Psychose, Alfred Hitchcock

Après La Mort aux trousses, un film à gros budget qui préfigure les blockbusters modernes, Alfred Hitchcock change totalement de régime et revient à une production nettement plus modeste. Psychose est tourné rapidement, en noir et blanc, sans star majeure et avec l’équipe chargée de la série télévisée Alfred Hitchcock présente, tout ça pour économiser sur le tournage et rester sous la barre du million de dollars. À sa sortie, la critique a d’abord boudé le film, mais le succès du public a été immédiat et le long-métrage a rapporté cinquante fois plus qu’il n’a coûté pendant sa première exploitation. Pour la troisième année consécutive, Alfred Hitchcock signe un classique du Septième art, un chef-d’œuvre fondateur qui a inspiré toutes les productions qui ont suivi. Cette fois, Psychose repousse les frontières de ce que l’on pouvait montrer au cinéma avec un film d’horreur tendu qui n’a pas pris une ride. Une merveille, à voir (sans rien lire à son sujet) et à revoir !

Malin, Alfred Hitchcock commence par brouiller les pistes en centrant son film uniquement sur le personnage de Marion Crane, jeune employée sans histoire d’une agence immobilière et amante discrète de Sam, divorcé et endetté. Quand son patron lui demande de déposer 40 000 $ en liquide à la banque, elle craque et fuit en voiture avec l’argent pour rejoindre son amant, éponger ses dettes et leur offrir une belle vie. Du moins, c’est l’idée de départ, mais elle doit s’arrêter sur la route dans un Motel isolé à cause de la météo et les choses ne se passent pas comme prévu. Toute l’astuce de Psychose est de laisser croire sur environ la moitié du film que le personnage principal est Marion Crane, une amoureuse qui a fait un coup de folie. Le scénario laisse ainsi entendre qu’un policier a compris qu’il se trame quelque chose de louche et qu’il va l’arrêter. Une séquence d’échange de voiture dans une concession sur la route est l’occasion d’un pic de suspense, alors que la jeune femme se comporte de façon très suspecte. On pourrait croire que tout le long-métrage est consacré à cet arc narratif et à ce personnage, alors qu’en fait ce n’est qu’une distraction avant d’intégrer au récit le véritable personnage principal et la véritable intrigue. Quand on découvre Psychose pour la première fois, ce n’est pas évident et le meurtre devenu si célèbre au milieu du film est une grosse surprise. Alfred Hitchcock avait déjà utilisé cette astuce scénaristique dans Sueurs froides, mais l’effet est encore plus spectaculaire ici puisque cela remet en cause tout ce qui précède, y compris le vrai sujet du film. Le fait que cette scène dans la douche soit restée dans les annales du cinéma comme une séquence fondatrice n’est pas non plus étranger à ce bouleversement que le spectateur ressent en découvrant le long-métrage. Tout contribue à créer un effet de surprise comme le cinéaste en avait le secret et c’est peut-être sa plus grande réussite en la matière.

Le véritable sujet, donc, n’est pas le coup de folie de Marion Crane, mais bien plus le personnage de Norman Bates, le propriétaire du Bates Motel où s’arrête la jeune femme. Il convient d’emblée de saluer l’extraordinaire performance d’Anthony Perkins dans ce rôle. L’acteur était encore jeune et ce rôle l’a propulsé sur le devant de la scène, ce qui a été en fait plus une malédiction qu’une chance pour lui1, mais on comprend aisément pourquoi. Son interprétation de ce que l’on n’appelait pas encore serial-killer2 est excellente, nullement dans la caricature grossière et au contraire tout en finesse. C’était un élément clé pour que le film fonctionne : Alfred Hitchcock entendait conserver le plus longtemps possible un mystère sur l’identité du meurtrier et cela n’aurait pas fonctionné si Norman Bates pouvait être identifié comme tel dès le départ. Les explications psychologiques à la toute fin sont un petit peu lourdes et inutiles pour les spectateurs modernes, mais il faut reconnaître que le profil créé pour le personnage est complet, complexe et réaliste. Le jeu de l’acteur, en permanence dans le charme, mais avec une pointe de gêne qui crée une tension, est parfait et on comprend vite pourquoi il a marqué à l’époque. Le succès de Psychose doit beaucoup à cette interprétation d’Anthony Perkins, mais il ne faudrait pas oublier pour autant le talent du réalisateur. Alfred Hitchcock parvient à réaliser un grand film avec peu de moyens techniques, mais avec beaucoup d’idées. La séquence de la douche n’est pas restée un modèle du genre sans raison. Elle ne dure même pas une minute, mais elle a nécessité une semaine complète de tournage et le cinéaste met tout son talent en œuvre pour suggérer l’horreur sans la montrer. La censure régnait toujours en maître et il était impensable de voir à l’écran un meurtre, encore moins le meurtre d’une jeune femme nue et le montage vif alterne ainsi entre différents points de vue pour simplement évoquer et laisser l’imagination des spectateurs faire le reste. La découverte de la vérité à la fin, dans la cave de la maison, est un autre grand moment de tension et de surprise qui fonctionne très bien à la première vision.

Psychose a obtenu la reconnaissance du public dès sa sortie et son succès ne s’est jamais démenti depuis. Alfred Hitchcock a probablement atteint l’apogée de son art dans cette histoire de tueur en série, dans ce film d’horreur psychologique qui parvient parfaitement à détourner l’attention de ses spectateurs pour mieux créer la surprise. Le cinéaste n’a pas besoin de beaucoup de moyens pour susciter la tension et la simplicité paye à nouveau dans son quarante-troisième long-métrage qui a extrêmement bien vieilli. Après toutes ces années, Psychose reste une référence que l’on cite ou au minimum que l’on garde toujours en tête dans le genre. Un film culte, un classique du genre indépassable.


  1. Après le succès de Psychose, son interprétation du personnage de Norman Bates lui a collé à la peau. Anthony Perkins n’a pas vraiment obtenu d’autre rôle important et ses participations aux multiples et médiocres suites des années 1980 ne sont probablement pas très glorieuses. 
  2. Le terme est né dans les années 1970 et il est logiquement absent de Psychose