Steven Spielberg poursuit sur sa lancée avec un troisième film historique à la suite. Après la Première Guerre mondiale avec Cheval de Guerre et la Guerre de Sécession avec Lincoln, le réalisateur s’intéresse cette fois à la Guerre froide. Le Pont des Espions adopte un angle assez original pour en parler, une anecdote basée sur des faits historiques qui offre au cinéaste l’opportunité d’évoquer plusieurs enjeux de cette période de l’histoire. Son vingt-huitième long-métrage s’intéresse ainsi à James B. Donovan, un avocat américain choisi pour défendre un espion russe et qui fait du zèle par la suite pour l’échanger contre un espion américain fait prisonnier en URSS. À l’arrivée, Steven Spielberg ne signe pas de chef-d’œuvre, mais une œuvre assez classique, bien menée et instructive, même si Le Pont des Espions souffre d’une émotion un peu forcée.
« Inspiré de faits réels » : le film reste ainsi prudent et s’autorise quelques libertés dans son traitement historique. Pourtant, la base du long-métrage correspond à des faits historiques : tous les personnages principaux ont existé et il y a bien eu un échange d’espions entre les États-Unis et l’URSS sur ce pont à coté de Berlin, en 1962. Rudolf Abel, l’espion russe arrêté à New York en 1957 a bien été défendu par James B. Donovan, avocat spécialisé dans les assurances et c’est bien lui qui s’est rendu à Berlin pour négocier son échange contre Francis Gary Powers, un pilote d’avion à réaction qui servait à photographier l’espace soviétique, en théorie sans se faire remarquer. Le Pont des Espions se construit ainsi sur une base historique assez solide, mais on imagine que le scénario, co-écrit par les frères Coen, a pris quelques libertés pour placer son personnage principal au cœur des enjeux. Il faut dire que cet avocat se trouve vraiment au bon endroit au bon moment, il est à Berlin quand le mur est dressé et comme l’affiche française ne manque pas de le souligner, il est au cœur du conflit, rien de moins. Difficile de croire que cet avocat tenait entre ses mains « l’équilibre entre guerre et paix », mais au-delà du message marketing, celui qu’incarne Tom Hanks a manifestement joué un grand rôle dans cette négociation, à tel point que Kennedy l’a sollicité à nouveau quelques années plus tard pour négocier avec Fidel Castro cette fois. Toute cette histoire n’est pas très connue et on comprend bien pourquoi elle a attiré Steven Spielberg. À chaque fois qu’il s’est intéressé à un grand évènement historique, le réalisateur a opté pour un traitement similaire : il s’intéresse à un fait précis, pour mieux embrasser la totalité. Un cheval dans la Première Guerre mondiale, une équipe de secours dans la Seconde Guerre mondiale et maintenant, un échange d’espions organisé par un avocat.
C’est un procédé assez classique dans la fiction, mais Steven Spielberg prouve encore une fois avec Le Pont des espions qu’il est parfaitement approprié. Le réalisateur sait comment raconter une histoire, et il le fait très bien cette fois encore. Tout en prenant son temps, le réalisateur déploie son récit avec une fluidité exemplaire et une simplicité qui convient assez bien à cette époque parfois si complexe à comprendre. Rien n’est novateur ici, mais le classicisme de la mise en scène et de l’écriture fonctionnent très bien et on est happé par le film dès les premières minutes et jusqu’à la fin, sans temps mort. Même si, encore une fois, ce n’est pas un blockbuster d’action et le rythme reste assez faible : il faut dire que l’on a d’abord affaire à un procès, puis à des négociations et il n’y a quasiment aucune scène d’action. La chute de l’avion espion américain est une séquence plus impressionnante, mais ce n’est pas l’essentiel et à bien des égards, on retrouve la sobriété qui primait déjà dans Lincoln. D’ailleurs, on est agréablement surpris pendant toute la première partie du long-métrage, par l’absence quasiment totale de musique. Quand il y en a, c’est uniquement de la musique diégétique et cette partie beaucoup plus sèche est très convaincante. Malheureusement, Steven Spielberg semble incapable de s’en empêcher, et la bande-originale composée par Thomas Newmann reprend vite ses droits, et s’impose de plus en plus au fur et à mesure que le film avance. À la fin, elle est à nouveau beaucoup trop présente et elle essaie, en vain, de nous tirer une larme, ce qui a l’effet opposé. C’est dommage, car Le Pont des Espions est intéressant jusqu’au bout et on n’avait pas besoin de cette couche de musique pour apprécier l’histoire et être touché par la relation qui s’établit entre l’espion russe et son avocat américain. Fort heureusement, le jeu impeccable de Tom Hanks et celui excellent de Mark Rylance et les petites notes humoristiques qui trahissent la présence des frères Coen à l’écriture sauvent le tout, et on passe un bon moment jusqu’au bout.
Le Pont des Espions s’empare d’une anecdote méconnue de la Guerre froide pour offrir une plongée réussie à cette époque. Steven Spielberg ne prend pas de risques, mais il mène parfaitement ce qu’il entreprend et même si on peut critiquer une mise en scène trop sage ou une musique trop présente, il est indéniable que c’est du beau travail. À l’arrivée, on apprend quelque chose et on passe un bon moment : ce n’est déjà pas si mal…