Isao Takahata puise dans le folklore pour imaginer son septième long-métrage, comme le titre Pompoko l’indique déjà. Au Japon, c’est ainsi que l’on désigne le son produit par les tanuki quand ils tambourinent sur leur ventre gonflé, l’une des nombreuses caractéristiques associées à cet esprit des forêts qui est inspiré par un animal bien réel, le chien viverrin qui se rapproche davantage du raton-laveur ou du blaireau. Un autre réalisateur aurait imaginé une histoire taillée pour les enfants, mais ce serait mal connaître le studio Ghibli pour penser que ces animaux parlants ne sont pas une excuse pour mieux parler de la société. De fait, Pompoko n’est pas l’œuvre mignonne que l’on pouvait imaginer, c’est un pamphlet politique et explicite contre les destructions causées par l’homme contre la nature. Isao Takahata porte son message avec vigueur et il signe une œuvre engagée qui n’a jamais été aussi moderne et importante.
Quand on ne connaît pas la mythologie qui entoure les tanuki au Japon, les premières minutes de Pompoko ont de quoi surprendre. On découvre ces êtres étranges, qui ressemblent à un croisement entre un chien et un raton-laveur quand ils sont à proximité des hommes, mais qui se dressent sur deux pattes quand il n’y a plus personne à la ronde et qui se comportement de manière très anthropomorphique. Ce n’est pas le choix du studio pour simplifier l’association des spectateurs, c’est plutôt le respect de la représentation classique de ces êtres fantastiques, que l’on dit capable de se métamorphoser en n’importe quel être ou objet. Dans la vision d’Isao Takahata, cela donne une introduction haute en couleurs, où deux clans s’affrontent en changeant d’aspect, entre un animal très réaliste et une représentation simplifiée à l’extrême. On passe d’un monde à l’autre, d’un aspect quasiment documentaire qui vaut aussi pour les décors magnifiés par des détails infiniment précis, à un film d’animation que l’on associe instinctivement avec une œuvre pour les enfants. C’est le côté simple et mignon de ces animaux, qui parlent et agissent comme nous, autant de caractéristiques qui apportent ce côté enfantin qui est en fait trompeur. Ne vous y trompez pas, Pompoko n’est pas un petit conte sympathique pour les enfants, en tout cas il n’est pas que cela. Si Isao Takahata peut donner cette impression au début, c’est peut-être pour mieux faire passer son message écologique, le véritable sujet du projet.
Très vite, on découvre que la forêt où vivent les tanuki est menacée par une ville que les humains sont en train de bâtir. Ils vont alors tout faire pour sauver leur environnement de cette destruction, en commençant par jouer des tours aux humains. Leur capacité de métamorphose leur offre de nombreuses options et ils font tout pour arrêter les travaux, sans parvenir à leurs fins. Ailleurs, on imaginerait volontiers la traditionnelle fin heureuse, où l’homme cède la place et laisse les animaux vivre leur vie. Cette piste est condamnée dès le départ, même si ce n’est pas explicité, par le choix du réalisateur d’un cadre réel. L’action se déroule en effet dans les années 1960, dans une vallée près de Tokyo qui a été entièrement urbanisée pour répondre à la croissance urbaine constante à cette époque. La fin est donc connue et les héros du film porté par le studio Ghibli ne pourront pas y échapper. Pompoko n’est pas là pour offrir une morale gentille et comme dans Les Tombeaux des lucioles, le cinéaste n’essaie pas d’enjoliver son histoire pour plaire à un public. Au contraire, il assène son message avec force et sans jamais se détourner de son objectif, quitte à plomber l’ambiance. Rien ne sauve les créatures magiques, ni les menaces pesées sur le projet qui conduisent même à des morts sur le chantier, ni la démonstration de force avec des illusions dans toute la ville, ni l’appel à l’aide proféré par les tanuki face aux caméras. Rien n’arrête l’appétit de l’homme pour étendre son territoire et détruire la nature et son histoire, le message d’Isao Takahata ne saurait être plus clair. Et à l’heure du réchauffement climatique ce n’est pas un message passéiste et réactionnaire, hélas. Pompoko a été réalisé il y a plus de 25 ans et il évoque le Japon des années 1960, mais il n’a jamais été autant d’actualité qu’à ce jour.
Dans le monde de l’animation, on oppose souvent Disney au studio Ghibli. C’est souvent une opposition forcée et exagérée, mais elle est explicite dans Pompoko. Quand les créatures jouent leur va-tout en créant des illusions dans la ville entière pour effrayer les humains, les habitants sont comme au spectacle et s’amusent bien. Mais le pire, c’est que le parc d’attraction du coin, « Wonderland », explique le lendemain que c’est une publicité surprise pour l’ouverture. La perversion de la nature et de la tradition par la mondialisation : la critique d’Isao Takahata ne pourrait être plus claire. On pourrait se moquer de cette vision caricaturale et regretter cette admiration du passé, mais Pompoko était en fait un avertissement que l’on n’a pas écouté. Terrifiant et passionnant.