sens. On découvre de nouveaux parcs dont on ne savait rien jusque-là, les scènes d’action se démultiplient jusqu’à atteindre le niveau du premier Blockbuster venu, et toutes les réflexions profondes des débuts se sont transformées en citations philosophiques saupoudrées pour faire intelligent, mais sans fondement. Westworld a perdu de son originalité et de son audace et c’est bien dommage.

La première saison se terminait sur la promesse d’une rebellions des robots du parc, c’est logiquement le cœur du sujet de cette suite. Westworld reprend après la fête qui s’est terminée tragiquement, alors que Delos envoie ses hommes pour rétablir la situation et essayer de comprendre ce qui a pu se passer. Dolores mène la révolte d’un côté, Maeve continue de suivre une voie assez similaire du sien et tout cela pourrait former une base riche et passionnante. À la place, les premiers épisodes patinent un petit peu et la série bascule progressivement vers un enchaînement de séquences d’action sans intérêt, entrecoupées de quelques idées qui pourraient former une grande série… si elles n’étaient pas simplement saupoudrées en guise de supplément. On découvre ainsi que Delos a acheté le parc pour une toute autre raison, pour analyser les visiteurs et dresser leur portrait. Une bonne piste, mais qui sert avant tout à créer un faux mystère sur l’action de l’entreprise qui ne semble pas pressée de rétablir le parc et de sauver ses occupants, et à creuser la voie déjà vue trop de fois de l’immortalité. On aurait pu imaginer des pistes bien plus riches pour dénoncer la corruption de notre société actuelle face aux publicités et réseaux sociaux, plutôt que de rejouer pour la millième fois la carte du savant fou et des riches qui ne veulent pas mourir. De la même manière, le rôle de Ford tué à la fin de la première saison est mal géré, on pouvait s’attendre à une réflexion sur son implication dans les événements dans le cadre de son ultime scénario, plutôt que d’en faire un spectre venu diffuser sa bonne parole et introduire quelques twists dans l’histoire. C’est aussi le cas pour l’homme en noir, qui pourrait avoir un arc narratif intéressant avec l’apparition de sa fille, mais qui se contente de tomber dans la caricature de son propre personnage.

Jonathan Nolan et Lisa Joy cèdent à la facilité en orchestrant des dizaines de séquences de combat, ce que n’importe quelle production hollywoodienne parvient très bien à faire. En agissant ainsi, ils n’ont pas besoin de trouver de nouvelles idées aussi brillantes que dans la première saison et ils peuvent tenir la distance sur dix épisodes d’une heure. Mais en même temps, ils perdent toute l’originalité de Westworld et transforment cette série prometteuse en récit de science-fiction bien trop banal. Et que dire de ces autres parcs que l’on découvre un petit peu facilement dans cette saison et qui ne servent qu’à enchaîner des clichés sur différentes cultures ? Le principe même des parcs soit de recréer des périodes à partir de clichés, certes, mais le scénario n’avait pas besoin de se contenter des clichés, surtout maintenant que les robots sont censés être plus indépendants. À quoi bon évoquer le Japon, l’Inde coloniale ou les Indiens d’Amérique si c’est pour ne rien en faire à l’arrivée ? Plusieurs épisodes ne font pas du tout avancer l’intrigue principale et se concentrent au contraire sur un fil narratif secondaire, ce qui n’est pas gênant en soi, mais c’est mal dosé ici. Quand arrive le dixième épisode, on a déjà pas mal perdu d’intérêt pour cet univers pourtant si fascinant. Et ce dixième épisode, long comme un film indépendant, est encore pire que les neuf précédents, il part dans tous les sens et complique tout inutilement pour mieux masquer son manque d’idées et d’ambitions. Sans parler des multiples incohérences, que ce soit avec Maeve qui utilise son pouvoir spécial quand elle y pense et surtout quand cela arrange le scénario, ou Dolores qui prend des décisions totalement incohérentes par rapport à son personnage.

Cette deuxième saison est une déception et on a le sentiment qu’une toute autre équipe a pris le relai, sans avoir connaissance de la vision d’ensemble. Westworld était originale, riche et pleine de promesse, elle est devenue prévisible et pauvre comme le premier blockbuster venu. Même l’excellente bande-originale basée sur des reprises de la première saison a disparu, sauf le temps d’une piqûre de rappel un peu cruelle à la toute fin et les nappes de violon extrêmement caricaturales qui ont pris le relai n’aident pas à faire passer la pilule. Est-ce qu’une troisième saison pourrait redresser la barre ? Cela paraît difficile après un tel gâchis, mais qui sait, peut-être que le monde réel fera du bien à la série. Autant dire que l’on n’est pas impatient de le découvrir, et c’est quand même bien dommage.


