Mad Men fait partie de ces séries qui n’ont rien d’extraordinaire à raconter sur le papier, mais que l’on ne peut plus quitter quand on commence à les regarder. Suivant un publicitaire des années 1960, la série créée par Matthew Weiner nous fait découvrir des dizaines de personnages, essentiellement au sein d’une seule agence publicitaire de Manhattan. Problèmes et intrigues de bureau sont logiquement au cœur des enjeux, mais pas seulement : dans ce New York des années 1960 reconstitué avec une précision qui est l’une des plus grandes réussites de Mad Men, on découvre aussi une époque à la fois très éloignée de la nôtre et finalement plus proche qu’il n’y paraît. Réalisée avec un soin digne du cinéma, cette série se suit avec intérêt, mais surtout avec un grand plaisir. Et avec ce sentiment étrange, au bout de quelques saisons, de connaître ces personnages aussi bien que s’ils étaient la famille…
Dès les premiers plans, la qualité de la reconstitution est ce qui frappe le plus. Mad Men parvient à restaurer une époque perdue, en l’occurrence le New York des années 1960, avec une précision folle. Matthew Weiner a manifestement réuni une grande quantité d’informations sur cette époque et on est immédiatement happé par ces hommes tous en costume, ces femmes en tailleur, ces décors aux couleurs parfois vives, mais souvent assez tristes, ces verres d’alcool qui sont bus à longueur de journée ou encore ces cigarettes qui ne quittent jamais la bouche de tous les personnages, sans exception. Pendant toute la série, les producteurs ont réussi à maintenir cet excellent niveau et à proposer une reconstitution toujours réaliste, à défaut d’être toujours parfaitement fidèle. Même si la série limite le nombre de décors — l’action se passe le plus souvent dans les bureaux d’une agence publicitaire —, on n’a jamais le sentiment que l’on est en studio et les décors extérieurs sont eux aussi très réussis. Matthew Weiner a privilégié des techniques de l’époque pour filmer Mad Men qui est l’une des rares séries de ces dernières années à avoir utilisé du film plutôt que des caméras numériques1. Tout le studio a été conçu pour permettre l’utilisation de travellings plutôt que des méthodes modernes : autant de détails qui ne se saisissent pas forcément pris indépendamment, mais qui participent au réalisme de l’ensemble. Quoi qu’il en soit, le travail réalisé sur cette série est incontestable et Mad Men fait mieux sur le plan technique que bon nombre de films dédiés au cinéma. On sait depuis quelques années que les séries télévisées n’ont plus rien à envie au septième art, au contraire même : Matthew Weiner a fait un excellent travail qu’il convient de saluer.
Une série ne tient pas sans de bons personnages et Mad Men ne fait pas exception. Don Draper, son personnage principal, est un publicitaire entouré de mystère dans la première saison qui se mue, partiellement au moins, en une sorte d’enquête autour de son passé. Marié, père de trois enfants, il vit aussi des aventures extra-conjugales parfois avec plusieurs femmes à la fois. Il est caractéristique des hommes de cette époque, du moins tels qu’ils sont présentés dans cette série : tous les personnages masculins imaginés par Matthew Weiner ont des aventures extra-conjugales ou y pensent. La série brasse bien trop de thèmes de société pour qu’on puisse les aborder tous ici, mais la place des femmes en société en est un essentiel. Les hommes travaillent dans les bureaux, accompagnés de femmes qui leur servent… de secrétaires. Ces femmes sont le plus souvent jeunes et sans enfants : sitôt mariées, elles démissionnent le plus souvent pour s’occuper de leurs enfants. La série dispose de suffisamment de personnages pour représenter plusieurs cas et Mad Men sait justement construire avec le temps des personnages parfaitement crédibles. On finit par considérer Don Draper comme son propre père, son oncle ou son frère et on a l’impression de le connaître, tout comme Betty, sa femme, ou encore Joan et Peggy, deux secrétaires, ou aussi Peter Campbell ou Roger Sterling, des collègues, nous semblent familiers au bout de cinq ou six saisons. Le scénario les fait évoluer, leur complexité est progressivement dévoilée au fil des épisodes et des saisons. Si le travail des réalisateurs et scénaristes peut être salué, les acteurs sont évidemment pour beaucoup dans la réussite de l’ensemble. Dans le rôle principal, Jon Hamm est impeccable de dureté et en même temps de tendresse quand il le faut. Autour de lui, tous sont excellents, de January Jones qui incarne sa femme à Elisabeth Moss dans le rôle très important de Peggy Olson, en passant par John Slattery qui interprète Roger Sterling, l’un des associés de l’entreprise publicitaire. Ils sont tous précis et justes et ces acteurs souvent habitués aux seconds rôles que l’on découvre en général avec Mad Men nous rendent immédiatement leurs personnages crédibles.
