Sueurs froides, Alfred Hitchcock

Sueurs froides appartient à cette catégorie d’œuvres qui intimident par leur influence et leur importance pour le Septième Art. Combien de classements le placent en tête, combien de cinéastes le citent comme une référence… Alfred Hitchcock frappe fort avec son nouveau film, même s’il passe un petit peu inaperçu à sa sortie. Les critiques ne sont pas enthousiastes, le public est au rendez-vous, mais pas autant qu’on pourrait l’imaginer près de soixante ans après. Il faut dire que Sueurs froides est indéniablement une réussite, tant par sa forme novatrice que par son fond haletant. Le cinéaste parvient à atteindre une forme de perfection dans ce thriller plein de suspense, porté par une actrice exceptionnelle et une bande-originale qui fait date. Une œuvre à ne rater sous aucun prétexte et à découvrir en ne lisant absolument rien à son sujet pour ne gâcher aucun effet de surprise.

Vertigo, le titre original bien supérieur à la version française, donne la clé d’un élément central dans Sueurs froides : le vertige. Toute son intrigue tourne autour du principe que le héros souffre de vertige extrême suite à un accident présenté dans la toute première scène du film. Scotty, un policier de San Francisco, est sauvé par son collègue lors d’une course-poursuite sur les toits qui se termine mal alors qu’il rate son saut et manque de chuter. Cet incident le laisse avec de graves séquelles psychologiques, il ne peut plus monter dans un lieu surélevé, sous peine d’être pris de vertiges intenses. Alfred Hitchcock commence par poser cette idée, avant de déployer son histoire : après avoir démissionné, Scotty est contacté par un ancien ami qui lui demande de suivre Madeleine, sa femme. Elle agit bizarrement depuis quelque temps, il a l’impression qu’elle est possédée par une ancêtre hispanique et il a peur qu’elle commette l’irréparable. Le héros commence ainsi à la suivre et remarque en effet des comportements très étranges et inexpliqués, alors que la jeune femme semble ne se souvenir de rien. Malin, le réalisateur commence à poser la thèse psychologique, avant d’instaurer un doute qui grandit progressivement : et si Madeleine était vraiment possédée ? Ce semblant de fantastique est inattendu et c’est la première surprise de Sueurs froides, mais ce n’est pas la dernière. En bon maître du suspense qu’il est, Alfred Hitchcock multiplie les tensions et les rebondissements, avec le fameux twist que l’on découvre à peu près au milieu du film. Il a fait couler beaucoup d’encres et il a inspiré de nombreux autres cinéastes. Et il faut bien reconnaître que sa réputation n’est pas usurpée : quand on voit le long-métrage pour la première fois, on ne s’attend pas du tout à cette révélation qui remet tout en cause. C’est très bien mené et cette surprise ne ruine pas du tout la tension, bien au contraire, grâce à une astuce de scénario. Jusqu’à ce point, le point de vue est uniquement focalisé sur le personnage principal qui est le seul narrateur. À partir de ce point toutefois, le spectateur en sait plus que lui grâce à la lettre de Judy et le suspense provient alors de son ignorance : va-t-il finalement apprendre la vérité ? Toute la dernière partie de Sueurs froides est redoutable d’intensité, jusqu’au final qui prend encore une fois par surprise… un grand moment de cinéma !

Alfred Hitchcock a aussi marqué les esprits par la forme. Sueurs froides innove sur le plan technique avec l’invention géniale du travelling contrarié, plus souvent connue sous le nom d’« effet Vertigo ». Et pour cause, cet effet a été inventé pour les besoins de ce film et exploité à plusieurs reprises pour simuler l’effet du vertige sur le personnage principal. Techniquement, la caméra recule tout en zoomant pour créer une image déformée, comme si le sol s’éloignait. À l’écran, le résultat est saisissant et tous ceux qui souffrent de vertige pourront s’identifier à cet effet très réaliste. Ce n’est pas la seule bonne idée de mise en scène toutefois, Sueurs froides multiplie au contraire les astuces au service de l’histoire. Le long-métrage est en couleurs et Alfred Hitchcock a utilisé les couleurs d’une manière assez radicale pour l’époque, très différente en tout cas de ses précédentes réalisations colorées, une technique qu’il maîtrise bien depuis La Corde. Le générique de départ surprend déjà par son inventivité, mais les couleurs sont ensuite exploitées pour créer une ambiance particulière et distinguer les deux personnages incarnés par la même actrice. Dans la séquence du restaurant où l’ex-policier rencontre Madeleine pour la première fois, les couleurs sont hyper saturées et le rouge vif des murs est presque agressif. Les couleurs sont essentielles dans Sueurs froides et elles donnent des indices ou des points de repères. La couleur des cheveux du personnage féminin, celle de sa robe, le soleil éclatant dans certaines scènes et le brouillard dans d’autres… le réalisateur était connu pour le soin apporté à ses films et celui-ci fait particulièrement figure d’exemple. Les cadres et les mouvements de caméra sont aussi particulièrement soignés : la scène du baiser vers la fin, par exemple, est tournée avec une caméra qui tourne autour des deux personnages et qui permet de passer d’un décor à l’autre de manière graduelle. Sur le plan technique, il convient aussi de saluer le travail de Bernard Herrmann. Le compositeur a déjà composé pour Alfred Hitchcock quand il commence à travailler sur ce film et il trouve le ton parfaitement juste pour souligner la tension ici, l’émotion là. Mais il le fait avec beaucoup de subtilité et la musique est vraiment convaincante.

N’oublions pas les acteurs, également. James Stewart est une figure bien connue à ce stade dans la filmographie d’Alfred Hitchcock et l’acteur s’en sort bien, mais on retient surtout la performance impressionnante de Kim Novack. L’actrice n’avait même pas 25 ans lors du tournage et elle est bluffante dans ce double rôle, une tâche qui n’est jamais facile puisqu’il faut créer deux personnages distincts et crédibles. L’actrice principale de Sueurs froides y parvient très bien et le succès du film lui doit beaucoup. Néanmoins, on ne peut pas le restreindre à un seul élément : sur ce projet, le cinéaste a réuni tous les ingrédients pour atteindre une forme de perfection. Que le long-métrage reste considéré comme l’un de ses meilleurs et même comme l’un des meilleurs tout court n’est pas une surprise : Sueurs froides n’a pas pris une ride et il mérite toujours autant d’être vu. Un classique.