Luca, Enrico Casarosa

Pour son dernier long-métrage, Pixar plonge en pleine nostalgie avec une Italie du milieu du siècle dernier, avec une histoire qui se déroule dans un petit village de pêcheurs sur la côte de la Riviera. Enrico Casarosa mobilise tous les clichés imaginables sur la région et sa culture pour imaginer une intrigue à mi-chemin entre fantastique et adolescence. Luca est une fable sur la différence et la capacité d’un individu à se fondre sur la masse, ce qui aurait pu donner un magnifique sujet queer. Mais l’ombre de Disney rode et le réalisateur a bien pris soin d’évacuer la question, se défendant notamment d’avoir fait la moindre référence à Call Me By Your Name, alors même que ce sont pas les points communs qui manquent1. Il ne s’agirait pas d’évoquer la moindre sexualité et encore moins l’homosexualité, même si le spectateur est fort heureusement libre d’analyser une œuvre comme il l’entend. Quoi qu’il en soit, Luca est un joli film tout mignon, pas le meilleur Pixar, mais un divertissement agréable.

Dans cette Italie fantasmée, il y a des humains qui vivent sur la côte et il y a de curieuses créatures qui vivent dans la mer Méditerrannée. Ces deux populations se croisent jamais et d’ailleurs, le village de pêcheurs de Portorosso considère leurs voisins nautiques comme des « monstres marins » à détruire à tout prix. C’est pour cette raison que les humains sont vus par Luca et sa famille comme le danger absolu, à éviter à tout prix. D’ailleurs, Luca n’a jamais mis un orteil hors de l’eau, mais cela n’empêche pas cet adolescent d’être curieux. Qu’y a-t-il dans ce village ? Quels sont ces objets laissés au fond de l’eau par les humains ? Quand il rencontre Alberto, il découvre en même temps tout un monde qu’il ignorait entièrement jusque-là. Cet autre monstre passe son temps à l’extérieur de l’eau, sous la forme humaine qu’adoptent ces étranges créatures, et c’est lui qui l’entraîne dans le village en quête d’une Vespa et d’envies de voir le monde. Cet univers original est inspiré, de l’aveu même du réalisateur, de ceux de Hayao Miyazaki et on retrouve bien ce même goût pour la fusion entre réalisme et surnaturel2. Sous l’eau, les animateurs du studio ont imaginé un monde chatoyant, avec des créatures hybrides entre humains et hippocampes. Sur terre, c’est un village italien qui évoque les décors européens du réalisateur japonais, avec un traitement des personnages qui rappelle davantage le travail du studio Aardman, et ses personnages en pâte à modeler. Un mélange qui offre au projet toute son originalité et le film d’Enrico Casarosa est techniquement bluffant. C’est plus sur le fond que l’on est un petit peu déçu. D’un côté, le message de tolérance et d’acceptation de la différence est bienvenu, évidemment, de l’autre, c’est au service d’une histoire assez banale, une course à remporter avec un méchant un poil trop caricatural. Et puis surtout, quel dommage dans cette histoire de tolérance de ne pas avoir poussé le bouchon un tout petit peu plus loin et de devoir se contenter d’une métaphore maritime. Certes, chacun peut interpréter Luca comme il l’entend, la différence restant ici dans le domaine du fantastique. Il était sans doute vain d’attendre une once de courage supplémentaire de la part de Disney, mais que le réalisateur fasse tout pour décourager les interprétations de son propre film est assez décourageant.

Même si c’est regrettable, ce n’est pas une raison suffisante pour gâcher la fête ou s’interdire de voir Luca et d’interpréter le film comme on l’entend. En choisissant de le voir comme une métaphore de ce que tant de jeunes queer doivent vivre, à se cacher au milieu d’une société hétéronormée pour survivre, le dernier Pixar devient une œuvre nettement plus intéressante et touchante. L’inspiration venue notamment de Hayao Miyazaki est assez bien digérée et l’univers est magnifique, ce qui en fait un film d’animation fort sympathique, à défaut d’être l’un des chefs-d’œuvre du studio.


  1. Jusqu’au prénom du réalisateur, Call Me By Your Name ayant été réalisé par Luca Guadagnino. Le clin d’œil aurait été parfait… 
  2. En parlant d’hommage et de nom, le nom donné au village de pêcheur dans Luca, Portorosso, ne doit rien au hasard