Disney semble avoir trouvé le nouveau filon : prendre ses grands classiques et les refaire, non plus en images d’animation, mais avec des caméras et des acteurs. Le résultat n’a pas toujours été à la hauteur sur le plan artistique, mais c’est une opération rentable et qui n’est, manifestement, pas prête de s’interrompre en si bon chemin. Après Alice au Pays des Merveilles, Blanche-Neige et le Chasseur ou encore Maléfique, le dernier choix du géant du divertissement est assez surprenant. En effet, Le Livre de la jungle est composé presque exclusivement d’animaux qui parlent, ce qui empêche a priori tout espoir de transposition en caméras réelles. Et pourtant, c’est exactement ce que Jon Favreau promet dans sa relecture du récit de Rudyard Kipling, ou plutôt du long-métrage d’animation, sorti il y a près de cinquante ans. À l’arrivée, on reste nécessairement dans l’animation, mais elle est cette fois photoréaliste, et très impressionnante. La plus grande réussite du film, c’est incontestablement ces animaux au réalisme souvent parfaits, mais qui ne sont que des créations numériques. Le Livre de la jungle, cru 2016, est-il est un bon film pour autant ? Plus convaincant que les autres relectures Disney, il peine malgré tout à trouver son public, trop réaliste et violent pour les plus jeunes, trop enfantin pour les plus grands.
Dans le film d’animation des années 1960, les animaux parlaient déjà et cela semblait tout à fait naturel. Le travail d’animation tendait alors au réalisme, avec des mouvements créés sur la base d’observations réelles, mais le dessin restait malgré tout assez simple, évitant complètement toute confusion. Rien de tel dans la version de Jon Favreau, où l’on est frappé dès la séquence d’ouverture par le réalisme d’ensemble. Les décors sont bien ceux de la jungle, les animaux se déplacent comme ils le feraient dans un documentaire… l’illusion est parfaite, jusqu’au moment où on les entend parler. Le Livre de la jungle respecte cette idée d’animaux dotés de la parole et qui communiquent, non seulement entre eux, mais aussi avec Mowgli, le petit homme abandonné dans la jungle et recueilli par des loups. Disons-le, il faut un moment avant de s’habituer à cet étrange décalage, où des animaux qui pourraient être sauvages se mettent à parler. Le rapprochement n’a pas été jusqu’au mouvement des gueules, il n’y a aucune coordination avec les paroles, mais il n’empêche que ces bêtes parlent, et que c’est assez troublant. Et ce, d’autant plus que l’on connaît la majorité des voix. Walt Disney a fait appel à une brochette de stars pour son dernier film, et on a du mal à voir Bagheera quand on entend Ben Kingsley, Bill Murray surgit à l’écran à la place de Baloo, c’est Idris Elba1 qui surgit de la jungle plutôt que Shere Khan et on cherche Scarlett Johansson quand on ne voit que Kaa. Ce n’est pas que ces acteurs sont mauvais, bien au contraire d’ailleurs. Bill Murray, par exemple, est parfait pour donner sa voix à l’ours au cœur du récit, à la fois triste et joyeux, un peu roublard sur les bords. Excellente idée aussi que de faire appel à Scarlett Johansson pour le rôle du serpent, sa voix calme pleine de menaces est parfaitement juste. Néanmoins, peut-être qu’avec des voix inconnues, on aurait pu s’y faire plus simplement. En l’état, on ne s’habitue jamais complètement au décalage produit, avec quelques choix surprenants de la part de Jon Favreau qui viennent encore gêner. Pourquoi les éléphants et les petits singes ne parlent pas et ne s’expriment qu’en animaux ? Alors que l’on parvient à s’habituer à leur parole, cette animalité soudaine vient souligner à nouveau le grand écart du long-métrage.
Ce même décalage se retrouve à tous les niveaux en fait. Le Livre de la jungle est constamment en déséquilibre, avec des éléments vraiment excellents qui justifient le remake, et d’autres idées décevantes, voire ratées. Le ton général est au réalisme, voire à la noirceur et le tigre Shere Khan n’a jamais été aussi impressionnant qu’ici. L’idée de lier plus intimement son parcours à celui de Mowgli n’est pas mauvaise et les deux personnages sont ainsi plus proches que dans le dessin animé, où finalement le tigre tombait sur le garçon par hasard et voulait jouer avec lui. Ici, cela devient personnel et les tensions n’en sont que plus grandes. De manière générale, il n’y a pas vraiment de bienveillance chez les animaux, à part peut-être chez les loups, où Jon Favreau a réussi à introduire une bonne dose d’émotion, notamment entre le garçon et sa mère adoptive. À part cela, le scénario présente uniquement des animaux ambivalents au mieux, de Baloo qui cherche d’abord l’aide de Mowgli pour récupérer du miel, au roi Louie, à la fois gigantesque et menaçant dans cette version. Même les éléphants sont présentés comme des êtres dangereux à qui l’on montre du respect, mais que l’on n’approche surtout pas. Cette noirceur est sans doute un petit peu trop présente pour les plus jeunes et on ne conseillera pas cette version du Livre de la jungle en-dessous d’un certain âge, malgré son statut de film tout public. L’humour très présent chez Wolfgang Reitherman a totalement disparu en particulier, et la scène de Kaa, plutôt comique dans le dessin animé, est ici très sérieuse, glaçante même. On peut regretter ce choix, mais après tout, un peu de changement par rapport au film original ne fait pas de mal. Ce qui est gênant au fond, c’est que les scénaristes ne sont pas allés jusqu’au bout de l’idée et ont gardé une ambiance trop enfantine, notamment en insistant un petit peu trop sur les petits loups « trop mignons ». C’est un mal courant chez Disney, ne pas choisir entre deux publics et on y est complètement ici, trop adulte pour les uns, pas assez pour les autres.
Le Livre de la jungle reste une œuvre plaisante à regarder, ne serait-ce que pour ses animaux parfaitement rendus, mais aussi parce que l’on retrouve ses personnages avec plaisir, en premier lieu Baloo et sa chanson mythique. Néanmoins, à l’heure des bilans, la question se pose : était-ce bien nécessaire ? À ne pas choisir entre réalisme et fantastique, Jon Favreau signe une œuvre déséquilibrée qui risque de décevoir tous les publics. En 1994, les studios Disney avaient déjà sorti un remake en images réelles, mais avec un parti-pris plus radical, puisque les animaux n’y parlaient pas du tout. Était-ce la bonne solution ? Le Livre de la jungle n’est pas totalement raté et fait mieux que tous les autres relectures des classiques d’animation, mais il n’est pas complètement réussi pour autant. Dommage…