Un an avant de lancer Breaking Bad dans un tout autre genre, AMC faisait déjà un gros coup avec Mad Men. La série conçue par Matthew Weiner ne commence pas sur une idée aussi folle, mais elle s’impose avec plus de force encore grâce à ses personnages parfaitement écrits. À bien des égards, on pense à Six Feet Under, série mythique qui a ouvert la voie à une narration moins spectaculaire, mais plus profonde. L’histoire de ces publicitaires de Manhattan fait au moins aussi bien et c’est tout dire : une série à ne surtout pas rater !
Mad Men, saison 7
(19 avril 2017)
Comment mettre un terme à une série qui n’avait aucun but particulier, si ce n’est de suivre le quotidien de quelques personnages dans leur environnement de travail ? C’est la question que pose la septième et ultime saison de Mad Men et sa diffusion sur deux ans semble indiquer que les scénaristes ne savaient pas trop comment s’y prendre. Il faut dire que la série créée par Matthew Weiner ne repose sur rien de particulier et en même temps, sur l’essentiel pourrait-on dire. Elle raconte la vie d’un publicitaire new-yorkais lambda à travers les années 1960, son ascension, son heure de gloire et sa chute. Que dire, que montrer, quand on a fait le tour de ses problèmes professionnels et familiaux ? Comment conclure une histoire qui ne racontait rien de précis, mais qui ressemblait de plus en plus à la vraie vie ?
Mad Men ne révolutionne pas le genre avec cette dernière saison, mais elle dit au revoir sur quatorze épisodes et offre à chaque personnage une fin intéressante. Depuis la première saison, du temps a passé, on entre dans une nouvelle décennie au cours de ces épisodes et les personnages ont vieilli. Le petit studio publicitaire indépendant des débuts a cédé progressivement la place à la grosse entreprise qui écrase tout le monde. Don Draper a défait et refait sa vie à plusieurs reprises. Les enfants grandissent et s’éloignent. La publicité continue à être toujours aussi importante, la télévision et l’informatique prennent de plus en plus de place. Matthew Weiner a pris son temps pour faire avancer sa série et la conclusion n’est pas une exception. Non pas que l’on s’ennuie, non, les quatorze épisodes restants sont pleins de petites choses, souvent amères. Jusqu’au bout, la série portée par AMC a maintenu son niveau d’excellence, notamment en termes de reconstitution historique, et jusqu’au bout, ses personnages sont restés passionnants.
La toute fin reste largement ouverte. Que devient exactement le publicitaire brillant et légèrement misanthrope que l’on connaît si bien ? Mad Men ne permet pas vraiment de le savoir et on pourrait aussi bien croire que la publicité qui clôt la série est son œuvre, tout autant qu’il est vraiment devenu le tortionnaire d’Unbreakable Kimmy Schmidt. Il n’y a pas de bonne ou mauvaise réponse, Matthew Weiner se garde bien de fermer sa série et laisse planer le doute. C’était probablement la meilleure manière de mettre un terme à ce qui reste l’une des meilleures séries télévisées de ces dernières années.
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- Ce n’est toutefois plus le cas à partir de la cinquième saison… ↩