Westworld, saison 3

(22 mai 2020)

Comme entre la première et la deuxième saison, il aura fallu attendre deux ans pour découvrir la suite de Westworld. Et après dix premiers épisodes vraiment originaux et ambitieux, la série de HBO était tombée dans de la SF bien trop banale avec les dix suivants. Tout pouvait néanmoins se jouer dans cette suite : en sortant du parc, est-ce que les robots imaginés par Jonathan Nolan et Lisa Joy allaient enfin prendre leur envol ? Huit épisodes (seulement, ouf !) après, le constant s’impose, hélas : ce qui a fait le succès de Westworld à ses débuts a complètement disparu. Au lieu de retrouver l’ambition initiale, la série s’enfonce dans les clichés de science-fiction un peu bête, on se désintéresse très vite des personnages et de la situation et on a surtout hâte que la saison se termine. Triste sort après de si grandioses commencements…

À la fin de la saison 2, les robots ont terminé leur révolte dans les parcs gérés par Delos et ils peuvent enfin sortir dans le « vrai monde », celui des humains. Dolores espère bien offrir aux robots une revanche digne des humiliations que les siens ont subi pendant des années et, en gros, réduire l’humanité en esclavage pour que ses semblables puissent vivre librement. Le point de départ de cette troisième partie n’était pas très original pour quiconque a lu ou vu un minimum de science-fiction, mais Westworld avait malgré tout largement de quoi se relancer avec de nouvelles idées et une ambition renouvelée. Mais ses créateurs ont manifestement confondu l’ambition avec la complexité inutile. Ils rajoutent plusieurs personnages, dont Severac (incarné par un Vincent Cassel qui a parfois l’air, comme nous, de se demander ce qu’il fait là) qui n’est rien de moins que le créateur d’une machine qui contrôle le monde entier depuis des années pour s’assurer qu’il ne dévie pas d’une trajectoire et tombe dans le chaos. Comme dans la saison 2, Jonathan Nolan et Liza Joy sortent de leur chapeau des personnages jusque-là inconnus, alors qu’ils sont censés être très importants. C’est un défaut constant, qui est sans cesse renouvelé, jusqu’au dernier épisode de cette saison où les « surprises » sont multipliées jusqu’à l’écœurement. Les twists et retournements de situation sont toujours appréciés, s’ils sont bien menés et surtout crédibles. Ici, les scénaristes continuent de donner le sentiment d’avancer sans trop savoir où ils vont et d’improviser au fur et à mesure. C’est flagrant à tous les niveaux, à la fois pour la vue d’ensemble et pour la destinée d’un personnage. La saison est censée se concentrer sur l’affrontement entre robots et humains, mais l’histoire est constamment déviée vers autre chose. À tel point que l’on a parfois le sentiment de voir une suite à Person of Interest, avec cette machine qui est censée tout analyser, tout voir, tout comprendre et tout guider. L’idée est séduisante, évidemment, mais Jonathan Nolan devrait peut-être passer à autre chose.

Au bout du compte, cette troisième saison reproduit les mêmes erreurs que la précédente. Elle n’est pas assez concentrée sur l’idée qui s’impose et elle part dans tous les sens, avec trop de nouveaux personnages et trop d’intrigues secondaires sans intérêt. On a déjà du mal à comprendre la trajectoire de Severac, mais c’est encore pire pour Caleb, un ex-militaire un peu paumé qui rencontre « par hasard » Dolores et devient son assistant/leader de la révolution. Westworld passe un temps fou à explorer son passé — ignorant complètement au passage la seule question un tant soi peu intéressante, sa relation avec son « ami » et frère d’arme — en multipliant les flashbacks, mais la série ne parvient jamais à le rendre intéressant. Il manque d’épaisseur psychologique, Aaron Paul n’est pas non plus l’acteur du siècle et pour être honnête, on se fiche bien de lui ou de ce qui lui arrive, ce qui est gênant pour un personnage principal. À côté de ça, quelques personnages que l’on connaît depuis la première saison reviennent, mais ils sont cantonnés dans des rôles caricaturaux. Dolores veut détruire l’humanité, parce que ; Maeve veut retrouver sa fille quitte à décapiter tout ce qui l’entoure, parce que ; Bernard veut arrêter Dolores, parce que. Il n’y a jamais de justification logique, il faut se contenter d’accepter qu’ils ont de bonnes raisons, ce qui contribue fatalement à notre désintérêt progressif. Et ce qui vaut pour les personnages vaut aussi pour l’intrigue. La vision du futur proposé par la série de HBO est franchement vieillotte, elle passe complètement à côté des problèmes environnementaux alors que c’est précisément son sujet central, et elle préfère opter pour des questions de morale bêtasses, à base de gentils et de méchants-qui-veulent-tout-casser. C’est aussi idiot que la musique, si belle et subtile dans la première saison, peut ici être lourdingue et sans âme. Et si cela ne suffisait pas à vous dégoûter, les combats incessants et sans buts finiront peut-être par vous convaincre, à moins que ce soit la désinvolture des scénaristes pour ressusciter les robots quand ça les arrange.

La question demeure : comment les mêmes personnes qui avaient imaginé la première saison de Westworld peuvent-elles avoir produit les deux saisons suivantes ? Que s’est-il passé pour que la finesse d’écriture, ces idées absolument folles et cette ambition sans limite cèdent la place à la science-fiction la plus médiocre et banale ? Jonathan Nolan et Lisa Joy tenaient entre leurs mains un trésor, ces nouveaux épisodes prouvent définitivement qu’ils l’ont perdu. Westworld reviendra dans une quatrième saison, les multiples scènes post-génériques (soupir) assurent la transition, mais on ne sera pas là pour la regarder.


  1. La musique de Game of Thrones, c’était lui. Et Jonathan Nolan avait déjà travaillé avec lui sur celle de Person of Interest
  2. Ces reprises évoquent une autre excellente série : The Leftovers mis en musique par Max Richter. Et tout particulièrement la reprise de Where is My Mind de Maxence Cyrin, une version entêtante.